Le corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange, sculptures italiennes de la Renaissance (2/4). Francesco di Giorgio Martini, gloire de son temps

Francesco di Giorgio Martini (1439-1501), Scène de conflit entre des hommes et des femmes (Lycurgue et les ménades ?), vers 1474-1480. Stuc peint, 32,1 x 41,7 x 6,3 cm. Londres Victoria and Albert Museum. © Photo Scala, Florence / V&A Images / Victoria and Albert Museum, London
Après l’exposition « Le Printemps de la Renaissance » (2013), qui portait sur la première moitié du Quattrocento en Toscane, le Louvre met en lumière la sculpture à l’apogée de la Renaissance, c’est-à-dire la seconde moitié du Quattrocento et le début du Cinquecento. Le grand courant né à Florence s’est alors diffusé à travers toute l’Italie, de Venise à Sienne, Bologne, Padoue, Mantoue, Milan, et jusqu’à Rome : le Grand Atelier d’André Chastel. Quelque 140 œuvres provenant des quatre coins du monde, dont plusieurs monumentales, d’Antonio Pollaiolo, Bertoldo di Giovanni, Tullio Lombardo, Andrea Riccio, Bambaia, Giovanni Angelo del Maino, Francesco di Giorgio Martini ou Michel-Ange, permettent de confronter l’art des différentes régions.
Francesco di Giorgio Martini, La Flagellation du Christ (détail), vers 1480-1485. Bronze, 55,5 x 40,5 x 4 cm. Pérouse, galerie nationale de l’Ombrie. Photo service de presse © Galleria Nazionale dell'Umbria, Pérouse
Le Siennois Francesco di Giorgio Martini (1439-1501) fut tout à la fois peintre, sculpteur, architecte, ingénieur militaire. Il est présent dans l’exposition à travers quatre œuvres.
Le grand Francesco di Giorgio Martini, né et mort à Sienne, est un artiste particulièrement polyvalent. Il fut formé par Vecchietta à la peinture et à la sculpture qu’il pratiqua surtout, mais pas seulement, dans sa jeunesse. Il dirigea jusqu’en 1675 un atelier de peinture à Sienne et son œuvre peint est marqué par la tradition de sa ville. Par la suite, il se fit connaître comme ingénieur militaire, auteur de nombreuses forteresses – on en compte pas moins de dix –, spécialiste des fortifications où son expertise en la matière était constamment réclamée. Il fut aussi un grand architecte, édifiant nombre d’églises remarquables par la nouveauté de leur conception et plusieurs palais dont celui d’Urbino pour Frédéric de Montefeltre, contribuant à sa décoration et donnant des croquis pour le fameux studiolo ; il s’était mis longtemps en effet au service du duc de Montefeltre. Son Traité d’architecture civile et militaire (1580) témoigne de sa parfaite connaissance des monuments antiques et de Vitruve. On lui attribue la célèbre Cité idéale peinte sur bois (Urbino, Galleria Nazionale delle Marche), et plusieurs autres « cités idéales » composées de palais classicisants.
L’œuvre sculpté
Sans doute plus que dans la peinture, son tempérament artistique s’est profondément exprimé dans ses œuvres sculptées. Les œuvres ici présentées, deux bas-reliefs et deux statues en bois polychromé, montrent la variété de son talent. Trois d’entre elles sont violentes, la quatrième contraste par son calme apaisé. Le Victoria and Albert Museum a prêté un étonnant relief en terre cuite où l’on voit une scène de conflit entre des hommes nus et des femmes. Panofsky pensait y reconnaître l’illustration de Lycurgue et les ménades. Ce conflit se déroule dans une architecture théâtrale et savante aux perspectives très albertiennes avec colonnades, arcades, loggias et temples. Comme souvent chez Mantegna ou Pollaiolo, une véritable fureur anime les personnages principaux. Au milieu, une femme échevelée vue de dos agite frénétiquement un long bâton ; derrière elle et donc au premier plan, des hommes nus frappent des femmes à terre tandis que sur la droite, d’autres personnages se battent, et que sur la gauche, ils entrent et sortent plus calmement d’une sorte de temple. Le sujet traité demeure énigmatique. De la Galerie nationale de l’Ombrie à Pérouse vient une Flagellation du Christ. C’est l’une des histoires (Istorie) que Francesco di Giorgio Martini avait sculptées en bronze dans le but, selon Giovanni Santi, d’expérimenter cette technique comme il l’avait fait, vers 1475, pour Montefeltre, avec une pathétique Déposition du Christ mort (aujourd’hui à Venise, église Santa Maria del Carmine). Ici, le fond de portique ouvrant sur des portes à frontons et entouré de temples lui sert de cadre pour présenter la scène violente du Christ ligoté à une colonne et flagellé sur ordre de Ponce Pilate devant une foule de spectateurs. La brutalité sauvage du bourreau s’exerce sans pitié sur le corps torturé de sa victime. Les poses variées et dynamiques des participants sont souvent empruntées à des modèles antiques. Ainsi que l’explique Alison Luchs, Francesco di Giorgio, comme Donatello, montre son intérêt « pour la fragmentation des surfaces destinées à créer un effet lumineux nerveux, vacillant, et une texture impétueuse », sur une surface plus rugueuse encore que les surfaces donatelliennes.
Francesco di Giorgio Martini, La Flagellation du Christ, vers 1480-1485. Bronze, 55,5 x 40,5 x 4 cm. Pérouse, galerie nationale de l’Ombrie. Photo service de presse © Galleria Nazionale dell'Umbria, Pérouse
Le Jean Baptiste
Le musée de l’œuvre de la cathédrale de Sienne a prêté la statue en bois polychromé d’un saisissant Jean Baptiste ; il avait été commandé au sculpteur vers 1465 par la Compagnie de Saint-Jean-Baptiste-de-la-Mort, groupe de laïcs qui accompagnaient les condamnés. Ici, le Baptiste n’est pas l’ascète décharné que l’on voit habituellement, mais un véritable athlète très musclé, un concentré d’énergie, au geste autoritaire, au regard impérieux que dissimule à peine son épaisse chevelure. Une sorte de fureur s’exprime sur son visage. Son attitude, loin d’être statique, le porte en avant. C’est un prophète colérique et volontaire. Quelque vingt années plus tard, Francesco di Giorgio Martini sculpte un Saint Christophe placé au centre du retable de la chapelle Saint-Christophe dans l’église Sant’Agostino de Sienne. Ce retable avait été commandé en 1487 par Antonio Bichi et comportait en accompagnement des peintures de Signorelli. Le saint est montré en position de marche, traité dans la tradition siennoise du naturalisme expressif d’un Domenico de Niccolo dei Cori ou d’un Valdambrino. Il se détachait sur un fond de panneaux peints montrant des baigneurs au bord d’une rivière ; l’Enfant Jésus qu’il portait sur son épaule a disparu lors du démembrement du retable à la fin du XVIIIe siècle. La statue a été léguée au Louvre par Eugène Piot en 1890. Une restauration récente lui a rendu sa belle polychromie d’origine, avec l’or bruni de la tunique contrastant avec le bleu azurite du manteau. La statue est en bois, mais la chevelure est travaillée dans du plâtre (gesso a pastiglia).
Francesco di Giorgio Martini, Jean Baptiste, 1464-1466. Bois polychromé, 182 x 60 x 47 cm. Sienne, Museo dell’Opera Metropolitana del Duomo. © Photo Opera Metropolitana Siena / Scala, Florence
« Le corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance », du 22 octobre 2020 au 21 juin 2021 au musée du Louvre, hall Napoléon, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 50 50. www.louvre.fr
Catalogue, coédition musée du Louvre éditions / Officina Libraria, 512 p., 45 €.
À lire :
Dossier de l’Art n° 283, 80 p., 9,50 €. À commander sur www.faton.fr
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Le corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange, sculptures italiennes de la Renaissance
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