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Le corps et l’âme de Donatello à Michel-Ange, sculptures italiennes de la Renaissance (3/4). Le monument funéraire du pape Jules II

Le tombeau du pape Jules II par Michel-Ange et assistants (détail). Rome, basilique San Pietro in Vincoli.

Le tombeau du pape Jules II par Michel-Ange et assistants (détail). Rome, basilique San Pietro in Vincoli. © Andrea Jemolo / Bridgeman Images

Après l’exposition « Le Printemps de la Renaissance » (2013), qui portait sur la première moitié du Quattrocento en Toscane, le Louvre met en lumière la sculpture à l’apogée de la Renaissance, c’est-à-dire la seconde moitié du Quattrocento et le début du Cinquecento. Le grand courant né à Florence s’est alors diffusé à travers toute l’Italie, de Venise à Sienne, Bologne, Padoue, Mantoue, Milan, et jusqu’à Rome : le Grand Atelier d’André Chastel. Quelque 140 œuvres provenant des quatre coins du monde, dont plusieurs monumentales, d’Antonio Pollaiolo, Bertoldo di Giovanni, Tullio Lombardo, Andrea Riccio, Bambaia, Giovanni Angelo del Maino, Francesco di Giorgio Martini ou Michel-Ange, permettent de confronter l’art des différentes régions. 

Michel-Ange, Esclaves. Vue de l'exposition Le Corps et l'Âme.

Michel-Ange, Esclaves. Vue de l'exposition Le Corps et l'Âme. © Actu-culture.com / M. Liteau

Du projet colossal commandé en 1505 par le pape Jules II, interrompu par le souverain pontife lui-même qui préféra confier à Michel-Ange le décor du plafond de la chapelle Sixtine, aux différents contrats conclus entre les héritiers de la puissante famille Della Rovere et l’artiste, jusqu’à la réalisation du mausolée final, quarante années s’écoulèrent.

Jean-René Gaborit, dans le brillant essai Michel-Ange. Les Esclaves (Louvre éditions 2020), a narré les péripéties de ce monument dont plusieurs épisodes, note-t-il, restent encore obscurs. L’entreprise occupa Michel-Ange de 1505 à 1545. Dès 1505, la renommée du sculpteur âgé de 30 ans avait franchi la Toscane et était telle à Rome que le pape Jules II, Giuliano della Rovere (1503-1513), l’appela, souhaitant concevoir de son vivant son futur monument funéraire destiné à être érigé dans la basilique Saint-Pierre alors en reconstruction. Le premier projet approuvé en 1505 par Jules II montrait un monument pariétal qui pourrait s’adosser à un mur du chœur de la basilique. Il serait à trois étages et comporterait environ dix statues. Le dessin de Michel-Ange (Metropolitan Museum of Art, New York) montre : au niveau inférieur, deux statues en pied dans des niches de part et d’autre d’un bas-relief central ; au-dessus, deux statues assises encadrant le sarcophage du pape et sa représentation de face, couchée, étant portée par des figures ailées, pour atteindre au niveau supérieur la statue de la Vierge dans une niche. Jugeant ce projet trop modeste, si l’on en croit Giorgio Vasari et Ascanio Condivi, Jules II demanda à Michel-Ange un monument beaucoup plus imposant, quadrangulaire et isolé, haut de 10 mètres, qui pourrait comporter jusqu’à une soixantaine de statues. Au premier niveau, des termes à mi-corps, auxquels serait appliquées des statues de prisonniers nus au nombre de vingt-quatre, encadreraient des niches ; aux angles du second niveau se verraient quatre statues : la Vie active, la Vie contemplative, Moïse et Saint Paul ; au milieu, un emmarchement conduirait au sarcophage et à la représentation du pape entouré de figures du Ciel et de la Terre.

Michel-Ange, Le Génie de la Victoire. Marbre, H. 261 cm. Florence, Palazzo Vecchio.

Michel-Ange, Le Génie de la Victoire. Marbre, H. 261 cm. Florence, Palazzo Vecchio. © Bridgeman Images

L’abandon du projet par le pape

De mai à septembre 1505, Michel-Ange fit extraire de Carrare les marbres nécessaires. Mais Jules II, voulant reconquérir Bologne, se désintéressa de son futur tombeau. Furieux et humilié, Michel-Ange quitta Rome brusquement en avril 1506 sans autorisation pontificale et regagna Florence. Mais le pape, se sentant insulté, le rappela à Bologne, exigeant qu’il fasse de lui une grande statue en bronze, ce dont le sculpteur s’acquitta. À peine rentré à Rome, Jules II lui commanda les fresques pour le plafond de la chapelle Sixtine qu’il peignit jusqu’au 12 octobre 1512.

Reprise du projet en 1513

Jules II mourut en juin 1513, mais les héritiers Della Rovere et les exécuteurs testamentaires du pape passèrent un nouveau contrat le 6 mai 1513 pour un tombeau à nouveau pariétal mais en forte saillie. Deux dessins en rendent compte partiellement : celui de l’Ashmolean Museum d’Oxford pour la partie supérieure, l’autre de l’ancienne collection Mariette conservé aux Offices pour la partie inférieure, dans laquelle se voient deux niches où se dressent des Victoires, niches encadrées encore de termes avec, devant eux, des prisonniers nus ; au-dessus de l’entablement, le sarcophage et, de chaque côté, quatre figures assises, dont Moïse et saint Paul.

Le tombeau du pape Jules II par Michel-Ange et assistants. Rome, basilique San Pietro in Vincoli.

Le tombeau du pape Jules II par Michel-Ange et assistants. Rome, basilique San Pietro in Vincoli. © Andrea Jemolo / Bridgeman Images

Moïse et les Esclaves

C’est en 1513 et en 1514 que Michel-Ange dut sculpter le Moïse et les deux Esclaves, le mourant et le rebelle, et en ébaucha plusieurs autres. La progression trop lente de l’ouvrage irrita les héritiers Della Rovere qui passèrent un nouveau contrat le 8 juillet 1516 pour un monument simplifié, moins profond mais aussi large et plus élevé, comportant une vingtaine de statues, dont six Prisonniers pour le soubassement. Mais Michel-Ange dut retourner à Florence, chargé de l’architecture de la Sagrestia nuova à San Lorenzo et ses fameux tombeaux qui l’occupèrent de 1520 à 1527. Il ébaucha cependant, vers 1520 et 1523, quatre statues d’esclaves (aujourd’hui à la Galleria dell’Accademia de Florence) et le Génie de la Victoire qu’il destinait au tombeau de Jules II. Puis en 1525, il proposa à l’héritier de Jules II, le duc d’Urbin, un monument beaucoup plus simple. Le 29 avril 1532, une nouvelle convention entre le sculpteur et les héritiers Della Rovere précisait que le monument, ne pouvant prendre place dans la basilique Saint-Pierre encore en cours de démolition, serait érigé dans la basilique San Pietro in Vincoli dont Jules II avait été jadis cardinal titulaire ; il comporterait les quatre statues terminées (les deux Esclaves, Moïse, le Génie de la Victoire). Le 23 septembre 1534, Michel-Ange quittait définitivement Florence pour Rome où le nouveau pape, Paul III Farnèse, lui commanda la fresque du Jugement dernier. Il était entendu que l’artiste se ferait aider d’assistants pour terminer le monument funéraire. En juillet 1542, craignant que ses Esclaves nus fussent jugés indécents, il eut la permission de les remplacer par des statues symbolisant la Vie active et la Vie contemplative. Le monument fut bel et bien terminé en février 1545, un monument à caractère purement religieux. La statue gisante du pape fut réalisée par Tommaso Boscoli, mais Michel-Ange tint à en reprendre le visage et les mains. C’est Raffaello da Montelupo qui sculpta de chaque côté un Prophète et une Sibylle et supervisa le travail de Scherano Fancelli pour la Vierge. Quatre termes à mi-corps sculptés dès 1513 par Antonio da Pontassieve encadraient les niches du niveau inférieur, dans lesquelles se dressent les statues de Rachel et Lea, Vie active et Vie contemplative, dues au ciseau de Michel-Ange, de part et d’autre de son fameux Moïse.

« Le corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange. Sculptures italiennes de la Renaissance », du 22 octobre 2020 au 18 janvier 2021 au musée du Louvre, hall Napoléon, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 50 50. www.louvre.fr
Catalogue, coédition musée du Louvre éditions / Officina Libraria, 512 p., 45 €.

À lire :
Dossier de l’Art n° 283, 80 p., 9,50 €. À commander sur www.faton.fr

Sommaire

Le corps et l’âme. De Donatello à Michel-Ange, sculptures italiennes de la Renaissance

3/4. Le monument funéraire du pape Jules II