Exposition Louis XV à Versailles (6/13). Le Petit Trianon

L’escalier d’honneur du Petit Trianon. © RMN / Château de Versailles – T. Garnier
C’est en 1762 que débute la construction du Petit Trianon sur les plans de Gabriel. Louis XV en a passé commande deux ans plus tôt dans l’idée d’offrir le petit château à Mme de Pompadour. Considéré depuis sa création comme un chef-d’œuvre d’élégance, le Petit Trianon est également l’édifice le plus copié au monde depuis deux siècles.
Aussi est-il réducteur d’en faire un « moment de perfection de l’art français » et de lui dénier d’autres influences, au premier rang desquelles l’antique et surtout le palladianisme : ce mouvement universel, qui triomphe dans l’Europe des Lumières, a été sans doute trop rapidement évacué de l’historiographie versaillaise. Le succès de l’édifice tient sans doute également à son statut monumental ambigu : est-ce une villa, un petit château ou bien une gigantesque fabrique de jardin ? Il fascine également par son inutilité, s’ajoutant à une séquence déjà bien fournie : Trianon de marbre, pavillon du Jardin français et pavillon du Salon frais… Enfin, sa position topographique est curieuse : implanté au bord d’une terrasse, ce bâtiment-cube absorbe les dénivellations du terrain et offre à la vue quatre façades différentes – sorte d’anti-villa Rotonda qui, elle, en possédait quatre identiques. Paraphrasant Verlaine, on pourrait presque dire que le Petit Trianon n’est jamais tout à fait le même, ni tout à fait un autre.
La façade sur la cour du Petit Trianon. © Alamy banque d’images – I. Leksina
Un chantier cher au roi
C’est en 1760 que Gabriel reçoit la commande de cet édifice, alors destiné à Mme de Pompadour, l’ancienne maîtresse royale devenue l’amie et la confidente du roi ; celle-ci possède déjà une théorie de belles demeures, à Paris (l’Élysée), en Île-de-France (ermitages de Versailles et de Fontainebleau) et en province (Ménars). Le premier architecte du roi, qui sacrifie un grand portique de treillage fermant le Jardin français, n’a pas immédiatement trouvé l’équilibre de son bâtiment : s’il propose dès 1761 un plan carré et un édifice sans toiture apparente, deux traits distinctifs de l’édifice réalisé, il hésite sur les élévations, d’abord organisées maladroitement sur trois travées voire, pour la dernière, sur quatre, chiffre impair condamné par la tradition. La dilatation du carré permet le passage à des façades de cinq travées et la mise en place de véritables avant-corps. Sur deux des côtés, l’architecte utilise l’ordre colossal sur un soubassement à bossages, dont il est familier, tandis que, les deux façades sur les terrasses comptant un niveau de moins, l’ordre y repose directement sur le sol, suivant la mode en vogue que Gabriel reprendra au pavillon central de l’École militaire. Ainsi les petits-bois des croisées du rez-de-chaussée et du second étage font-ils contraste avec les grands carreaux des fenêtres du bel étage, rétablis lors de la dernière restauration : plus lumineux, et laissant mieux voir le paysage, ceux-ci éclairent en effet les appartements royaux.
Une décennie de travaux
Commencé au printemps 1762, le chantier est poussé par Louis XV, qui y consacre d’importants crédits dès la signature de la désastreuse paix de Paris en 1763. Si le gros-œuvre n’est pas tout à fait terminé lorsque Mme de Pompadour décède, en avril 1764, l’édifice est couvert en novembre suivant. Les intérieurs, dont toute la sculpture ornementale a été confiée à Honoré Guibert, ne sont achevés qu’en 1768. Le dernier chantier de Trianon est la chapelle, élevée en 1773 à gauche de la cour d’honneur. On sait que la dernière maîtresse du roi, Mme du Barry, s’établit au petit château à partir de 1769 ; elle en sera chassée par le jeune Louis XVI, qui offre la maison à son épouse légitime, achevant de faire de cette architecture virile un temple de Vénus.
Le grand escalier
Outre le décor minéral de la cage, sculpté avec finesse par Guibert, on admire la rampe de fer forgé et bronze doré, due aux serruriers Gamain et Brochois, et qui a reçu plus tard le chiffre de Marie-Antoinette.
Détail de la rampe d’escalier du Petit Trianon. © Actu-culture.com / OPM
La réussite de Gabriel
En une synthèse subtile, Gabriel a pris à l’art de la Renaissance maniériste le goût de bossages qui brochent sur les chambranles des baies (rez-de-chaussée sur la cour), motif qu’on retrouve aux palais de la place Louis XV, mais surtout les angles à vif de Palladio, parti rare dans l’architecture française, qui permet au cube de tourner dans l’espace, comme Hardouin-Mansart l’avait déjà compris à l’église du dôme des Invalides. Un discret rappel des ovales enguirlandés du Louvre de Lescot sur les murs convexes de la cour marque, avec la perfection de la modénature, la dette de Gabriel envers les maîtres de l’architecture royale « à la française ». Les intérieurs du Petit Trianon offrent, quant à eux, une coupe parfaite sur l’évolution du goût sous Louis XV. Une distribution complexe, rendue possible par le plan triple en profondeur ; un escalier à la cage toute minérale ; des boiseries aux couleurs douces où l’or n’a pas le premier rang… contribuent à un sentiment de force et de pureté.
Jean-Baptiste II Lemoyne, Ange Jacques Gabriel, premier architecte du roi, vers 1750. Marbre, 76 x 59,5 x 32 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN / Musée du Louvre – H. Lewandowski
« Louis XV. Passions d’un roi », du 18 octobre 2022 au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.
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