Henri II et la commande artistique

François Clouet (atelier de), Henri II, 1559. Huile sur bois, 31,2 x 22,7 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © RMN (Château de Versailles) – G. Blot
Soucieux de valoriser l’image du souverain, Henri II a voulu y associer celle d’un roi mécène des arts. Si peu d’œuvres conservées témoignent des grandes commandes du règne, cette ambition a conduit le roi à faire travailler les meilleurs artistes du temps.
Peu de temps après son sacre, où il offre à la cathédrale de Reims l’un des plus beaux joyaux du trésor royal, le reliquaire de la Résurrection du Christ, auquel il a fait ajouter son emblématique en or émaillé, Henri II fait organiser une série de cérémonies solennelles d’entrée, accompagnées de livrets imprimés et illustrés, que l’on a avec raison perçues comme un véritable manifeste artistique. En effet, si l’on a souligné le décalage entre la réalité du cortège et des monuments éphémères l’accompagnant et l’aspect idéal décrit dans les livrets, ces cérémonies combinent des costumes somptueux, des scènes véritablement théâtrales, des constructions fortement décorées et accompagnées d’inscriptions, le tout destiné à célébrer le souverain comme le véritable héritier des empereurs de Rome, avec leur symbolique mythologique aussi bien que leur symbolique chrétienne. On retrouve l’écho de ce projet dans la dédicace à Henri II des Antiquités de Rome de Joachim Du Bellay : « Que vous puissent les Dieux un jour donner tant d’heur / De rebastir en France une telle grandeur. »

Jean Cousin le Père, Eva Prima Pandora, vers 1550. Huile sur bois, 97 x 150 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN (musée du Louvre) – M. Urtado
L’entrée royale : les arts autour d’Henri II
Les entrées les plus marquantes ont lieu à Lyon en 1548, à Paris en 1549 et à Rouen en 1550 : à chaque fois, elles proposent une recréation idéalisée de l’Antiquité comme évocation de l’âge d’or que l’action du roi Henri II fera revivre, ce qui explique l’omniprésence dans ces décors de l’héraldique royale. L’élément le plus fortement présent dans cette héraldique est le croissant de lune, identifiant la branche Angoulême au sein des Valois-Orléans, adopté comme emblème personnel par le prince Henri pour mettre en avant le symbolisme impérial qui lui est associé. Le futur souverain y a attaché les symboles liés à la déesse Diane, carquois, arc et flèches, ainsi que ses couleurs, le sable (noir en héraldique) et l’argent ; puis il a fait évoluer son monogramme, au départ constitué de l’initiale de son prénom entrelacée à deux croissants, de manière à entrelacer cette initiale avec la lettre D, pouvant signifier aussi bien Henri Deux que Henri et Diane (la déesse). La présence de couronnes, de fleurs de lys et des autres symboles royaux exclut toute allusion à Diane de Poitiers, la maîtresse en titre du souverain, laquelle utilise aussi les symboles lunaires – sans connotation royale – dans ses propres châteaux. L’objet de l’entrée royale reste néanmoins la personne même du souverain : le manuscrit enluminé de l’entrée à Rouen, témoignage exceptionnellement conservé, montre ainsi le roi assis sur un char de triomphe avec ses enfants (tous sont des acteurs) et couronné par une allégorie de la fortune. Pour l’entrée à Paris, organisée par le connétable de Montmorency, l’humaniste Jean Martin, traducteur de Vitruve et du Songe de Poliphile, travaille avec les meilleurs artistes de la cour : il en subsiste la fontaine des Innocents sculptée par Jean Goujon, peut-être les reliefs de nymphes aquatiques de la fontaine du Ponceau (dépôt du Louvre au musée national de la Renaissance) et, enfin, inspiré par l’une des pièces poétiques de la cérémonie d’entrée, le célèbre tableau de Jean Cousin intitulé Eva Prima Pandora (Louvre). Ce premier grand nu féminin de la Renaissance française, porteur des caractères stylistiques de l’école de Fontainebleau, reflète tout autant l’influence des grands modèles antiques et italiens du début du siècle. On peut évoquer dans la même approche la Vénus et l’Amour du musée de Bourges, provenant des collections de l’un des quatre secrétaires d’État d’Henri II, Guillaume Bochetel.

Henri II sur son char de triomphe couronné par la Fortune, miniature tirée de la Relation de l’entrée d’Henri II, roi de France, à Rouen, le 1ᵉʳ octobre 1550. 27 feuillets décorés sur vélin, 10 miniatures, 18,8 x 26 cm. Rouen, bibliothèque municipale. © Photo Josse / Leemage
Le déploiement des arts dans les résidences royales
En dehors des décors de Fontainebleau et du Louvre, évoqués dans le présent numéro, peu d’œuvres subsistent qui puissent être directement rattachées à une commande du roi. Cependant, bien des réalisations du règne dénotent l’influence des grandes entreprises royales. C’est par exemple le cas de la galerie peinte du château d’Oiron, dans les Deux-Sèvres, où Claude Gouffier, grand écuyer de France, confie au peintre Noël Jallier la réalisation d’une série de scènes de L’Énéide (d’après les dessins de Lelio Orsi) accompagnées de l’emblématique de François Ier et surtout d’Henri II. De même, le cabinet lambrissé de panneaux de noyer sculpté, peint et doré, confié en 1553 par un autre secrétaire d’État, Jean Duthier, au menuisier royal Francisque Scibec de Carpi, en son château de Beauregard (Loir-et-Cher), peut être considéré comme l’écho de réalisations disparues pour bien des résidences royales.
« La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. »
Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves
La qualité de ces menuiseries et le répertoire utilisé pour leur décor, tant au Louvre qu’à Fontainebleau, Anet et Beauregard, constituent également un indice très suggestif de ce que pouvait être le mobilier royal, maintenant entièrement disparu, et dont les gravures publiées par Jacques Androuet du Cerceau représentent une autre vision indirecte. L’ameublement royal faisait aussi appel de manière prépondérante au textile, comme on peut le voir sur des scènes enluminées comme la réunion en chapitre, sous la présidence du roi, des chevaliers de l’ordre de Saint-Michel (p. 19). De rares témoignages parvenus jusqu’à nous, comme les broderies de Robert Mestays pour Diane de Poitiers représentant des scènes de la vie de cour (Lyon, musée des Tissus, p. 17) ou la tenture dite des « dieux arabesques » au chiffre d’Henri II (pièces partagées entre le musée des Tissus de Lyon et le Mobilier national à Paris), attestent une richesse et un faste au moins équivalents à ceux de son père et prédécesseur François Ier.

Vitrail à l’emblématique d’Henri II. Verre et plomb, 121,5 x 78,5 cm. Provient des appartements d’Henri II au château d’Écouen. Écouen, musée national de la Renaissance. © RMN (musée de la Renaissance, château d’Écouen) – Varge
Le luxe des arts décoratifs
L’éventuelle intervention personnelle du roi dans ces choix artistiques est plus difficile à cerner : certaines pièces d’orfèvrerie, conservées notamment grâce à l’héritage de Catherine de Médicis1, relèvent d’un goût raffiné mêlant pierre dure ou cristal de roche gravé et somptueuse monture d’or émaillé. La célèbre coupe en cristal de roche au couvercle émaillé d’un splendide émail rouge translucide sur or, portant le monogramme et le croissant du roi, reste malheureusement connue sous le nom erroné de « coupe de Diane de Poitiers ». Au témoignage de Bernard Palissy, Henri II avait acquis des céramiques émaillées qu’il qualifie de « rustiques figulines », mais il faut peut-être en attribuer l’initiative au connétable de Montmorency, protecteur de l’artiste et collectionneur assidu de céramiques. Ainsi, aucune céramique de Saint-Porchaire (que l’on qualifiait au XIXe siècle de « faïence de Henri II ») ne porte un décor héraldique suffisamment complet et cohérent pour être rattachée aux collections royales – on y trouve seulement les éléments emblématiques habituels dans le décor du reste de la production céramique contemporaine. Il est également difficile d’évaluer la part personnelle du roi dans le choix des décors appliqués sur les reliures en cuir doré, argenté ou mosaïqué des livres de la bibliothèque royale : leur luxe exceptionnel et le développement systématique des symboles héraldiques, jusque sur la dorure des tranches, incitent à y voir au minimum l’approbation du souverain, à défaut son exigence directe.

Reliquaire de la Résurrection, France, fin du XVᵉ siècle. Cuivre doré, or, améthyste, émail, argent, sardonyx et cristal de roche, 25 x 31 cm. Reims, palais du Tau. © CMN – P. Lemaître
Célébrer le roi, célébrer l’antique
Le goût d’Henri II pour les armes et armures, évoqué dans ce numéro, comme pour les harnachements de ses chevaux et les activités sportives, se rattache à sa détermination à se présenter en public comme un souve-rain exemplaire, digne d’être admiré et guide de ses gentilshommes en matière de courtoisie. C’est peut-être à sa décision personnelle, peut-être aussi à l’influence d’Anne de Montmorency, qu’est due à partir de 1552 la mise en œuvre d’une politique numismatique d’une ampleur et d’une cohérence inusitées ; celle-ci diffuse l’effigie du souverain, accompagnée de scènes ou d’allégories relayant les entrées royales, pour exalter Henri II comme modèle de monarque universel. Catherine de Médicis poursuit d’ailleurs la même démarche en commandant à Michel-Ange un projet de statue équestre de son époux défunt. Le rayonnement durable du règne d’Henri II a été souligné, avec raison, dans le domaine du décor architectural, incluant aussi le vitrail et le mobilier religieux, comme le passage à une phase de la Renaissance française soucieuse d’une meilleure assimilation de l’architecture antique, de ses règles et de son décor ornemental, souvent qualifié de « tournant classique ». La présence de l’héraldique royale intégrée au sein de ces ornements classiques, particulièrement les trophées d’armes antiques ou modernes, en constitue, sur toute l’étendue du royaume, une marque révélatrice.

Marc Béchot (attr. à), médaille avec sur la face le portrait en buste d’Henri II portant cuirasse et au revers l’allégorie du roi en déité composite, 1552. Bronze doré, diam. 5,7 cm. Écouen, musée national de la Renaissance. © RMN (musée de la Renaissance, château d’Écouen) – M. Rabeau
À la cour d’Henri II
La cour à la Renaissance est une institution extraordinairement riche. C’est un lieu de pouvoir qui par le jeu de la faveur mêle la maison du roi et l’administration tout en resserrant les liens entre le cœur de l’État et les provinces. C’est un lieu d’art et de culture où travaillent les plus grands artistes. C’est enfin le creuset d’une civilisation nouvelle dont la figure du courtisan est l’aboutissement. Au cœur de ce monde, les fêtes sont un moyen d’autocélébration du prince. Plus que la cour de François Ier, c’est celle de son fils, Henri II, que retient Madame de Lafayette en ouverture de La Princesse de Clèves. Elle y décrit en effet une cour où l’on s’amuse : « Comme il [Henri II] réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations. C’était tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. » Les banquets, les parties de jeu de paume, les chasses au cerf comme les bals, mascarades, concerts et joutes qui animaient le monde riche et fastueux de la cour de France au temps de François Ier et d’Henri II seront évoqués en 2019 au château de Beauregard. L’exposition s’ajoutera ainsi à la visite du château où les portraits des grands personnages du règne d’Henri II (entre autres) ornant la galerie et le fameux cabinet des Grelots introduisaient déjà à l’histoire et à l’art du milieu du XVIe siècle. C.M.

Le cabinet des Grelots du château de Beauregard. © akg-images – H. Champollion
« Plaisirs et divertissements à la cour de France », du 20 juillet au 3 novembre 2019, château de Beauregard à Cellettes. Exposition organisée par le Conseil départemental de Loir-et-Cher.
1 Cet héritage, transmis à sa petite-fille Christine de Lorraine, devenue grande-duchesse de Toscane, est maintenant conservé au palais Pitti à Florence.





