Malmaison expose Andrea Appiani, le peintre qui donna vie au rêve italien de Napoléon

Andrea Appiani (1754-1817), La Toilette de Junon ou Junon et les Grâces, vers 1803-1810. Huile sur toile, 100 x 142 cm. Brescia, Fondazione Brescia Musei, Pinacoteca Tosio Martinengo. Photo service de presse. © Archivio Fotografico Musei Civici di Brescia – Fotostudio Rapuzzi
Le musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau présente la première rétrospective française consacrée à Andrea Appiani. Une centaine d’œuvres retrace la brillante carrière de ce peintre néo-classique milanais qui contribua à forger l’iconographie napoléonienne.
« J’ai admiré réellement, à Milan, la vue de la coupole du Dôme s’élevant au-dessus des arbres du jardin de la villa Belgioioso, les fresques d’Appiani à cette même villa Belgioioso, et son Apothéose de Napoléon au Palazzo Regio. La France n’a rien produit de comparable. Il ne faut pas des raisonnements pour trouver cela beau. Cela fait plaisir à l’œil. Sans ce plaisir en quelque sorte instinctif ou du moins non raisonné du premier moment, il n’y a ni peinture, ni musique » écrivait Stendhal en 1816 (Rome, Naples et Florence). Surnommé « le peintre des grâces » ou encore « l’Apelle lombard », Andrea Appiani (1754-1817) était alors considéré comme l’un des plus grands maîtres de son époque et placé au même rang que Canova.
Andrea Appiani (1754-1817), Portrait de trois-quarts de Napoléon en petit habillement de roi d’Italie, 1805. Huile sur toile, 99,4 x 74,2 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum. Photo service de presse. © akg-images / Erich Lessing
L’exposition
La diversité des œuvres exceptionnellement réunies dans l’exposition donne la mesure de l’étendue de ses talents. Sa virtuosité de dessinateur se lit dans ses études pour de grands tableaux d’autel, comme L’Adoration des bergers de l’église Santa Maria Nascente d’Arona sur le lac Majeur, mais aussi dans des modèles pour des sculptures de stuc et des panneaux de marqueterie. Appiani collabora notamment avec l’ébéniste Giuseppe Maggiolini, renommé pour la délicatesse de ses « peintures sur bois » aux subtiles nuances.
Andrea Appiani (1754-1817), Europe enlevée par le taureau traversant les vagues, vers 1784-1786. Détrempe sur toile, 190 x 135 cm. Rome-Londres, galerie W. Apolloni. Photo service de presse. © Galerie W. Apolloni, Rome-Londres
Premières commandes françaises
C’est précisément son art de dessinateur qui valut à Appiani les premières commandes de la nouvelle administration française à Milan. Il réalisa dès 1797 des dessins de médailles glorifiant les victoires de la première campagne d’Italie, ainsi que des en-têtes allégoriques pour les documents officiels et la correspondance du général Bonaparte. Membre d’une loge maçonnique depuis 1785, le peintre partageait les idéaux républicains et patriotiques très répandus dans l’élite milanaise qui aspirait à se libérer de la domination autrichienne. Enthousiasmé par les victoires françaises qui ouvraient de nouvelles perspectives politiques, il prit une part active à l’établissement de la République cisalpine en tant que membre du corps législatif. Il contribua également aux préparatifs des fêtes républicaines célébrées à Milan en 1797.
Andrea Appiani (1754-1817), Portrait de femme, 1799. Pierre noire, craie blanche et sanguine sur papier, 28,2 x 24 cm. Milan, Museo Poldi Pezzoli. Photo service de presse. © Milano, Museo Poldi Pezzoli
Appiani portraitiste
L’admiration d’Appiani pour Napoléon se traduisit dans ses portraits. Il le représenta successivement en général victorieux en 1796, en Premier Consul en 1801, en président de l’éphémère République italienne en 1803 et enfin en roi d’Italie lors du couronnement à Milan le 26 mai 1805. Le peintre conçut en pendant des portraits de Joséphine, allant de la composition de veine néo-classique Joséphine Bonaparte couronne le myrte sacré de Vénus de 1796 à la représentation officielle de Joséphine en costume de reine d’Italie en 1807.
Andrea Appiani (1754-1817), Portrait de trois-quarts de Joséphine en reine d’Italie, 1807. Huile sur toile, 98,5 x 74 cm. Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau. Photo service de presse. © GrandPalaisRMN (musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Gérard Blot
« [C’est dans] les portraits officiels [qu’]Appiani fit montre de toute sa virtuosité dans le rendu des costumes chamarrés et des décorations étincelantes. »
Des commandes à foison
Le succès de ces œuvres entraîna de nombreuses autres commandes. En 1796 et 1797, le peintre portraitura une quinzaine d’officiers français dont Murat et Marmont. Après la mort de Desaix à Marengo, il exécuta son portrait posthume qui fut largement diffusé. Et lorsque Eugène de Beauharnais, devenu vice-roi d’Italie, établit sa cour à Milan, Appiani fut chargé de dépeindre le nouveau souverain, son épouse Auguste-Amélie de Bavière et les principaux dignitaires du régime, comme le comte Méjan, le marquis de Breme, ou encore le général Achille Fontanelli.
Andrea Appiani (1754-1817), Louis Charles Antoine Desaix lisant un ordre du jour du général Bonaparte à deux Égyptiens, 1800-1801. Huile sur toile, 99,2 x 74,7 cm. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (château de Versailles) / Franck Raux
Moins apprêtées que les portraits officiels dans lesquels Appiani fit montre de toute sa virtuosité dans le rendu des costumes chamarrés et des décorations étincelantes, les effigies de Canova et du poète Vincenzo Monti furent louées pour le naturel de l’expression et l’intensité des regards. Appiani fut tout aussi réputé pour ses portraits féminins. Les représentations de Laure Regnaud de Saint-Jean d’Angély, de Fortunée Hamelin, de Carolina Angiolini et surtout de Francesca Ghirardi Lechi prouvent son habileté à rendre la personnalité de ses modèles tout en les conformant aux canons de l’idéalisation néo-classique.
Andrea Appiani (1754-1817), Portrait de Francesca Ghirardi Lechi, 1803. Huile sur toile, 97,5 x 72,5 cm. Milan, Fondazione Trivulzio. Photo service de presse. © Fondazione Trivulzio, Milano
Le plus ancien portrait connu de Napoléon
Exécuté en mai 1796, Le Général Bonaparte et le Génie de la Victoire gravant ses exploits à la bataille du pont de Lodi est considéré comme le premier portrait historiquement attesté de Napoléon. Selon plusieurs sources, Appiani aurait dessiné les traits du général à son insu lors d’un dîner officiel à Milan, puis réalisé le portrait en quelques jours, « avec une célérité presque égale à celles des conquêtes du Héros dont il fit l’effigie ». Napoléon y est représenté foulant au pied les drapeaux de l’Empire et du royaume de Sardaigne tandis que la bataille fait rage à l’arrière-plan. Cette œuvre commandée par le général Joseph Despinoy fut envoyée à Paris pour témoigner des victoires de la première campagne d’Italie. Appiani réalisa également le portrait de Joséphine à son arrivée à Milan deux mois plus tard. Conservés dans deux collections privées, les tableaux conçus en pendant sont exceptionnellement réunis pour cette exposition.
Andrea Appiani (1754-1817), Le général Bonaparte et le Génie de la Victoire gravant ses exploits à la bataille du pont de Lodi, 1796. Huile sur toile, 96 x 76 cm. Collection particulière. Photo service de presse. © Collection particulière
Les Fastes de Napoléon
Grâce à la protection de Napoléon, Appiani cumula de nombreuses charges et distinctions au fil des années. Il fut nommé commissaire des Beaux-Arts en 1800, membre de l’Institut national italien en 1802, « Premier Peintre de Sa Majesté Impériale et Royale » en 1805, chevalier de l’ordre de la Couronne de fer en 1806, conservateur de la Galerie royale de Brera en 1807… Il reçut des commandes prestigieuses et fut notamment chargé de réaliser le décor de la grande salle de bal du palais royal de Milan.
« Ce cycle intitulé Les Fastes de Napoléon fut détruit par les bombardements alliés qui dévastèrent Milan en août 1943. »
Appiani exécuta une gigantesque frise historique en grisaille composée de trente-cinq toiles (formant un ensemble de 100 mètres de long) qui simulaient des bas-reliefs à l’antique. Inspirée par l’Ode à Bonaparte libérateur du jeune poète Ugo Foscolo, elle glorifiait les victoires françaises, de la première campagne d’Italie jusqu’à la bataille de Friedland. Ce cycle intitulé Les Fastes de Napoléon fut détruit par les bombardements alliés qui dévastèrent Milan en août 1943. Seules sa reproduction gravée et une étude préparatoire pour La Bataille du pont de Lodi témoignent désormais de cette œuvre qui constituait l’un des plus importants ensembles de peinture d’histoire néo-classique. Le superbe tirage d’estampes réalisé dans les années 1860 pour Napoléon III et conservé à la Malmaison révèle des compositions dynamiques où souffle un vent épique. L’énergie fougueuse de certaines scènes montre un aspect méconnu de l’art d’Appiani.
Andrea Appiani (1754-1817), Portrait en buste d’Auguste-Amélie de Bavière avec veste blanche et couronne de perles, 1806-1808. Huile sur toile, 75 x 59 cm. Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Gérard Blot
Les réquisitions d’œuvres d’art par Appiani
Nommé par le général Bonaparte membre de la Commission des arts de l’armée d’Italie en mai 1797, Appiani fut chargé de sélectionner et de réquisitionner des œuvres d’art en Lombardie et en Vénétie destinées à enrichir les collections du Louvre. À partir de 1802, les spoliations furent destinées en grande majorité à la pinacothèque de Brera, et dans une moindre mesure à la pinacothèque de Bologne. En tant que commissaire des Beaux-Arts, Appiani eut la haute main sur les œuvres d’art des églises, des congrégations religieuses et des corporations, décrétées biens nationaux. Il parcourut les départements nouvellement créés de la jeune République italienne pour établir un inventaire du patrimoine artistique, accompagné d’un classement selon des critères esthétiques.
La pinacothèque de Brera
Les œuvres les plus prisées, comme Le Mariage de la Vierge de Raphaël provenant de l’église San Francesco de Città di Castello en Ombrie, furent envoyées à la pinacothèque de Brera qui connut un développement spectaculaire en une dizaine d’années. Les œuvres jugées de moindre qualité furent attribuées à d’autres institutions. Une dernière catégorie regroupait des pièces déconsidérées, destinées à être échangées ou même vendues pour subvenir aux besoins de l’État. Appiani réquisitionna presque uniquement des peintures : des tableaux, mais aussi des fresques qui devaient faire l’objet d’opérations minutieuses pour les détacher des murs. Suivant ses goûts personnels, il s’intéressa surtout aux œuvres du Cinquecento et du Seicento, principalement de l’école lombarde, mais aussi des écoles bolonaise et vénitienne. Les pièces confisquées furent rarement restituées après la chute de l’Empire. Elles forment encore aujourd’hui le cœur de la pinacothèque de Brera et constituent près de la moitié de ses collections.
Le meilleur fresquiste de son temps
Les bombardements de 1943 firent également disparaître une part considérable des décors réalisés par Appiani dans les palais de Milan. Considéré comme le meilleur fresquiste de son temps (au point que David lui demanda conseil en la matière), le peintre fut notamment admiré pour l’Histoire de Psyché et de Cupidon commandée en 1792 par l’archiduchesse Marie-Christine afin d’orner la rotonde de la Villa royale de Monza. Il exécuta un nombre impressionnant de grands décors dans la même veine mythologique. Un spectaculaire dessin préparatoire à son Zéphyr et Flore permet d’évoquer la série de plafonds peints pour le Palazzo Passalacqua Seufferheld Bergamasco, un autre représentant Apollon et Daphné témoigne d’un cycle peint pour le petit temple néo-classique élevé dans le jardin du Palazzo Sannazzaro.
Andrea Appiani (1754-1817), Zéphyr et Flore, 1792. Lavis, crayon noir, fusain et rehauts blancs à la gouache sur papier préparé beige, mis au carreau, 155 x 160 cm. Milan, Galleria d’Arte Moderna. Photo service de presse. © Ville de Milan – tous droits réservés
Dernières années
Dès sa nomination comme vice-roi d’Italie en 1805, Eugène de Beauharnais commanda au peintre de nouveaux décors à la gloire de Napoléon pour le palais royal. Quelques études pour l’Apothéose de Napoléon dans la salle du Trône attestent de ce vaste programme iconographique (en grande majorité détruit en 1943, puis partiellement remonté à la Villa Carlotta de Tremezzina). Plusieurs esquisses rendent compte de son unique cycle destiné à une église milanaise, Santa Maria dei Miracoli presso San Celso, qui constitue aujourd’hui l’un des rares décors d’Appiani conservés dans son intégralité. Le peintre, grand admirateur de Corrège, y accentua la manière douce et suave qui transparaît dans ses derniers tableaux, comme La Toilette de Junon, achevée peu de temps avant l’attaque d’apoplexie qui mit brutalement fin à sa carrière en 1813. Le monument funéraire sculpté par Thorvaldsen lui rendit un dernier hommage dans le goût néo-classique dont il avait été l’un des plus grands représentants en Italie.
« Appiani (1754-1817). Le peintre de Napoléon en Italie », jusqu’au 28 juillet 2025 au musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau, 1 bis avenue de l’Impératrice Joséphine, 92500 Rueil-Malmaison. Tél. 01 41 29 05 55. www.musees-nationaux-malmaison.fr
Catalogue, GrandPalaisRmn Éditions, 224 p., 40 €.