Exposition Louis XV à Versailles (8/13). La manufacture royale de Vincennes-Sèvres

Manufacture de Vincennes, Pierre Louis Philippe Armand le Jeune, jatte à punch du service à fond bleu céleste, 1753-1754. Porcelaine tendre, H. 14 ; D. 33,7 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN / Château de Versailles – G. Blot
Si Louis XV ne fut pas à l’origine de la création à Vincennes de l’une des plus célèbres manufactures européennes de porcelaine du XVIIIe siècle, il lui apporta un appui décisif et se montra un mécène au goût sûr.
Le soutien du roi à la manufacture de Vincennes-Sèvres permit à la jeune entreprise d’atteindre les objectifs que ses premiers protecteurs lui avaient assignés de concurrencer, voire surpasser les productions de la manufacture saxonne de Meissen. Cette création répondait également à des exigences économiques. La porcelaine était alors considérée comme un véritable or blanc, et les importations en grand nombre de porcelaines étrangères constituaient une menace sérieuse pour l’équilibre des finances du royaume.
Manufacture royale de porcelaine de Sèvres, Martin Carlin et Charles Nicolas Dodin, commode à décor de plaques de porcelaine (détail), 1765 (plaques de porcelaine), 1772 (livraison). Bâti de chêne, placage de poirier, bois de rose et amarante, porcelaine tendre, bronze doré, marbre blanc, glaces de miroir, 82,5 x 119 x 48 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN / Musée du Louvre – D. Arnaudet
Un défi technique
Les trois ouvriers transfuges de la manufacture de Chantilly qui, après la mort du duc de Bourbon, étaient parvenus à se placer sous la protection bienveillante de l’intendant des Finances, Orry de Fulvy, furent installés en 1740 dans une tour du château de Vincennes pour mener à bien leurs premiers essais. Très tôt, le roi apporta une première aide financière. En 1745, avec le soutien du nouveau contrôleur des Finances, Machault d’Arnouville, un proche de Mme de Pompadour, une compagnie par actions fut constituée à laquelle Louis XV accorda un privilège extrêmement protecteur pour fabriquer en France « de la porcelaine, façon de Saxe, peinte et dorée à figure humaine… ». Le privilège reconnaissait implicitement la haute qualité de la pâte mise en œuvre par Gérin. Pour imiter la Saxe, on se mit à fabriquer des fleurs en porcelaine dont on fit d’extraordinaires bouquets que l’on plaçait sur des terrasses en bronze doré. On développa également une importante production de sculpture émaillée.
Manufacture de Sèvres, Charles Nicolas Dodin (attr. à), Portrait en grisaille de Louis XV dans une guirlande de fleurs. Porcelaine tendre et bronze doré, 35,5 x 25,5 cm. Saint-Pétersbourg, musée national de l’Ermitage. © D.R.
Un chef-d’œuvre de Martin Carlin
Sous Louis XV se répandit la mode des meubles d’ébénisterie décorés de plaques de porcelaine. La comtesse Du Barry en avait le goût, comme en témoignent plusieurs commandes qu’elle passa, et notamment cette commode qu’on pense avoir été livrée par l’ébéniste Martin Carlin en 1772 pour la chambre de son appartement à Versailles. Les trois plaques ornant la façade du meuble s’inspirent plus ou moins librement de compositions galantes peintes par Nicolas Lancret et Jean-Baptiste Pater ; celles des côtés reprennent assez fidèlement deux dessus-deporte sur les thèmes de la comédie et de la tragédie, peints par Carle Vanloo dans le salon de musique de la marquise de Pompadour au château de Bellevue. Un riche décor de bronze ciselé et doré vient rehausser les tons du bois. Abondant et varié dans ses motifs, il est harmonieusement réparti sur l’ensemble de la commode. Bien que celle-ci ne porte pas l’estampille de Martin Carlin, les caractéristiques techniques du meuble laissent peu de doute sur son attribution. A.F.
Manufacture royale de porcelaine de Sèvres, Martin Carlin et Charles Nicolas Dodin, commode à décor de plaques de porcelaine, 1765 (plaques de porcelaine), 1772 (livraison). Bâti de chêne, placage de poirier, bois de rose et amarante, porcelaine tendre, bronze doré, marbre blanc, glaces de miroir, 82,5 x 119 x 48 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN / Musée du Louvre – D. Arnaudet
Un âge d’or de la manufacture royale
Devant ces nombreux progrès techniques, le roi décida d’accorder une protection pérenne à la manufacture. En 1753, il lui accorda un nouveau privilège et acquit un quart des actions de la compagnie, faisant d’elle une manufacture royale. En 1759, Louis XV acheta toutes les actions encore en circulation et devint propriétaire à part entière de l’établissement. Mais son soutien ne fut pas seulement d’ordre juridique et financier. En 1756, le transfert des ateliers à Sèvres, dans un bâtiment parfaitement adapté à ses fonctions, permit un développement remarquable de la production. Louis XV multiplia en outre les commandes et les achats pour lui-même, pour ses proches, pour des officiers ou des ministres méritants et, à partir de 1758, pour les besoins de la diplomatie. La commande la plus importante du règne demeure celle du service à fond bleu céleste, qui comportait 1 749 pièces et qui fut livré au souverain entre 1753 et 1755. Le roi acquit également de très nombreuses pièces de sculpture et plusieurs garnitures de vases exceptionnelles, se montrant dans ses choix toujours à l’affût des formes les plus récentes et des fonds de couleur les plus raffinés. En 1758, Louis XV eut l’idée lumineuse d’organiser à Versailles des expositions-ventes des plus beaux produits de la manufacture, d’abord dans ses cabinets du deuxième étage, puis, dans les salles neuves de son appartement intérieur, réaménagées par Gabriel en 1769. Ces ventes eurent un immense succès auprès de la famille royale et de la grande aristocratie. Comme les cadeaux diplomatiques envoyés par Louis XV à plusieurs souverains et ambassadeurs étrangers, elles devaient contribuer à la renommée européenne de la manufacture royale.
Manufacture de Vincennes, Bouquet de la dauphine, 1749. Porcelaine tendre et bronze doré, 115,6 x 65,6 x 43,2 cm. Dresde, Zwinger, Porzellansammlung. © RMN / BPK, Berlin – J. Karpinski
« Louis XV. Passions d’un roi », du 18 octobre 2022 au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.
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Exposition Louis XV à Versailles
8/13. La manufacture royale de Vincennes-Sèvres