Le média en ligne des Éditions Faton

Le Désespéré de Courbet : un prêt exceptionnel au musée d’Orsay et une étrange histoire

Le Désespéré de Gustave Courbet est exposé au musée d'Orsay pour cinq ans, dans le cadre d'un prêt de longue durée de Qatar Museums.

Le Désespéré de Gustave Courbet est exposé au musée d'Orsay pour cinq ans, dans le cadre d'un prêt de longue durée de Qatar Museums. Photo service de presse. © Musée d’Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu

Nul besoin de vous hâter pour admirer Le Désespéré : le célèbre autoportrait de Gustave Courbet fait l’objet d’un prêt de cinq ans au musée d’Orsay, au cours desquels il côtoiera de nombreux chefs-d’œuvre du peintre. L’exposition à Paris de cette petite toile, que l’on n’avait pas vue depuis une quinzaine d’années, ne met cependant que partiellement fin aux interrogations concernant ses pérégrinations.

La principale de ces interrogations concernait son actuel propriétaire, jusqu’alors inconnu, qui vient d’être dévoilé : Qatar Museums, organisme de développement des musées de l’émirat. Nous apprenons à cette occasion que le célébrissime autoportrait de Gustave Courbet a fait l’objet d’un accord de coopération entre cette institution et le musée d’Orsay prévoyant que le tableau soit alternativement exposé à Doha et à Paris.

Une histoire en pointillés

Le Désespéré était-il passé ? La question s’est longtemps posée, le tableau n’ayant pas été vu depuis la fin de la dernière exposition dans laquelle il figurait, à Francfort, en janvier 2011. Il appartenait alors à une collection particulière française. Depuis, aucun certificat d’exportation n’a été demandé au ministère de la Culture. C’est pourtant dans une collection étrangère que réapparaît ce tableau qui, si cette démarche avait été effectuée, aurait sans le moindre doute été classé « Trésor national », une procédure qui bloque, pendant trente mois, sa sortie du territoire afin de permettre la réunion des fonds nécessaires à son acquisition et à son entrée dans les collections nationales.

Un chef-d’œuvre du futur Art Mill Museum

Le Désespéré sera, à n’en pas douter, l’une des pièces maîtresses de l’Art Mill Museum, musée d’art moderne et contemporain qui ouvrira à Doha en 2030. Ses collections présenteront non seulement des œuvres issues de tous les domaines de la création, de la peinture à la sculpture, mais aussi de l’architecture, des arts appliqués et de l’art populaire. On devrait y retrouver l’une des cinq versions des Joueurs de cartes de Paul Cézanne, acquise en 2011 par la famille royale du Qatar pour plus de 190 millions d’euros. Le futur musée prendra place dans un ancien moulin situé sur le port de Doha, réhabilité et transformé par l’architecte chilien Alejandro Aravena, lauréat en 2016 du Prix Pritzker.

Le projet architectural de l’Art Mill Museum, à Doha, par le cabinet d’architecture chilien ELEMENTAL, fondé par Alejandro Aravena.

Le projet architectural de l’Art Mill Museum, à Doha, par le cabinet d’architecture chilien ELEMENTAL, fondé par Alejandro Aravena. Photo service de presse. © Qatar Museums

Garde alternée

Le Monde a révélé, dans un article publié le 21 octobre, l’histoire récente du tableau. Il aurait été acquis en 2014 pour 50 millions d’euros, une transaction demeurée secrète jusqu’à ce mois d’octobre – hormis pour le ministère de la Culture, qui a négocié l’accord-cadre avec le Qatar. Comment expliquer la garde alternée du tableau entre Doha et Paris, un procédé discutable pour sa conservation qui rappelle le sort des époux Marten Soolmans et Oopjen Coppit, peints par Rembrandt, acquis conjointement par le musée du Louvre et le Rijksmuseum d’Amsterdam, et condamnés à un voyage de noces sans fin entre les deux pays ? Sans nul doute du fait qu’aucun certificat d’exportation n’est exigé lorsqu’il s’agit d’une exposition temporaire à l’étranger… Pour éviter le classement comme « Trésor national », le tableau ne doit donc séjourner que temporairement au Qatar et revenir régulièrement en France !

« J’ai fait dans ma vie bien des portraits de moi au fur et à mesure que je changeais de situation d’esprit ; j’ai écrit ma vie, en un mot. »

Gustave Courbet, lettre à Alfred Bruyas, 3 mai 1953

Le summum de l’expressivité

Le Désespéré fait partie de cette vingtaine de portraits de jeunesse révélant les humeurs contrastées du peintre. Rares sont les représentations aussi expressives du désespoir et de l’angoisse, exercice de style autant qu’image vibrante des affres de la condition d’artiste, dont la composition resserrée accroît l’effet. « Une démonstration de maîtrise picturale », souligne Paul Perrin, directeur de la conservation et des collections du musée d’Orsay. Courbet conserva la toile toute sa vie dans son atelier et ne la signa que tardivement, avant son exposition en 1873, alors qu’il venait d’être contraint à l’exil en Suisse.

Gustave Courbet (1819-1877), Autoportrait de l'artiste, dit aussi Désespoir, ou encore Le Désespéré, vers 1844-1845. Huile sur toile, 44 x 54 cm. Prêt de longue durée de Qatar Museums, 2025.

Gustave Courbet (1819-1877), Autoportrait de l'artiste, dit aussi Désespoir, ou encore Le Désespéré, vers 1844-1845. Huile sur toile, 44 x 54 cm. Prêt de longue durée de Qatar Museums, 2025. Photo service de presse. © Musée d’Orsay / Laëtitia Striffling-Marcu

Un hommage à Sylvain Amic

La présence du tableau à Paris doit beaucoup à Sylvain Amic, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, spécialiste de l’œuvre de Courbet, disparu brutalement fin août, qui fut l’un des commissaires de la rétrospective consacrée à l’artiste en 2007-2008 à Paris, New York et Montpellier. Il fut l’un des artisans de l’accord passé avec Qatar Museums. L’exposition du Désespéré au musée d’Orsay lui est dédiée.