Exposition Louis XV à Versailles (9/13). La peinture au temps du Bien-Aimé

Jean-Marc Nattier, Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle, duchesse de Châteauroux, en Point du jour, vers 1740-1744. Huile sur toile, 80,7 x 100,8 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © RMN / Château de Versailles – D.R.
Le règne personnel de Louis XV, entre 1723 et 1774, est un temps particulièrement riche pour l’évolution de la peinture en France. L’affirmation du pouvoir royal à partir de 1743 se traduit, notamment, par la reprise en main de la politique artistique. Sensible à l’esthétique gracieuse qui domine l’art de son temps, Louis XV soutient également la grande peinture d’histoire en sollicitant les meilleurs artistes de son règne.
S’il est impossible ici de donner un panorama complet du foisonnement exceptionnel de la création picturale durant ces cinq décennies, quelques éléments clefs doivent être soulignés. La période est marquée par l’épanouissement des institutions artistiques créées par Louis XIII et Louis XIV (l’Académie royale de peinture et de sculpture, l’Académie de France à Rome, la tenue du Salon et le fonctionnement des manufactures). C’est aussi un moment d’émancipation de la peinture française qui s’affirme face à ses modèles italiens et nordiques et se rebelle contre la hiérarchie des genres. Alors que Rome devient progressivement une ville musée, pour la première fois depuis le XVIe siècle les créations françaises sortent des frontières du royaume pour conquérir l’Europe.
Charles Natoire, Psyché recueillie par Zéphyr, du cycle L’Histoire de Psyché décorant le salon de l’hôtel de la princesse de Soubise, 1737-1738. Paris, Archives nationales. © Archives nationales de France
La peinture et ses outils sous le règne de Louis XV
Sur le plan institutionnel, l’activité artistique s’organise à Paris autour de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Cette structure est placée sous l’autorité du directeur des Bâtiments du roi, qui décide des domaines à privilégier. Sous Louis XV, quatre fortes personnalités se succèdent à ce poste : le duc d’Antin (jusqu’en 1736), Philibert Orry (1736-1746), le marquis Lenormant de Tournehem (1746-1751) et le marquis de Marigny (1751-1774). Quant au poste de premier peintre, il est d’abord pourvu par deux héritiers du Grand Siècle, Antoine Coypel et Louis Boullogne, suivis par François Lemoyne, Charles Antoine Coypel, Carle Vanloo, François Boucher et Jean-Baptiste Marie Pierre. L’événement le plus important organisé par l’Académie est le Salon, qui se tient de façon régulière au Louvre, à partir de 1737 et qui génère un nouveau rapport entre les œuvres et le public, contribuant à l’essor de la critique. La tradition académique du XVIIe siècle avait hiérarchisé les sujets et formats de la peinture en cinq genres dont le sommet était occupé par les sujets d’histoire. Les changements de goût et l’appétit des collectionneurs pour les petits tableaux favorisent un essor sans précédent des genres dits « mineurs ». Toutefois, si la France aime de plus en plus les petits tableaux de genre qui triomphent dans la première moitié du XVIIIe siècle avec les scènes galantes d’Antoine Watteau et de ses émules, la défense de la peinture d’histoire demeure en cette période une préoccupation majeure ; dans les années 1715-1750, la commande religieuse est notamment au chevet de ce genre qui perd peu à peu sa première place.
L’Apothéose de Lemoyne
Ce monumental décor est l’une des grandes commandes de peinture de Louis XV pour Versailles. Passée à François Lemoyne, comme celle du Louis XV donnant la paix à l’Europe pour le salon de la Paix, elle témoigne du fait que le roi, s’il appréciait les pastorales et les nus mythologiques chers à son temps, n’en était pas moins aussi un défenseur du « grand goût ».
François Lemoyne, L’Apothéose d’Hercule, plafond du salon d’Hercule, 1736. Huile sur toile, 18,5 x 17 m. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. © RMN / Château de Versailles – G. Blot / H. Lewandowski
De nouveaux peintres d’histoire
Entre la fin du Grand Siècle et la Régence, la peinture de genre connaît une révolution avec les fêtes galantes, dans lesquelles les riches effets de lumière et de couleur s’allient à une grande liberté d’exécution, tandis que Jean-Marc Nattier donne un nouvel élan plus naturel et léger à l’art du portrait. Parallèlement, la peinture d’histoire est dominée par cinq artistes de grande envergure. Jean Restout poursuit et développe avec un nouveau souffle la tradition des grands tableaux religieux de Jean Jouvenet. Charles Antoine Coypel, fils d’Antoine, à la fois peintre et théoricien, s’attache à transcrire la poétique de la tragédie classique, dont l’aspect théâtral et parfois illusionniste se retrouve dans ses commandes religieuses. Son oncle, Noël Nicolas, s’illustre surtout dans le domaine de la mythologie avec des coloris lumineux qui imprègnent également ses œuvres bibliques. Enfin, François Lemoyne, au style italianisant, s’impose comme l’un des premiers peintres d’histoire de son temps. En 1727, le concours organisé par le duc d’Antin, auquel participent ces peintres, consacre à égalité Lemoyne et Jean-François de Troy. La peinture d’histoire est alors d’une grande variété et hésite entre la grande manière du XVIIe siècle et l’esprit plus léger et décoratif des compositions baroques d’artistes vénitiens comme Tiepolo, Pellegrini ou Sebastiano Ricci. Le résultat parfois spectaculaire de cette tentation vénitienne se lit dans les compositions scintillantes de De Troy.
Un chef-d’œuvre de François Boucher
Après un bref passage dans l’atelier de François Lemoyne, Boucher séjourne à Rome de 1727 à 1731. Il y dessine le paysage et se familiarise avec la peinture baroque du XVIIe siècle italien. Sa réception à l’Académie royale de peinture, en 1734, marque le début d’une brillante carrière officielle touchant de multiples domaines : illustration, peinture mythologique et galante, cartons de tapisserie, modèles pour des porcelaines, décors de théâtre et d’opéra, tableaux religieux, portraits et paysages. Artiste favori de la marquise de Pompadour, nommé premier peintre du roi en 1765, Boucher est l’un des artistes les plus accomplis de son temps et l’un des interprètes majeurs de l’art rocaille. C’est en 1750, au faîte de sa renommée, qu’il peint La Lumière du monde à la demande de Mme de Pompadour. L’œuvre est destinée à une antichambre du château de Bellevue qui peut être à l’occasion transformée en chapelle. Le tableau s’y trouve dissimulé dans une armoire. L’œuvre demeure sur place après la vente du château au roi en 1757 et ne quitte les lieux qu’au début des années 1760. Peu habitué aux sujets bibliques, Boucher donne de cette scène religieuse une interprétation particulièrement originale et personnelle. Baigné dans une atmosphère chaleureuse rappelant la Nativité de Corrège, l’ensemble évoque toute la douceur d’une scène familiale. Les figures féminines, en particulier, ne sont pas si éloignées des bergères qui peuplent l’œuvre du peintre des grâces.
François Boucher, La Lumière du monde, 1750. Huile sur toile, 175 x 130 cm. Paris, musée du Louvre, en dépôt au musée des Beaux-Arts de Lyon. Photo service de presse. © RMN – R.-G. Ojeda
Les peintres de Louis XV dans les années 1730-1750
Le début du règne de Louis XV correspond également à l’essor d’une jeune génération de peintres d’histoire, nés pour la plupart autour de 1700 : Charles Joseph Natoire et François Boucher, tous deux formés par Lemoyne, Pierre Charles Trémolières et Carle Vanloo. Ces derniers mettent en place un langage pictural nouveau qui dessine en grande partie l’identité visuelle de leur siècle. L’un des premiers décors emblématiques du style Louis XV où se retrouvent tous ces jeunes peintres durant les années 1730 est celui de l’hôtel de Soubise à Paris. En grande partie conservé, cet ensemble offre un exemple abouti de la place qui revient alors à la peinture et à la sculpture dans le décor intérieur. Destinées aux parties hautes des boiseries, les compositions de Vanloo, Restout, Boucher, Trémolières et Natoire dépeignent toutes des sujets mythologiques (voir « L’épanouissement de la rocaille »). Deux des peintures de Boucher sont parmi les premières à mettre en scène des bergers et bergères dans un contexte galant. Au début des années 1750, le décor du cabinet du Conseil au château de Fontainebleau offre un autre exemple remarquable de peinture décorative avec ses plafonds exécutés par Boucher et ses lambris ornés de figures allégoriques en grisailles peintes en camaïeu bleu ou rose par Vanloo et Pierre. À la demande du souverain, François Boucher exécuta pour le plafond à caissons, outre la composition centrale, quatre tableaux d’angle figurant des groupes d’enfants, allégories des saisons. À ces représentants de la peinture d’histoire qui dominent la scène entre 1730 et 1750, il faut ajouter ceux de la même génération qui donnent ses nouvelles lettres de noblesse aux autres genres, tels que Maurice Quentin de La Tour et ses saisissants portraits au pastel (voir « Histoire d’un règne, portrait d’un roi ») ou Jean Siméon Chardin qui transcende la nature morte et les scènes de vie quotidienne en leur conférant un sens poétique très particulier.
François Boucher, Le Soleil chassant la nuit, 1737. Peinture sur toile. Fontainebleau, château de Fontainebleau, plafond de la salle du Conseil du roi. © RMN / Château de Fontainebleau – G. Fessy
Fragonard peintre d’histoire
Entré à l’Académie royale avec ce sujet mythologique exposé au Salon de 1765, l’artiste connaît un succès tel que l’œuvre est acquise pour le roi. Ce n’est pas le Fragonard de la peinture de genre, mais celui de la peinture d’histoire qui a retenu l’attention royale.
Jean-Honoré Fragonard, Le Grand Prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé, 1765. Huile sur toile, 309 x 400 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN / Musée du Louvre – F. Raux.
Les enfants de Boucher et de Vanloo
Autour de 1750 s’amorce un nouveau tournant. Le regain d’intérêt progressif pour les sujets inspirés de l’Histoire romaine et des écrits comme ceux de La Font de Saint-Yenne (1747, Réflexions sur quelques causes de l’état de la peinture d’histoire en France) annoncent un renouveau de la peinture d’histoire. Les élèves de Restout, de Boucher, de Vanloo et de Natoire assureront ainsi un moment de transition qui mènera la peinture française petit à petit vers le néoclassicisme. Toutefois, malgré le désir d’un retour aux modèles canoniques de l’Antiquité et du XVIIe siècle, les styles et les parcours demeurent encore très variés et n’offrent ni la communauté de style que l’on trouvait dans la génération 1700 ni celle qu’offriront les peintres de la génération de David sous le règne de Louis XVI. Tandis que Jean-Honoré Fragonard offre avec ses portraits de fantaisie et ses scènes galantes un dernier éclat au goût rocaille, la confrontation des deux immenses toiles de Gabriel Doyen et de Joseph Marie Vien pour l’église Saint-Roch au Salon de 1767 donne le ton du nouveau goût. Dans les deux cas, ces compositions religieuses mettant en scène les premiers saints de Paris, Geneviève et Denis, donnent une vision monumentale et puissante de l’histoire. Alors que Doyen joue avec les diagonales et les effets picturaux, Vien use d’une esthétique austère et linéaire rappelant une Antiquité vue à travers l’œil d’un Eustache Le Sueur. Cette tendance à plus de naturel et de simplicité ainsi que la recherche d’une plus grande justesse historique du sujet se retrouvent dans une autre commande collective majeure de la même période, celle du cycle de la vie de Saint-Louis à la chapelle de l’École militaire au début des années 1770. S’y trouvent réunis une grande partie des peintres qui comptent désormais : Noël Hallé, Charles Amédée Vanloo, Louis Jean François Lagrenée, Hugues Taraval, Nicolas Guy Brenet, Louis Jean-Jacques Durameau, Nicolas Bernard Lépicié et naturellement Doyen et Vien. La mort de François Boucher en 1770, quatre ans avant celle du roi dont il incarne encore le règne aujourd’hui, sonne le glas d’un goût rocaille essoufflé et attaqué depuis deux décennies. Ses héroïnes charnues et libertines et ses héros aux airs peut-être trop féminins laissent la place progressivement à une esthétique plus virile et pétrie de morale, celle du Serment des Horaces de Jacques Louis David.
Gabriel François Doyen, Le Miracle des ardents, 1767. Huile sur toile, 665 x 393 cm. Paris église Saint-Roch. © SuperStock / Alamy banque d’images
« Louis XV. Passions d’un roi », du 18 octobre 2022 au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.
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