Le média en ligne des Éditions Faton

Exposition Louis XV à Versailles (4/13). Les chasses royales et leurs peintres

Jean-Baptiste Oudry, Louis XV tenant le limier, allant au bois au carrefour du Puits solitaire en forêt de Compiègne (détail), 1739. Huile sur toile, 357 x 272 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau.

Jean-Baptiste Oudry, Louis XV tenant le limier, allant au bois au carrefour du Puits solitaire en forêt de Compiègne (détail), 1739. Huile sur toile, 357 x 272 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau. © RMN / Château de Fontainebleau – image RMN

Tout au long de son règne, Louis XV pratiqua quotidiennement la chasse, passion personnelle en même temps que rituel de cour strictement réglé. Non content d’y allouer un budget et un temps considérables, le souverain demanda aux meilleurs peintres de célébrer le prestigieux divertissement royal dans des cycles décoratifs monumentaux.

« [Le roi] est d’un tempérament robuste, et va presque tous les jours à la chasse, où il dépeuple de cerfs les forêts. »

Pierre Narbonne, 1726

Jean-Baptiste Oudry, Cerf aux abois dans les rochers de Franchard (détail), 1738. Huile sur toile, 367 x 661 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau.

Jean-Baptiste Oudry, Cerf aux abois dans les rochers de Franchard (détail), 1738. Huile sur toile, 367 x 661 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau. © RMN / Château de Fontainebleau – G. Blot

Un roi dans les pas de ses aïeux

Héritier d’une lignée de rois chasseurs, Louis XV semble avoir très tôt pris goût aux activités cynégétiques. Il aurait été initié à la chasse au lièvre et au faucon dès 1718, au moment où il commença également à remplir ses premiers devoirs de représentation. En septembre 1721, il assista en simple spectateur à une chasse à courre offerte par le duc de Bourbon, avant de prendre part à de grandes festivités cynégétiques offertes au moment du retour de son sacre à Reims, en novembre 1722, les plus grands seigneurs de la cour rivalisant de faste. À Villers-Cotterêts, domaine appartenant au duc d’Orléans, il chassa d’abord le sanglier puis le cerf. Il se rendit ensuite à Chantilly, résidence du duc de Bourbon ; là, un déjeuner de chasse en forêt fut suivi d’une mise en scène charmante, où l’on « vit sortir d’une grotte Diane et ses nymphes, Diane par un récit cédait au roi l’empire de ses forêts et lui présenta son arc et son carquois, les nymphes lui présentèrent en dansant les divers attributs de la chasse1 ». Ainsi la chasse fit-elle irruption dans la vie de Louis XV. Elle allait inspirer de nombreux artistes jusqu’à la fin du règne, le roi ayant pris son dernier cerf en forêt de Versailles le 27 avril 1774, moins de deux semaines avant sa mort.

 Charles Parrocel, La Chasse de l’éléphant, 1736. Huile sur toile, 183 x 128,5 cm Paris, musée du Louvre, en dépôt au musée de Picardie, Amiens.

Charles Parrocel, La Chasse de l’éléphant, 1736. Huile sur toile, 183 x 128,5 cm Paris, musée du Louvre, en dépôt au musée de Picardie, Amiens. Photo service de presse. © RMN – H. Lewandowski

Au cœur de la vie de cour

Comme pour le règne précédent, les chasses continuèrent d’être liées à la vie de la cour. Le droit de monter dans les carrosses du roi pour se rendre en forêt devint une première étape dans la carrière du courtisan, suivie par celui de porter l’habit de l’équipage royal – le « justaucorps » –, accordé aux courtisans les plus appréciés et les plus assidus : il s’agissait d’une veste de chasse en drap de laine bleu à collet rouge, doublé de chamois et orné de passementeries d’or et d’argent, portée sous un pourpoint de drap de laine rouge, également galonné, avec une culotte de buffle rouge à double ceinture, accompagnée d’un tricorne, de bottes à chaudron et d’éperons. Les « débutants » devaient suivre la chasse en tenue grise : seul Christian VII de Danemark fit exception, Louis XV lui ayant offert un costume (aujourd’hui conservé au château de Rosenborg, à Copenhague), pour la chasse de Saint-Hubert à Fontainebleau en 17682. Le « débotté », moment où le roi retirait ses bottes devant les courtisans, devint un événement incontournable du quotidien de la cour, tout comme les invitations aux soupers des retours de chasse, accordées seulement à quelques privilégiés, souvent avec l’intercession de la Pompadour. En novembre 1747, le duc de Croÿ, un des principaux mémorialistes du règne, vit ainsi sa carrière de courtisan prendre un nouveau tournant lorsqu’il fut convié pour la première fois dans la salle à manger « des retours de chasse », ce qui lui permit sans doute de contempler la galerie voisine, ornée des huit peintures commandées entre 1735 et 1739 à Carle Vanloo, Jean-François de Troy, François Boucher, Charles Parrocel et Nicolas Lancret3 , représentant des chasses au tigre, lion, ours, autruche, léopard, éléphant, crocodile ou taureau, conformes au goût de l’époque pour les scènes exotiques.

Jean-Baptiste Oudry, Louis XV tenant le limier, allant au bois au carrefour du Puits solitaire en forêt de Compiègne, 1739. Huile sur toile, 357 x 272 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau.

Jean-Baptiste Oudry, Louis XV tenant le limier, allant au bois au carrefour du Puits solitaire en forêt de Compiègne, 1739. Huile sur toile, 357 x 272 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau. © RMN / Château de Fontainebleau – image RMN

L’art de la chasse…

La passion du roi s’exprima par une volonté de commémorer ses exploits cynégétiques, qui furent consignés dans des registres conservés dans sa bibliothèque particulière. Si l’on en croit les volumes subsistants, les équipages du roi auraient pris 6 400 cervidés entre 1743 et 1774. De même, les portraits des chiens de la meute royale peints par François Desportes puis Jean-Baptiste Oudry vinrent orner ses appartements de Compiègne, tandis que des massacres de cerfs furent accrochés dans l’une des cours intérieures de Versailles. Les registres font parfois mention d’animaux présentant des anomalies anatomiques à leurs bois.

… la chasse dans l’art

Oudry fut chargé d’immortaliser ces « têtes bizarres » ; toute la virtuosité du peintre consiste à peindre de véritables trompe-l’œil où le rouge du sang, le brun, le beige et l’ocre du bois, de la corne et des poils créent l’illusion d’un objet réel. Le peintre Jean-Jacques Bachelier peignit les prises suivantes, comme le cerf pris par Louis XV à l’étang de Saint-Hubert le 10 juin 1767. Ces dix peintures furent accrochées dans les appartements de Versailles, Compiègne ou Fontainebleau4. Louis XV voulut aussi être représenté comme un veneur en action. Dans la série des « Chasses royales », Oudry le mit en scène comme un simple valet de limiers partant « faire le bois » pour chercher la piste du cerf, même si, fidèle à l’iconographie traditionnelle, Louis XV se fit aussi peindre dans toute sa gloire, le bras droit tendu pour indiquer la direction à suivre à ses « troupes » de veneurs, les postures évoquant les batailles de Louis XIV peintes par Van der Meulen. Ces célèbres cartons, peints d’après des esquisses levées sur place, dont huit sont conservés à Fontainebleau et un autre au Louvre, étaient soumis au roi avant d’être envoyés au Gobelins. Les tapisseries, livrées au fur et à mesure, étaient ensuite accrochées à Compiègne.

La série des « Chasses en pays étranger »

Comblant à la fois le goût de l’exotisme du roi et sa passion pour la chasse et ses représentations, la série des « Chasses en pays étranger » est commandée en 1735 pour la Petite Galerie qu’on élève au même moment au sein de ses petits appartements à Versailles. Exécutés entre 1736 et 1739, les six puis finalement huit tableaux, encastrés dans une monumentale boiserie à hauteur de regard, constituaient l’essentiel du décor. Conçus selon un même parti de composition plaçant l’animal exotique au centre et les chasseurs au premier plan, ils sont confiés à d’éminents peintres d’histoire du temps, ce qui dit assez l’ambition donnée par Louis XV à ce cycle exceptionnellement réuni à Versailles pour l’exposition.

Nicolas Lancret, La Chasse du tigre, 1736. Huile sur toile, 176,5 x 128,5 cm Paris, musée du Louvre, en dépôt au musée de Picardie, Amiens.

Nicolas Lancret, La Chasse du tigre, 1736. Huile sur toile, 176,5 x 128,5 cm Paris, musée du Louvre, en dépôt au musée de Picardie, Amiens. Photo service de presse. © RMN – H. Lewandowski

Un casse-tête logistique

Ces plaisirs cynégétiques mobilisaient d’énormes moyens. Louis XV posséda jusqu’à onze équipages destinés à la chasse du sanglier, du cerf, du daim et du chevreuil, sans oublier les équipages de chasse au faucon. Avec en moyenne 1 200 000 livres dépensés chaque année, 600 chiens et 300 chevaux hébergés dans le grand chenil de Versailles et ses annexes, la vénerie connut un véritable apogée. Le roi chassait souvent à courre cinq jours sur sept, et sortait encore plusieurs fois tirer le faisan dans les forêts autour de Versailles. Ce rythme épuisait les courtisans comme les veneurs : « J’entends toujours demander si les chiens et les chevaux sont las, et jamais les hommes ! », se serait un jour exclamé le premier piqueur Lasmartres, si l’on en croit le comte de Cheverny. Même l’âge ne détourna pas Louis XV de sa passion, malgré les chutes de plus en plus fréquentes que les contemporains relatent dans leurs écrits, ceux qui le voyaient à la chasse le trouvant vers la fin du règne de plus en plus fatigué. Toujours suivi par ses courtisans, le roi chassait principalement à Versailles, Marly et Saint-Germain-en-Laye, tout en séjournant l’été à Compiègne et l’automne à Fontainebleau. En outre, les princes de Condé, de Conti, le duc d’Orléans et le comte de Toulouse durent souvent lui organiser des chasses dans leurs forêts domaniales. La chasse joua aussi un rôle dans l’histoire de l’architecture : Louis XV fit agrandir le château de Choisy, bâtir celui de Saint-Hubert et construire plusieurs pavillons de chasse comme la Muette (forêt de Saint-Germain-en-Laye) ou le Butard (près de Versailles), avant de se lancer dès 1751 dans l’ambitieux chantier de Compiègne, sa forêt favorite.

Joseph Ducy (géographe), François Roumier (sculpteur), Gaspard Marc Bardou (doreur), plateau de la table des chasses de Louis XV avec le plan du domaine de Compiègne, 1736. Chêne doré et stuc, 88 x 143,7 x 71,3 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

Joseph Ducy (géographe), François Roumier (sculpteur), Gaspard Marc Bardou (doreur), plateau de la table des chasses de Louis XV avec le plan du domaine de Compiègne, 1736. Chêne doré et stuc, 88 x 143,7 x 71,3 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN / Château de Versailles – D. Arnaudet

Des chasses médiatiques ?

Malgré l’implication du roi, qui y trouvait le moyen d’échapper au protocole et de se vider l’esprit, la chasse contribua à la construction de sa « légende noire ». Les écrits mémorialistes et diaristes, comme celui de l’avocat parisien Barbier, montrent que les chasses du roi n’étaient pas forcément populaires : « Il y a plus de six semaines que le roi est à Fontainebleau, où il se plaît parfaitement, au grand regret de tous les seigneurs de la cour. Tous les jours, il va à la chasse, et l’on court dans le même jour cerf et sanglier […]. Le roi se couche très tard. Nulle règle pour le lever, et beaucoup de dérangement pour les conseils. » Cette passion dévorante finit par donner l’impression à l’opinion naissante que le monarque délaissait les affaires du royaume pour se livrer à de sanglants plaisirs. Les dépenses considérables, les rumeurs de débauche évoquant les « soupers de retour de chasse » et les fameuses soirées du Parc aux Cerfs vinrent peu à peu miner l’image du roi. Même un ministre comme d’Argenson finit par s’épancher contre cette « passion invincible qui rapproche l’État de sa perte ». Considéré par la postérité comme un Nemrod tyrannique, Louis XV a souvent été accusé d’avoir transmis sa passion néfaste à deux de ses petits-enfants, les futurs Louis XVI et Charles X. Les recherches en cours, de même que les expositions les plus récentes, ont permis de mieux comprendre le rôle de la chasse dans l’art de régner et dans la vie de cour, mais aussi la capacité du roi à faire la part des choses, en alternant chasse et séances de travail. Loin de la légende noire, dans le domaine cynégétique, Louis XV fut sans doute, plus que ses prestigieux devanciers François Ier, Charles IX ou même Louis XIV, le plus brillant de nos monarques.

1 BnF, Manuscrits, Français 25035, Les Fastes de Louis XV…, p. 149.
2 Henri Pinoteau, Les chasses de Louis XVI : splendeur et ruine des plaisirs de Sa Majesté, Rennes, PUR, 2020, p. 22-24.
3 La Chasse chinoise commandée à Jean-Baptiste Pater fut remplacée par une Chasse au crocodile de François Boucher au sein du décor, ce qui porte à neuf le nombre de tableaux réalisés mais maintient à huit le nombre d’œuvres accrochées.
4 Georges de Lastic, « Louis XV : ses trophées de chasse peints par Oudry et Bachelier », Connaissance des arts, n° 188, octobre 1967, p. 110-115.

« Louis XV. Passions d’un roi », du 18 octobre 2022 au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr

Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.