Exposition Louis XV à Versailles (10/13). Le règne des sculpteurs

Antoine Coysevox, Louis XV enfant, à l’âge de 5 ans (détail), 1716. Marbre, 59,7 x 50,8 x 22,2 cm. New York, The Frick Collection. Photo service de presse. © The Frick Collection
Dans la lignée du règne précédent, la sculpture sous Louis XV offre une place significative au portrait royal et à ses déclinaisons. Toutefois, sujets mythologiques et allégories offrent également l’occasion de mesurer l’excellence technique et la personnalité d’artistes aussi éminents que Coysevox, Lemoyne, Bouchardon ou Pigalle.
À bien des égards, l’artiste du XVIIIe siècle s’inscrivait dans une certaine tradition héritée du siècle précédent. Ainsi, le milieu social restait déterminant, et nombre d’importants sculpteurs du temps étaient issus de véritables dynasties, tels les Lemoyne, les Caffieri, les Adam, les Slodtz ou encore les Coustou. Fondée en 1648, l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris continuait d’encadrer la formation des jeunes sculpteurs, rompus à la pratique du dessin, à l’étude de l’anatomie et à celle des passions chères à Charles Le Brun. L’émulation et la sélection étaient assurées par des prix et concours, le plus envié de tous étant le grand prix, qui ouvrait les portes de l’Académie de France à Rome. Fondée en 1666, l’institution permettait aux pensionnaires du roi de se perfectionner au contact des grands maîtres et, surtout, de l’antique, qui demeurait au XVIIIe siècle le modèle ultime.
L’exigeance de l’Académie
Devenir membre de l’Académie restait difficile. Pour être agréé, le sculpteur devait présenter aux académiciens son morceau d’agrément, généralement en plâtre ou en terre cuite. S’il était accepté, il était alors autorisé à exécuter en marbre son morceau de réception, statuette d’un tiers de grandeur nature. Parfois désigné par le directeur de l’Académie, le sujet, souvent mythologique ou historique, devait être traité de manière à ce que le sculpteur démontre son irréprochable maîtrise technique et son sens de la composition, des proportions du corps humain, de l’art du drapé et enfin du sentiment. Saisis à la Révolution, ces morceaux de réception sont pour la plupart conservés au musée du Louvre et offrent un saisissant panorama de la sculpture française des XVIIe et XVIIIe siècles. Dès son agrément, l’artiste devenait « sculpteur du roi » et, ainsi, pouvait recevoir des commandes royales et exposer au Salon. Suspendue en 1704, la tenue du Salon au Louvre reprit à partir de 1738 et favorisa la naissance de la critique.
« Pour les sculpteurs, la mort de Louis XIV en 1715 sonna la fin d’une époque. »
Les premières années du règne : héritage et innovations
Pour les sculpteurs, la mort de Louis XIV en 1715 sonna la fin d’une époque marquée par d’innombrables commandes destinées à l’embellissement des résidences royales de Versailles et de Marly. Toutefois, sous la Régence, les grands maîtres continuèrent à diffuser cet art de la détente qui avait caractérisé les dernières années du règne précédent. Ainsi, passé au service de Philippe V d’Espagne entre 1721 et 1738, René Frémin orna les jardins royaux de La Granja, vers Madrid, de sculptures aussi délicates que celles qu’il avait autrefois livrées pour Marly ou Trianon. Antoine Coysevox, quant à lui, n’hésita pas à infléchir son style classicisant des années 1680 vers une grâce plus maniériste. En témoigne Louis XV à l’âge de 5 ans, portrait royal en buste où la majesté du modèle est comme tempérée par une approche tout en sensibilité. Respectivement achevés par Nicolas et Guillaume Ier Coustou en 1731, Louis XV en Jupiter et Marie Leszczynska en Junon marquèrent les derniers feux du portrait historié en sculpture. Commandées par le duc d’Antin, directeur des Bâtiments du roi, ces statues aux drapés enlevés et aux poses maniérées sacrifient au style rocaille alors en vogue. À eux seuls, les deux frères artistes illustrent la vitalité de la sculpture française du premier tiers du XVIIIe siècle. Semblant être la transposition en marbre d’une grande peinture italienne, la virtuose Vierge de pitié que Nicolas Coustou acheva en 1728 pour le chœur de Notre-Dame de Paris traduit le pathos du sujet au moyen d’un baroque retenu. Plus fougueux, les illustres Chevaux retenus par des palefreniers (1739-1745, Louvre) du frère cadet Guillaume, montrent l’homme aux prises avec la force animale sauvage et brute. Livrés pour Marly, ces groupes inspirés des Dioscures du Quirinal attestent que la citation antique servait désormais une observation plus fidèle de la nature, obtenue par l’étude assidue de modèles vivants, hommes et chevaux.
Antoine Coysevox, Louis XV enfant, à l’âge de 5 ans, 1716. Marbre, 59,7 x 50,8 x 22,2 cm. New York, The Frick Collection. Photo service de presse. © The Frick Collection
1730-1740, entre baroque et idéal classique
À partir de 1730-1740, une nouvelle génération d’artistes s’imposa à Paris et modifia le paysage de la sculpture française. Nés au début du siècle, Michel-Ange Slodtz, Lambert Sigisbert Adam et Edme Bouchardon avaient en commun une passion pour Rome, ville dans laquelle ces pensionnaires du roi tentèrent de s’établir jusqu’à ce que l’administration royale les rappelle en France. D’une décennie environ, ce séjour italien eut une influence durable sur ces sculpteurs qui, chacun à sa manière, s’en nourrirent. Marqué par les monuments funéraires de la Rome baroque, Slodtz dota son Mausolée du curé Languet de Gergy (1750-1757, Paris, église Saint-Sulpice) de marbres polychromes et d’un impressionnant squelette, allégorie de la mort empêtrée dans les plis d’un linceul tout aussi théâtral. Adam, lui aussi, se réclamait du Bernin et de l’Algarde. Son art virtuose lui valut d’importantes commandes royales. Manifeste baroque, le décor sculpté en plomb du bassin de Neptune (1735-1740) est la principale contribution de Louis XV à l’embellissement des jardins de Versailles. Adam exécuta le groupe central représentant Neptune et Amphitrite, tandis que les deux groupes secondaires furent répartis entre Jean-Baptiste II Lemoyne et Edme Bouchardon. Bien plus que ses confrères, ce dernier manifesta un vif intérêt pour la statuaire antique. Alors qu’il était à Rome, Bouchardon représenta l’amateur érudit Philipp von Stosch le torse nu, un simple drapé étant jeté sur l’épaule gauche (1727, Berlin, Bode-Museum). Comme le rapporte le livret du Salon de 1738 où il fut exposé, le buste du marquis de Gouvernet (Paris, musée du Louvre) fut également « traité dans le goût antique ». Mêlant vérité du portrait et nudité héroïque, ces bustes comptent parmi les premiers exemples de cette sculpture néoclassique qui ne triompha que quelques décennies plus tard.
La controverse de l’Amour de Bouchardon
Artiste de génie, Bouchardon est également l’auteur de l’Amour se taillant un arc dans la massue d’Hercule. Commandé en 1740, ce chef-d’œuvre absolu de la sculpture française ne fut entrepris que quatre ans plus tard, après de multiples études dessinées sur le modèle vivant. À son achèvement en 1750, la statue fut présentée à Versailles où elle essuya les critiques de la cour. La vérité de ce corps adolescent fut jugée trop « plébéienne », impropre à un dieu vainqueur de la force, et l’œuvre quitta le château. Le roi, toutefois, sut l’apprécier et la fit transférer dans l’orangerie du château de Choisy, au cœur de son jardin privé.
Edme Bouchardon, L’Amour se taillant un arc dans la massue d’Hercule, 1740-1750. Marbre, 173 x 75 x 75 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN / Musée du Louvre – H. Lewandowski
Les portraits du roi
Le même désir de vérité et d’observation de la nature présida à l’exécution de la statue équestre de Louis XV, à Paris. Passée par la Ville en 1748, la commande de ce monument sis au cœur d’une nouvelle place royale érigée par Ange Jacques Gabriel (actuelle place de la Concorde) marqua le couronnement de la carrière de Bouchardon, qui mourut un an avant l’inauguration de 1763. Détruit durant la Révolution, ce colosse de bronze n’est connu que par les réductions qu’en firent Louis Claude Vassé et Jean-Baptiste Pigalle, ce dernier ayant été désigné par Bouchardon en personne pour achever le monument. Hommages au souverain qui, ainsi, marquait sa présence symbolique au cœur de la cité, les monuments publics fleurirent dans la France de Louis XV. Abattus en 1792, ils sont connus notamment par leurs réductions en bronze, exceptionnellement regroupées dans l’exposition. Portraitiste privilégié et officiel du monarque, Jean-Baptiste II Lemoyne se vit confier pas moins de trois monuments. Outre la statue équestre de Louis XV érigée au centre de la place de la Bourse, à Bordeaux (1741-1743) (voir « Le roi voulait dans chaque discipline être un expert »), Lemoyne conçut la statue pédestre du souverain environné des allégories de la Bretagne et de la santé pour la place royale de Rennes (1746-1754) et mit au point celle, jamais exécutée, destinée à Rouen (1757). Bien qu’il ne se rendît jamais en Italie, cet artiste de talent joua un rôle essentiel dans la formation des principaux sculpteurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle. En effet, Pigalle, Étienne Maurice Falconet, Jean-Jacques Caffieri et Augustin Pajou travaillèrent dans son important atelier.
Jean-Baptiste Lemoyne, Louis XV et Hygie, 1777. Deux statuettes en bronze à patine noire sur un socle de marbre gris, orné à l’origine de deux médaillons ovales en bronze (l’un disparu) et d’une troisième statuette, La Bretagne (disparue), 84 x 60 x 37,5 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN / Musée du Louvre – D. Arnaudet
Un chef-d’œuvre de Louis Claude Vassé
Louis Claude Vassé fut fameux pour ses petits marbres à sujets aimables et gracieux, propres à séduire une clientèle d’amateurs. Financier et collectionneur, Ange Laurent La Live de Jully commanda cette ravissante statuette représentant l’Amour sous les traits d’un garçonnet. Galant et mythologique, le thème est ici prétexte à une démonstration de virtuosité : les mains, les roses, les colombes, les ailes de l’Amour et son corps au modelé moelleux sont traités avec un raffinement sans égal. Le sculpteur racheta en 1770 son chef-d’œuvre, qui gagna par la suite les collections de Mme Du Barry, la dernière favorite de Louis XV.
Louis Claude Vassé, L’Amour assis sur le bord de la mer, rassemblant les colombes du char de Vénus, 1755. Marbre, 61 x 38,5 x 42,5 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN / Musée du Louvre / image RMN
Sculpter la grâce
Tout en étant appréciés de la clientèle aristocratique et des amateurs parisiens, ces artistes trouvèrent en Mme de Pompadour une protectrice dévouée. Mécène éclairée, la favorite passa de nombreuses commandes à Jean-Baptiste Pigalle, chargé de célébrer dans le marbre l’amitié et la confiance. En témoignent L’Amitié sous les traits de Mme de Pompadour, combinaison charmante de l’allégorie et du portrait, ou encore L’Amour embrassant l’Amitié (1754-1758, Paris, musée du Louvre). Le traitement tout en douceur et en sobriété de ces statues en marbre ne saurait faire oublier la grande polyvalence de Pigalle. D’esprit baroque, le très scénographique Monument funéraire du maréchal de Saxe (1753-1776, Strasbourg, temple de Saint-Thomas) montre le vainqueur de Fontenoy descendant au tombeau, imperturbable en dépit des allégories de la mort, d’Hercule et de la France qui s’agitent ou s’apitoient autour de lui.
Jean-Baptiste Pigalle, L’Amitié sous les traits de Mme de Pompadour, 1750-1753. Marbre, 166,5 x 62,8 x 55,5 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN / Musée du Louvre – H. Lewandowski
Très novateur, le Monument à Louis XV que Pigalle érigea en 1765 sur la place royale de Reims semble quant à lui traduire, par l’iconographie et le style, les idéaux des Lumières. De fait, plutôt qu’en guerrier, le monarque étend sa main bienfaisante sur le peuple, incarné, au piédestal, par la figure en bronze du Citoyen heureux. Inédite, cette allégorie n’est aucunement idéalisée, le visage fatigué de l’homme assis près d’un ballot de marchandises annonçant le réalisme sans concession qu’adoptera Pigalle dans son fameux Voltaire nu (1776, Paris, musée du Louvre). Quoique d’une personnalité très différente, Falconet fut très apprécié par la marquise de Pompadour. Destiné à son château de Bellevue avant d’être transféré à son l’hôtel d’Évreux, à Paris (actuel palais de l’Élysée), L’Amour menaçant est caractéristique de l’art du sculpteur. De dimensions relativement modestes, cette statue en marbre au fini délicat représente l’Amour qui, sous les traits d’un putto espiègle, index sur les lèvres, s’apprête à tirer une flèche de son carquois. Employé à la manufacture royale de Sèvres où il créait des modèles, l’artiste n’hésita pas à commercialiser cette œuvre sous la forme de biscuit, assurant ainsi la diffusion de son style toujours plus tourné vers le néoclassicisme.
Étienne Maurice Falconet, L’Amour menaçant, 1755-1757. Marbre, 91,5 x 50 x 62 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN / Musée du Louvre – M. Urtado
Les derniers feux du règne : Pajou
Pajou, enfin, s’imposa dans les toutes dernières années du règne de Louis XV. Sous la houlette de Gabriel, il réalisa avec une importante équipe le décor sculpté en bois de l’Opéra royal de Versailles, inauguré en 1770. Fournissant des modèles à Sèvres, le sculpteur entreprit l’année suivante d’exécuter le buste en biscuit de Mme Du Barry, prélude au marbre qu’il exposa au Salon de 1773 (Paris, musée du Louvre). Cette année-là, Pajou présenta également le buste de Buffon (Paris, musée du Louvre), dont il entreprit ensuite la statue, véritable manifeste de l’art des Lumières (1773-1776, Paris, Muséum national d’histoire naturelle). Un an avant la mort de Louis XV, l’exposition conjointe des portraits de la dernière favorite et du fameux naturaliste marque en quelque sorte le point de bascule entre une époque qui s’achève et une ère nouvelle, caractérisée notamment par le triomphe du goût à la grecque et la célébration des Grands Hommes.
« Louis XV. Passions d’un roi », du 18 octobre 2022 au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.
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