L’Apocalypse et les arts à la Bibliothèque nationale de France : vision(s) de la fin des temps ?

Anne Imhof (née en 1978), Sans titre (détail), 2022. Huile sur toile imprimée. Paris, Pinault Collection. Courtesy of the artist, Sprüth Magers and Galerie Buchholz. Photo Timo Ohler Photo service de presse. Courtesy of the artist, Sprüth Magers and Galerie Buchholz. Photo Timo Ohler
Des manuscrits médiévaux aux gravures d’Odilon Redon, des aquarelles de William Blake aux films de Fritz Lang et Murnau, la BnF – François-Mitterrand explore la formidable postérité artistique de l’Apocalypse de Jean depuis le Moyen Âge. Cette ambitieuse exposition convoque plus de 300 œuvres majeures pour tenter de sonder un texte biblique toujours actuel.
La chute de Babylone, l’Antéchrist, le Jugement dernier… Autant de notions qui irriguent depuis deux millénaires l’imaginaire occidental. Né de la vision de son auteur, Jean, souvent confondu avec saint Jean l’Évangéliste, l’Apocalypse est le dernier livre du Nouveau Testament ; sa puissance évocatrice, ainsi que sa richesse symbolique, nourrissent encore aujourd’hui nos représentations de la fin des temps. La spectaculaire scénographie fait le choix de mêler dès l’abord des objets au sens religieux, pétris de cette iconographie néotestamentaire, avec des œuvres et des installations profanes, mais qui n’en sont pas moins habitées par des réflexions d’ordre eschatologique, autrement dit qui concernent la fin des temps, aussi modernes soient-elles. Ici, la « révélation » (sens étymologique du grec apocalypsis) de Jean devient le mode de dévoilement du mal et des menaces qui pèsent sur l’humanité, mais également la vision positive d’un monde à venir, purgé par le feu divin purificateur.
Albrecht Dürer (1471-1528), L’Apocalypse, planche 5 : Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, édition latine de 1511. BnF, département des Estampes et de la photographie. Photo service de presse. Photo BnF
Un thème majeur
Les visions de Jean, avec leur cortège d’emblèmes mystérieux, invitent à une herméneutique complexe et recèlent un fort potentiel mobilisateur pour l’Église ; aussi s’est-elle imposée comme un motif artistique majeur au Moyen Âge. L’exposition présente notamment certains manuscrits exceptionnels, dont la richesse des enluminures témoigne du soin apporté à la représentation de l’Apocalypse. Le Beatus de Saint-Sever, daté du XIe siècle, l’Apocalypse de Saint-Victor ou encore le Beatus d’Arroyo du XIIIe sont ici les flamboyants exemples d’un art pictural sur parchemin porté à son sommet, dont les saisissantes illustrations donnent corps aux présages, catastrophes et êtres fantastiques qui peuplent ce récit mythique. Parmi les trésors médiévaux, on peut aussi admirer les trois fragments de la Tapisserie de l’Apocalypse, découverts en 1849 sous la doublure de la tenture éponyme d’Angers. Mais la Renaissance n’est pas en reste, et a donné certaines des représentations les plus fameuses du récit. C’est notamment le cas de la célébrissime série de seize gravures d’Albrecht Dürer, œuvre de jeunesse audacieuse et d’une qualité graphique exceptionnelle qui fit la gloire de l’artiste, et compte aujourd’hui parmi les trésors du département des Estampes de la BnF.
Beatus de Saint-Sever, Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, Gascogne (Saint-Sever), troisième quart du XIe siècle (avant 1072). Manuscrit peint sur parchemin. Paris, BnF, département des Manuscrits. Photo service de presse. Photo BnF
Évolution d’une révélation
Bien que les sociétés occidentales, à partir du siècle des Lumières, tendent vers une sécularisation progressive et s’émancipent d’une conception strictement religieuse de l’Histoire qui verrait dans le récit de la Genèse son origine et dans l’Apocalypse son accomplissement, les visions de Jean n’ont pas pour autant disparu de nos imaginaires. Les fléaux qui traversent l’histoire humaine et lui donnent sa structure « dramatique » n’ont cessé de tourmenter les artistes, à l’instar de Francisco de Goya qui dépeint dans ses Désastres de la guerre, emblématique série de gravures éditée plusieurs décennies après sa mort, toute l’horreur de la violence, de la misère et de la mort, semées par le Destin ou par les hommes. Tandis que le monde s’industrialise et se mécanise, dans une inquiétante course vers un avenir incertain, divers esprits, à contre-courant, puisent au contraire dans l’Apocalypse de Jean un idéal de pureté et de spiritualité enfin rétablies, à l’image de la Jérusalem céleste descendant du Ciel, dévoilement d’un prochain âge d’or pour l’humanité. C’est ainsi que William Blake, qui était à l’instar de Jean sujet aux visions angéliques et surnaturelles, s’est attaché à représenter dans plusieurs aquarelles stupéfiantes des sections de l’Apocalypse.
William Blake (1757-1827), La Mort sur son cheval pâle, 1800. Aquarelle, lavis et encre sur papier. Cambridge, The Fitzwilliam Museum. Photo service de presse. © Fitzwilliam Museum / Bridgeman Images
Le jour d’après
La modernité reste hantée par la crainte d’une apocalypse nucléaire et d’une destruction totale de la planète, peur nourrie par les nombreux drames qui jalonnèrent le XXe siècle. Les guerres mondiales, le déchaînement de la puissance atomique à Hiroshima et Nagasaki ou encore la Shoah, qui actèrent chez certains l’absence de Dieu et de salut pour le genre humain, ont profondément marqué l’œuvre de Vassily Kandinsky, Otto Dix, Natalia Gontcharova ou Judit Reigl. Le cinéma s’empare lui aussi, dès le début du siècle, de cette thématique, en soulignant son ambivalence : des extraits de Metropolis de Fritz Lang, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ou encore Melancholia de Lars von Trier rappellent opportunément la force toujours intacte du récit de Jean. La vision d’un nouvel horizon, postapocalyptique, accompagne l’onirisme des créateurs plus contemporains réunis dans le dernier espace de l’exposition autour de l’installation de Luciano Fabro, Infinito, qui invite à méditer sur la question du devenir de l’humanité. Face à Miriam Cahn qui dépeint une apocalypse nucléaire dans une explosion de couleurs vives, Kiki Smith entrevoit, elle, un nouvel Éden, écho à la Jérusalem céleste, dans lequel Ève et le Serpent sont comme enfin réconciliés.
Miriam Cahn (née en 1949), Bombe atomique, 4 mars 1991. Aquarelle sur papier. Photo service de presse. © Courtesy of the artist, galerie Jocelyn Wolff, Romainville and Meyer Riegger, Berlin / Karlsruhe / Basel, Photo Meyer
« Apocalypse. Hier et demain », jusqu’au 8 juin 2025 à la BnF – François Mitterrand, quai François Mauriac, 75013 Paris. Tél. 01 53 79 59 59. www.bnf.fr
Catalogue, BnF éditions, 264 p., 49 €.