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François Boucher au musée des Beaux-Arts de Tours : de la peinture à l’opéra

François Boucher, Sylvie fuyant le loup qu’elle a blessé (détail), 1756. Huile sur toile, 123,5 x 134 cm. Tours, musée des Beaux-Arts.

François Boucher, Sylvie fuyant le loup qu’elle a blessé (détail), 1756. Huile sur toile, 123,5 x 134 cm. Tours, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © musée des Beaux-Arts de Tours - D. Couineau

Renommé pour ses tableaux mythologiques et de pastorales, François Boucher (1703-1770) est l’infatigable auteur de plus de 1 500 tableaux, de milliers de dessins et de cartons de tapisserie. L’évocation du nom du Premier peintre du roi Louis XV suffit habituellement à convoquer un imaginaire foisonnant, peuplé de nymphes alanguies et de bergers amoureux. Pourtant, cette image d’Épinal masque le caractère exceptionnellement fécond d’un artiste féru d’arts dramatique et lyrique. L’exposition du musée des Beaux-Arts de Tours lève le voile sur un aspect encore assez confidentiel de son œuvre : sa passion pour les arts de la scène.

Se divertir à Paris au XVIIIᵉ siècle : François Boucher et les arts de la scène 

En 1715, la société française, éprouvée par l’austère fin de règne de Louis XIV, aspire à retrouver plaisirs et légèreté. Quittant Versailles pour le Palais-Royal, le régent Philippe d’Orléans refait de Paris l’épicentre politique et artistique du royaume de France. Le théâtre de ville connaît un essor sans précédent à l’Académie royale de musique (Opéra de Paris), au Théâtre-Français et Italien1, et à l’Opéra-Comique. Avec le retour de Louis XV à Versailles en 1723, le théâtre de Cour, réservé à l’aristocratie, renaît sans pour autant mettre un terme à l’effervescence de la vie culturelle parisienne.

Peintre d’histoire et de dessinateur pour le théâtre

En 1734, François Boucher est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture comme peintre d’histoire avec Renaud et Armide, dont le sujet tiré de l’opéra Armide (1686) témoigne de l’engouement des académiciens pour le répertoire lyrique. La même année, Boucher illustre une nouvelle édition des Œuvres de Molière. Les trente-trois dessins qu’il livre pour la gravure témoignent d’une intime connaissance des pièces du dramaturge, qu’il modernise en habillant ses personnages de vêtements contemporains dans des intérieurs rocailles. La planche de L’Amour médecin séduit par l’expressivité des personnages, qui prête à rire. 

François Boucher, L’Amour médecin tiré des Œuvres de Molière, 1734. Eau-forte et burin, 19,4 x 13,9 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits.

François Boucher, L’Amour médecin tiré des Œuvres de Molière, 1734. Eau-forte et burin, 19,4 x 13,9 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits. © BnF

« L’année 1737 marque l’entrée décisive de François Boucher à l’Opéra de Paris. Placé sous la direction de Giovanni Niccolò Servandoni, qui triomphe alors pour ses décors spectaculaires et illusionnistes, [il] participe à 19 opéras jusqu’en 1739. »​​​

L’Opéra de Paris

L’année 1737 marque l’entrée décisive de François Boucher à l’Opéra de Paris. Placé sous la direction de Giovanni Niccolò Servandoni, qui triomphe alors pour ses décors spectaculaires et illusionnistes, Boucher participe à 19 opéras jusqu’en 1739. Son activité au sein de l’institution semble ensuite s’interrompre, avant de reprendre entre 1744-1748/1749 et 1761-1767. Cette chronologie, établie au XIXsiècle par les frères Goncourt2, doit toutefois être nuancée. La contribution de Boucher à l’Opéra paraît en effet avoir été plus régulière, comme l’attestent les comptes-rendus des spectacles du Mercure de France 3. L’artiste est ainsi cité pour avoir participé aux décorations de la quatrième reprise d’Issé, pastorale héroïque d’André Cardinal Destouches et Antoine Houdar de La Motte, le 14 novembre 1741. Au cours de sa deuxième période d’activité à l’Académie royale de musique, entre 1744 et 1749, François Boucher succède à Servandoni et contribue aux décors de 32 opéras, aidé de nombreux assistants. C’est également en tant que décorateur en titre que le peintre reviendra une dernière fois au service de l’institution, entre 1761 et 1767, œuvrant personnellement à 13 opéras. Des 64 spectacles ayant bénéficié du talent de Boucher, en trente ans, peu de vestiges matériels subsistent compte-tenu de la fragilité et du caractère éphémère tant des décors que des costumes. Par chance, la Bibliothèque nationale de France conserve quelques beaux témoignages, tels la maquette de costume pour les chœurs d’Armide ou l’élégant décor sinisant d’un opéra pourtant tenu de se passer en Inde, Aline, reine de Golconde

François Boucher, Projet de costume pour les chœurs d’« Armide », 1761. Encre et aquarelle sur papier, 22,7 x 12,2 cm. Paris, BnF, bibliothèque-musée de l’Opéra.

François Boucher, Projet de costume pour les chœurs d’« Armide », 1761. Encre et aquarelle sur papier, 22,7 x 12,2 cm. Paris, BnF, bibliothèque-musée de l’Opéra. © BnF

Voir et être vu

Au XVIIIe siècle, l’expérience d’un spectateur est sensiblement différente de celle d’aujourd’hui. Du fait de l’éclairage à la bougie, les lustres restent allumés tout le temps de la représentation. La disposition latérale des loges ne favorise guère une écoute attentive et le public du parterre, debout, se déplace sans cesse. L’Opéra est surtout l’occasion de faire des rencontres et de se donner à voir. Malgré tout, l’on se passionne d’histoires d’amour merveilleuses et bucoliques, mêlant divinités et mortels. Les acteurs et actrices, vêtus de lourds costumes, évoluent au sein d’un décor composé de châssis et d’une toile de fond, conçus par des menuisiers et des peintres.

Charles Nicolas Cochin le Jeune, La Marquise de Pompadour dans une scène de l’opéra « Acis et Galatée », 1749. Gouache sur mine de plomb avec traces de plume et encre brune sur papier vergé ivoire avec bordures à la feuille d’or, 16,5 x 41 cm. Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada.

Charles Nicolas Cochin le Jeune, La Marquise de Pompadour dans une scène de l’opéra « Acis et Galatée », 1749. Gouache sur mine de plomb avec traces de plume et encre brune sur papier vergé ivoire avec bordures à la feuille d’or, 16,5 x 41 cm. Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada. © musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa

« En 1755-1756, le “peintre des Grâces” livre à [Madame de Pompadour] quatre autres tableaux illustrant les aventures du berger Aminte et de la nymphe Sylvie. »

François Boucher et madame de Pompadour : la passion de la scène 

En 1745, François Boucher s’attache les faveurs d’une femme de renom : Jeanne Antoinette Poisson, plus connue sous le nom de Madame de Pompadour, nouvelle favorite de Louis XV. Personnalité incontournable du monde des arts, amatrice et mécène, la marquise est également une excellente chanteuse, danseuse et comédienne. Partageant avec Boucher la passion de la scène, elle lui commande en 1748 le décor de son nouveau théâtre éphémère des Petits Cabinets à Versailles, où elle se produit devant le roi et un cercle restreint jusqu’en 17534. Bien que les circonstances de la commande soient mystérieuses5, c’est sans doute en souvenir de ses représentations dans les rôles de la bergère Issé et de la nymphe Sylvie que la marquise fait exécuter par Boucher cinq tableaux, au cœur de l’exposition du musée de Tours. Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé met en scène le dieu Apollon apparaissant à Issé dans toute sa gloire, après avoir éprouvé sa fidélité en se faisant passer pour un berger. La scène, marquant le dénouement de l’opéra Issé, est jouée à Versailles les 26 novembre, 16 et 22 décembre 1749. Évocation lointaine de l’opéra, le tableau des collections tourangelles relève davantage d’une scène mythologique idéalisée où le visage de la marquise paraît incrusté.

François Boucher, Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, 1750. Huile sur toile, 129 x 157,5 cm. Tours, musée des Beaux-Arts.

François Boucher, Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé, 1750. Huile sur toile, 129 x 157,5 cm. Tours, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © musée des Beaux-Arts de Tours – D. Couineau

L’histoire d’Aminte et Sylvie

En 1755-1756, le « peintre des Grâces» livre à sa mécène quatre autres tableaux illustrant les aventures du berger Aminte et de la nymphe Sylvie. Tiré du poème Aminta de Torquato Tasso (1580), l’intrigue est transcrite en opéra par Pierre Laujon et Pierre Montan Berton en 1749.

François Boucher, Sylvie guérit Philis de la piqûre d’une abeille (détail), 1755. Huile sur toile, 104,8 x 141,5 cm. Paris, Banque nationale de France.

François Boucher, Sylvie guérit Philis de la piqûre d’une abeille (détail), 1755. Huile sur toile, 104,8 x 141,5 cm. Paris, Banque nationale de France. Photo service de presse. © Banque de France

Joué pour la première fois à Versailles, avec la Pompadour dans le rôle-titre de Sylvie, avant d’être repris à Fontainebleau puis à l’Opéra de Paris, l’opéra Silvie 7 s’impose comme l’un des plus grands succès du répertoire lyrique.

François Boucher, Sylvie délivrée par Aminte, 1755. Huile sur toile, 104,8 x 141 cm. Paris, Banque nationale de France.

François Boucher, Sylvie délivrée par Aminte, 1755. Huile sur toile, 104,8 x 141 cm. Paris, Banque nationale de France. Photo service de presse. © Banque de France

Les tableaux de François Boucher, séparés depuis la fin du XVIIIe siècle entre le musée de Tours et la Banque de France, sont réunis pour la première fois dans le cadre de l’exposition.

François Boucher, Sylvie fuyant le loup qu’elle a blessé, 1756. Huile sur toile, 123,5 x 134 cm. Tours, musée des Beaux-Arts.

François Boucher, Sylvie fuyant le loup qu’elle a blessé, 1756. Huile sur toile, 123,5 x 134 cm. Tours, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © musée des Beaux-Arts de Tours – D. Couineau

Restaurés pour l’occasion, les œuvres ont révélé des teintes froides et précieuses, renouvelant la vision de la palette de Boucher.  

François Boucher, Aminte revenant à la vie dans les bras de Sylvie, 1756. Huile sur toile, 122,5 x 139 cm. Tours, musée des Beaux-Arts.

François Boucher, Aminte revenant à la vie dans les bras de Sylvie, 1756. Huile sur toile, 122,5 x 139 cm. Tours, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © musée des Beaux-Arts de Tours – D. Couineau

« Déclinés en objets d’art par la Manufacture de Vincennes puis de Sèvres, les images séduisent et s’exportent dans les cours européennes […], contribuant à la notoriété de Boucher jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. »​​​

L’Opéra-Comique 

Aux côtés du sérieux Opéra de Paris, François Boucher collabore avec l’Opéra-Comique. Né sur les foires parisiennes de Saint-Laurent et Saint-Germain, l’Opéra-Comique obtient en 1714 l’autorisation de produire des comédies chantées et dansées, donnant naissance à un genre nouveau concurrençant l’Opéra et le Théâtre-Français et Italien. Dirigée par Jean Monnet et Charles Simon Favart, l’institution fusionne en 1762 avec le Théâtre-Italien. Dans les années 1740-1750, François Boucher réalise les décors et costumes de spectacles de la foire pour ses amis dramaturges. En 1745, il contribue ainsi sans doute à la célèbre pantomime des Vendanges de Tempé, remaniée en 1752 sous le titre La Vallée de Montmorency. Mettant en scène les jeux amoureux d’un petit berger et de la bergère Lisette, la pantomime rencontre un franc succès et éclaire l’inspiration mutuelle de Boucher et Favart. Du Salon à la scène, les deux amis créent des images popularisées par l’estampe et les arts décoratifs. En 1748, François Boucher reprend ainsi le motif des joueurs de flûte dans un tableau présenté au Salon; tandis que Favart s’était vraisemblablement inspiré du tableau du Pasteur galant, peint par Boucher pour l’hôtel de Soubise en 1738, pour le motif du jaloux. Déclinés en objets d’art par la Manufacture de Vincennes puis de Sèvres, les images séduisent et s’exportent dans les cours européennes, notamment en Angleterre et en Allemagne, avec les manufactures de Chelsea et de Meissen, contribuant à la notoriété de Boucher jusqu’à la fin du XVIIIsiècle.

Manufacture de Meissen (Saxe), Johann Joachim Kändler, d’après François Boucher, Le Pasteur galant : Le Jaloux, vers 1762. Porcelaine dure, 25 x 15 x 10 cm. Paris, musée Cognacq-Jay.

Manufacture de Meissen (Saxe), Johann Joachim Kändler, d’après François Boucher, Le Pasteur galant : Le Jaloux, vers 1762. Porcelaine dure, 25 x 15 x 10 cm. Paris, musée Cognacq-Jay. © Paris Musées / musée Cognacq-Jay – Eric Emo

François Boucher revisité : carte blanche à Sami Nouri

À l’occasion de l’exposition, le talentueux styliste d’origine afghane Sami Nouri, dont le destin est lié à la ville de Tours, a accepté l’invitation du musée des Beaux-Arts de créer une robe en lien avec les tableaux de François Boucher. S’inspirant des paniers et corsets des robes à la française du XVIIIsiècle, Sami Nouri en livre une vision contemporaine très personnelle. Magnifiant la femme, son costume interroge simultanément la contrainte du corps féminin, éclairant le paradoxe de la mode du temps de Boucher : un corps en cage, sur scène et à la Cour, derrière une apparente volupté. Cette question de la liberté de la femme résonne particulièrement avec l’histoire de Sami Nouri qui, au travers de ses créations, souhaite témoigner et sublimer cette réalité par la haute couture. 

Sami Nouri, Robe, 2022.

Sami Nouri, Robe, 2022. © musée des Beaux-Arts de Tours, cliché D. Couineau

« L’Amour en scène ! François Boucher, du théâtre à l’opéra », du 6 novembre 2022 au 30 janvier 2023 au musée des Beaux-Arts, 18 place François-Sicard, 37000 Tours. Tél. 02 42 88 05 90. www.mba.tours.fr

Catalogue, Snoeck, 250 p., 29 €.​​​

1 Les Comédiens-Italiens, chassés par Louis XIV, sont rappelés à Paris par le régent en 1716.

2 Sur la base des archives du théâtre, avant qu’elles ne disparaissent dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de Paris en 1871 ; voir : Edmond et Jules de Goncourt, L’Art du XVIII siècle. Première série : Watteau, Chardin, La Tour, Boucher, Paris, 1881, tome 1, pp. 218-219.

3 Pour une recension visant à l’exhaustivité, au regard des sources connues actuellement, voir Jessica Degain dans le catalogue d’exposition L’Amour en scène ! François Boucher, du théâtre à l’opéra, Snoeck, 2022, pp. 14-35.

4 La gouache d’Ottawa ne figure pas dans l’exposition, mais est substituée par une gravure d’Adolphe Lalauze, d’après Charles Nicolas Cochin le Jeune (Versailles, musée national des Châteaux de Versailles et de Trianon, inv. GRAV 3471).

5 À ce sujet, voir Jessica Degain dans le catalogue d’exposition L’Amour en scène ! François Boucher, du théâtre à l’opéra, 2022, pp. 86-101 et pp. 144-171.

6 Cette épithète revient à Pierre de Nolhac dans son ouvrage François Boucher, Premier peintre du roi, 1703-1770, Paris, 1907.

7 Par convention, on utilise « Silvie » pour respecter le titre de l’opéra, et « Sylvie » pour la dénomination courante en usage.

8 Aujourd’hui conservé à Melbourne, National Gallery of Art, inv. E1-1982.