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La fibre sacrée d’Olga de Amaral à la Fondation Cartier

Vue de l'exposition.

Vue de l'exposition. Photo service de presse. © Marc Domage

Figure majeure du Fiber Art, mouvement qui a remis le textile au cœur de la création contemporaine, la Colombienne Olga de Amaral (92 ans) fait pour la première fois l’objet d’une rétrospective en France. À travers quatre-vingts pièces retraçant sa carrière, la Fondation Cartier dévoile une œuvre aussi somptueuse que sidérante.

Il n’est pas encore 11 heures, horaire d’ouverture de la Fondation Cartier, et la file d’attente s’allonge déjà devant les hauts murs de verre du 261 boulevard Raspail.

Première grande rétrospective européenne

Jeunes et moins jeunes, Parisiens et touristes, groupes scolaires et visiteurs individuels, le public se révèle varié et si nombreux que la réservation en ligne est devenue obligatoire durant les week-ends. Quant au catalogue de l’exposition, il est en rupture de stock (les amateurs pourront se rabattre sur la version anglaise). Un succès réjouissant et d’une ampleur inattendue (qui a surpris jusqu’à l’équipe du musée) pour une artiste quasiment inconnue en France, dont la Fondation Cartier – qui avait présenté six de ses œuvres dans l’exposition « Géométries du Sud » en 2018 – propose la première grande rétrospective en Europe. Née en 1932 à Bogota, Olga de Amaral se forme à l’Académie des arts de Cranbrook (Michigan), où elle s’initie au tissage et découvre les possibilités insoupçonnées offertes par la création textile. Influencées par l’enseignement avant-gardiste de l’école du Bauhaus, qui avait ouvert un atelier de tissage et prônait l’abolition des hiérarchies entre art et artisanat, ces années américaines la sensibilisent à des compositions très structurées, où domine la géométrie.

Vue de l'exposition.

Vue de l'exposition. Photo service de presse. © Marc Domage

Des tissages paysages

De retour en Colombie, la jeune femme ancre cet héritage moderniste dans une approche très personnelle, où se mêlent son intérêt pour le tissage traditionnel andin, son amour inconditionnel de la couleur et son attrait pour la nature et les paysages de sa terre natale. Réunis dans la première salle de l’exposition, les monumentaux Gran Muro (Grand Mur, 1976) et Muro en rojos (Mur rouge, 1982), constitués de plusieurs centaines de bandelettes tissées, cousues une à une sur un fond de coton, évoquent les murs de briques typiques des constructions colombiennes, mais aussi des parterres de feuilles mortes. Un tour de force poétique et technique – Gran Muro faisait à l’origine 35 mètres de haut ! – rendu possible par l’inventivité d’Olga de Amaral, toujours en quête de nouveaux matériaux (comme le crin de cheval, une fibre épaisse et rigide qui lui permet de changer d’échelle) qu’elle tisse, tresse, noue, entremêle et superpose en de savants tissages, non sans l’aide de son atelier, dans lequel s’activent une vingtaine de personnes dans les années 1970.

Olga de Amaral en 7 dates

1932 Naissance à Bogota (Colombie).

1954 Intègre l’Académie des arts de Cranbrook (États-Unis) et découvre le tissage.

1966 Première Latino-Américaine à participer à la Biennale internationale de la tapisserie à Lausanne.

1969 Expose au Museum of Modern Art (MoMA) de New York aux côtés d’artistes textiles comme Anni Albers ou Sheila Hicks.

1983 Commence la série des Alquimias (Alchimies), des pièces réalisées à la feuille d’or.

1993 Le Museo de Arte Moderno de Bogota lui consacre une grande rétrospective.

2024 Première rétrospective en Europe, à la Fondation Cartier.

Une œuvre en constant renouvellement

Le rez-de-chaussée baigné de lumière naturelle convient particulièrement bien à ces « murs tissés » aux teintes ­automnales, qui se métamorphosent en paysages mouvants au gré des variations de la météo parisienne. Tandis que dans la salle adjacente, la récente série des Brumas (Brumes), débutée en 2013, fait tomber en cascades ses milliers de fils de coton dessinant des motifs géométriques. Ces sculptures évanescentes témoignent des incessantes recherches de l’artiste, qui tente ici de s’affranchir du tissage pour privilégier la tridimensionnalité. « Lorsqu’elle n’est pas dans une représentation figurative du territoire colombien, Olga de Amaral se rapproche d’une représentation métaphorique des éléments : comme l’eau avec la série des Brumas, dont les fils enduits de gesso et de peinture acrylique ondulent et rappellent la pluie fine qui succède au brouillard », analyse dans le catalogue Marie Perennès, la commissaire de l’exposition.

Vue de l'exposition.

Vue de l'exposition. Photo service de presse. © Marc Domage

Coton et lin sublimés par la feuille d’or

Au sous-sol, des œuvres de dimensions plus réduites, illustrant six décennies d’exploration textile, sont disposées en spirale et émergent de la pénombre comme des trésors cachés, dont l’éclat aimante le visiteur. Désormais, aux teintes rouge, bleu ou vert du paysage colombien, s’ajoute le doré. Découvert chez une céramiste adepte du Kintsugi (technique japonaise qui consiste à réparer un objet en sublimant ses fissures avec de la poudre d’or), ce métal devient à partir des années 1970 l’un des matériaux de prédilection d’Olga de Amaral, séduite par son pouvoir lumineux et sa brillance incomparable. Les textiles exposés dans cet espace plus intime rivalisent de splendeur, évoquant selon les sensibilités l’or des incas, les mosaïques byzantines, certains tableaux de la période dorée de Klimt ou encore les extravagants autels baroques des églises de Bogota, admirés par la créatrice durant son enfance. Il émane de ces pièces une aura presque sacrée, qui incite à la contemplation. Et c’est ce qui se produit : les voix des visiteurs s’atténuent, désormais ils chuchotent avant de s’asseoir, en silence, sur le banc placé à dessein devant ­Cesta lunar (Panier lunaire), dont les bandelettes en lin rendues rigides par le gesso et habillées d’or et d’argent réfléchissent la lumière et distillent leur magie.

« Olga de Amaral », jusqu’au 16 mars 2025 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris. Tél. 01 42 18 56 50. www.fondationcartier.com

Catalogue (seule la version anglaise est encore disponible), Fondation Cartier pour l’art contemporain, 300 p., 49 €.