Exposition Louis XV à Versailles. Histoire d’un règne, portrait d’un roi
« Le silence des peuples est la condamnation des rois » : ainsi l’auteur d’une oraison funèbre commentait-il sévèrement la mort, le 10 mai 1774, du roi qui avait été proclamé « Louis le Bien-Aimé » un quart de siècle plus tôt. La versatilité de l’opinion n’est pas l’apanage des démocraties, encore faut-il rendre compte d’un revirement aussi spectaculaire.
Louis, duc d’Anjou, né le 15 février 1710, fut orphelin et sans fratrie deux ans plus tard. Entre février et mars 1712, une épidémie de rougeole emporta successivement son père le duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, sa mère Marie-Adélaïde de Savoie et son frère aîné le duc de Bretagne. Le 1er septembre 1715, son puissant et impressionnant aïeul mourut : Louis devenait Louis XV à 5 ans.
L’enfance du roi
Philippe d’Orléans, neveu du monarque défunt, négocia avec le parlement la plénitude des pouvoirs de la régence. Rapidement, assisté du cardinal Dubois, il veilla à former le jeune souverain. Hercule de Fleury, ancien évêque de Fréjus, désigné pour être le précepteur du petit garçon, fut suffisamment habile pour gagner la confiance de l’enfant sans outrepasser les limites de sa fonction. À l’âge où l’on entre aujourd’hui à l’école, ce dernier recopiait d’une écriture ronde et régulière des maximes morales tirées des Enseignements de saint Louis ou d’auteurs latins comme Cicéron. Le petit roi ne fut évidemment pas associé aux décisions du régent, mais il reçut très tôt une véritable formation politique. Secrétaires d’État et contrôleur général des Finances, souvent sous le regard de Philippe d’Orléans ou du cardinal Dubois, venaient lui expliquer le fonctionnement de son État, ses relations avec ses voisins européens, les grands principes de son administration, très probablement aussi une idée des réformes à mener, notamment en matière fiscale. Régulièrement, le jeune roi assista aux réunions du conseil. Il s’initia aussi à la dimension militaire de sa fonction, notamment par des manœuvres adaptées à son âge.
« [La Providence] vous a enlevé à la mort contre toute espérance humaine. »
Cardinal de Fleury
Des Tuileries à Versailles
L’enfant manifestait une grande sensibilité, qu’il pouvait épancher jusqu’à son septième anniversaire dans les jupes de « maman Ventadour », sa gouvernante. Une fois « passé aux hommes », il s’habitua à ravaler ses chagrins, ses angoisses et ses colères, en particulier lorsqu’en 1721 on lui annonça son mariage futur avec sa cousine, l’infante Marie Anne Victoire, fille de Philippe V d’Espagne, elle-même âgée de 3 ans… En revanche, le retour de la cour à Versailles en 1722 vint combler la conscience qu’il avait de son destin singulier. Après sept années passées d’abord à Vincennes puis surtout aux Tuileries à Paris, le régent décida de ramener Louis dans le palais du Roi-Soleil. Le 15 juin fut un jour d’enchantement pour le jeune roi qui put enfin replacer ses pas dans ceux de son glorieux aïeul. Quatre mois plus tard, le 25 octobre, dans la cathédrale de Reims, il vécut avec sérieux et conviction l’expérience unique du sacre, grand rituel de mystique politique.
Louis XV et la religion
Avec la religion, Louis XV entretint un rapport à la fois original, complexe et évolutif. Ayant parfaitement intériorisé les commandements de l’Église, son infidélité résolue à leur égard fut loyale. À partir de 1737, il cessa de se confesser et de communier, à deux exceptions près : à Metz en 1744 et le 7 mai 1774. Ce refus d’une hypocrisie admise de tous résultait d’une intransigeance accrue des confesseurs ; on est tenté d’y voir aussi une revendication assez moderne d’autonomie du for interne qui expliquerait sa conversion à une relative tolérance à la fin de son règne. Néanmoins, pénétré de ses devoirs, il n’en assista pas moins quotidiennement à la messe : le contraire eût signifié une remise en cause du lien essentiel entre la monarchie et Dieu. Fidèle à la distinction des compétences entre temporel et spirituel définie par Louis XIV en 1695, il échoua à imposer le silence aux parlements et à l’épiscopat dans la querelle des refus de sacrements, renonça à sauver la Compagnie de Jésus des attaques parlementaires et réforma les ordres religieux sans consulter Rome. À sa mort, le roi qui avait prêté serment de protéger l’Église ne jouissait plus de la confiance du clergé.
Louis XV le Bien-Aimé
La Régence s’acheva le jour de sa majorité, le 15 février 1723, mais Philippe d’Orléans demeura aux commandes avec le titre de principal ministre, jusqu’à sa mort brutale le 2 décembre. Le duc de Bourbon lui succéda. Il renvoya la petite infante et négocia en 1725 le mariage de l’adolescent avec la fille du roi déchu de Pologne, Marie Leszczynska, de sept ans son aînée. Jusqu’en 1737, dix enfants naquirent : sept parvinrent à l’âge adulte, dont un seul fils. Ce dernier, le dauphin Louis, devait mourir prématurément en décembre 1765, non sans avoir assuré l’avenir de la dynastie : ce fut le père des trois derniers rois Bourbons. En renvoyant le duc en 1726, Louis XV déclara qu’il gouvernerait par lui-même mais que le cardinal de Fleury, son ancien précepteur, assisterait au travail avec les ministres. Jusqu’à sa mort en février 1743, sans détenir aucun portefeuille ministériel et parce qu’il jouissait de l’entière confiance du roi, le vieux prélat (âgé de 73 ans en 1726) joua un rôle essentiel dans le gouvernement du royaume, pour les affaires intérieures comme pour la politique étrangère. Cette période apparaît comme celle de la monarchie triomphante. La magistrature parlementaire, qui avait relevé la tête depuis la mort de Louis XIV et revendiquait un rôle de conseil et de contrôle de la Couronne, fut tenue en laisse ; la remuante minorité janséniste du clergé méthodiquement renvoyée à une semi-clandestinité ; les protestants toujours réprimés, quoiqu’avec des nuances selon les régions. En Europe, le royaume retrouvait la place d’arbitre perdue depuis la fin du règne de Louis XIV. La guerre de Succession de Pologne (1733-1738) avait donné à peu de frais l’expectative de la Lorraine (annexée en 1766). Les campagnes triomphales du maréchal de Saxe aux Pays-Bas autrichiens (dont la victoire de Fontenoy en 1745 en présence du roi et du dauphin) semblaient consacrer une hégémonie retrouvée. Même si les aléas météorologiques n’épargnaient pas toujours les récoltes et si la disette n’avait pas disparu, la France connaissait alors une période de prospérité dont la croissance régulière et modérée des prix constituait un signe visible. Ému par la maladie qui avait tenu le roi entre vie et mort à Metz dans l’été 1744, le peuple s’était pressé dans les églises et avait adopté le surnom de « Bien-Aimé » attribué à cette occasion au souverain par un prédicateur.
Madame de Pompadour
Emblématique d’une époque, la marquise de Pompadour (1721-1764) occupe une place unique dans les chroniques de la monarchie. Jusqu’alors, les maîtresses déclarées étaient choisies dans l’aristocratie. Louis XV créa le scandale en 1745 en installant à Versailles une roturière. Fille d’un commissaire aux vivres, protégée par le fermier général Le Normant de Tournehem qui fut son tuteur légal, introduite dans la sociabilité des salons par M me de Tencin, Jeanne Antoinette Poisson épouse en 1741 le neveu et héritier de son tuteur, Le Normant d’Étiolles. Bien qu’elle cessât d’être la maîtresse du roi en 1750, elle demeura à Versailles jusqu’à sa mort en 1764, jouissant de sa confiance calculée et, au rez-de-chaussée du château, d’un appartement directement relié au sien. Plus que son influence politique limitée compte la place qu’elle a tenue dans le dispositif de contrôle de la cour mis en place par Louis XV. Son rôle actif et important de mécène et de protectrice des arts et des lettres fut relayé par son frère, Abel, marquis de Marigny, surintendant des Bâtiments de 1751 à 1773. De manière plus trouble, elle supervisa le ravitaillement du Parc aux Cerfs en « petites maîtresses » pour le roi.
Le roi « maître » de la cour
La mort de Fleury au mois de février 1743 coïncidait avec la confirmation d’une dynamique initiée plus tôt mais encore limitée à la cour : l’affirmation, difficile et ambiguë, de la liberté du roi. Louis XV cultiva très tôt la distance avec la société de cour au risque de créer le soupçon, voire le scandale. À partir de 1745, il cessa d’y prendre ses maîtresses. Il maintint l’incertitude sur le « canal de la faveur royale » et la bonne stratégie pour l’obtenir. Dans ses soupers avec une poignée de courtisans soigneusement sélectionnés, il ne faisait jamais oublier que, dans son « particulier » aussi, il était le « maître ». Quand on attendait sa parole bienveillante et protectrice, il manifestait souvent froideur voire brutalité en public. Ainsi crut-il garder la maîtrise d’une aristocratie de cour qui se pensait chez elle dans un Versailles où le roi résidait si peu.
La réforme empêchée
Louis XV avait été élevé dans la doctrine absolutiste et, conscient des contraintes qui limitaient l’action de l’État, il tenta de trouver des marges de manœuvre. Sur le plan fiscal, il fallait remédier à la discordance croissante entre la richesse du pays et l’insuffisance des moyens de l’État. On savait depuis longtemps qu’une des solutions résidait dans la fin du privilège fiscal. Sans l’abolir entièrement, les édits de Marly du printemps 1749 préparés par le contrôleur général Machault d’Arnouville instituaient un nouvel impôt, le vingtième, assis sur tous les revenus sans distinction d’ordre, d’après une déclaration de ces derniers. L’opposition bruyante, principalement de l’épiscopat, au moment où le roi ne pouvait se passer de son appui en raison du réveil de l’agitation parlementaire et janséniste, obligea à vider en grande partie la réforme de son caractère novateur. La magistrature parlementaire exerça à partir de la fin des années 1740 une pression croissante sur le pouvoir. L’expulsion des jésuites, imposée à la Couronne dans les années 1762-1764, en constitue peut-être la meilleure illustration. Bien convaincu que le roi ne pouvait se passer des parlements, Louis XV hésitait à aller au-delà d’un exil des juges parisiens les plus remuants dans des villes de province plus ou moins éloignées. À la fin de son règne, il se résolut à frapper plus fort. La réforme du parlement de Paris, imposée par l’édit de février 1771 du chancelier Maupeou, est parfois restée sous le nom de « coup de majesté ». En ouvrant une brèche dans la vénalité des offices et en transformant les juges en « protofonctionnaires », elle pouvait peut-être déboucher sur des changements plus radicaux. Mais il est probable que le roi lui-même ne voyait pas plus loin, et, de toutes les façons, Louis XVI ferma cette perspective en rapportant l’édit peu après son avènement.
Le renversement des alliances
Au lendemain de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), Louis XV sembla tourner le dos à l’idéal du roi de gloire porté au plus haut par Louis XIV. Au lieu de conserver les Pays-Bas autrichiens conquis légitimement selon les conceptions de l’époque, il les restitua à l’impératrice Marie-Thérèse : l’expression « bête comme la paix » fit alors florès. Quelques années plus tard, en 1756, contre l’avis de la majorité de ses ministres et suscitant l’incompréhension de l’opinion, il signa une alliance avec l’Autriche alors que les Habsbourg, rivaux de la France depuis la fin du XVe siècle, apparaissaient comme l’ennemi naturel et héréditaire. La guerre de Sept Ans (1756-1763) ne confirma pas les attentes du roi mais l’hégémonie sur mer du concurrent désormais le plus menaçant : la France dut céder à l’Angleterre la majeure partie de ses colonies en Amérique et aux Indes. Mais, profondément pacifique, Louis XV refusa jusqu’au bout la revanche : ce fut l’une des raisons de la disgrâce en 1770 du duc de Choiseul, qui avait dominé le gouvernement dans les années 1760. Le mariage du petit-fils de Louis XV avec l’archiduchesse Marie-Antoinette en 1770 devait garantir la pérennité de cette alliance autrichienne. En revanche, le jeune roi qui monta sur le trône au printemps 1774 n’avait guère été préparé par son grandpère à relever les défis financiers et politiques posés à la monarchie.
Madame Du Barry
En 1768, en prenant pour maîtresse Jeanne Bécu (1743-1793), fille du peuple née d’amours illicites avec un religieux et mariée au comte Du Barry en vue de sa présentation à la cour, Louis XV choisit délibérément la provocation et recueillit une désapprobation plus forte encore qu’avec M me de Pompadour. Mais il affirma aussi de manière radicale sa liberté vis-à-vis de l’aristocratie, qui vécut cette intronisation comme un affront. Moins encore que la précédente favorite M me Du Barry fut en mesure de jouer un rôle politique. Elle fut plutôt le jouet de la rivalité entre partisans et adversaires du duc de Choiseul, et n’influença en aucune manière la disgrâce de ce dernier. Installée au troisième étage des petits appartements à Versailles, elle reçut également du roi le château de Louveciennes. Comme la Pompadour, elle exerça son mécénat, mais la mort du roi en 1774 lui en ôta rapidement les moyens. Après une période de disgrâce, elle retrouva en 1776 son Louveciennes où elle vécut désormais jusqu’à la Révolution. Maîtresse du duc de Brissac, commandant de la garde constitutionnelle du roi et victime des massacres de septembre, elle fut arrêtée un an plus tard et guillotinée en décembre 1793.
« Louis XV. Passions d’un roi », jusqu’au 19 février 2023 au château de Versailles, place d’Armes 78000 Versailles. Tél. 01 30 83 75 05. www.chateauversailles.fr
Catalogue sous la direction de Yves Carlier et Hélène Delalex, In Fine / Château de Versailles, 496 p., 49 €.