Le média en ligne des Éditions Faton

Le musée du quai Branly se pare d’or

Tissu pour jupe tubulaire (détail), début du 20e siècle, Cambodge. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Tissu pour jupe tubulaire (détail), début du 20e siècle, Cambodge. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo service de presse © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon

Des riches soieries brochées d’or du Maroc aux somptueux kimonos japonais, en passant par les robes chamarrées de la presqu’île arabe et les drapés indiens, avec son exposition « Au fil de l’or », le musée du quai Branly – Jacques Chirac nous entraîne dans un parcours d’une grande richesse.

Matériau de luxe par excellence, l’or est associé au pouvoir dès les temps les plus anciens. Employé pour fabriquer des parures et des armes, il est également intégré dans les textiles destinés aux puissants. Artisans du fil et orfèvres unissent leur talent afin d’exploiter son caractère malléable et ductile. Tantôt les brodeurs créent de magnifiques dessins au moyen de fils d’or, souvent enroulés autour d’une âme de soie, tantôt les tisserands mêlent les lames et les filés d’or directement aux fibres de soie ou de lin.

Christian Dior par John Galliano (né en 1960). Haute couture printemps-été 2004. Veste et jupe rebrodées or (mosaïques géométriques de plaques de rhodoïd, encolure composéede motifs d’ailes de scarabée et vermicelles de paillettes en écaille). Collection Dior Héritage, Paris.

Christian Dior par John Galliano (né en 1960). Haute couture printemps-été 2004. Veste et jupe rebrodées or (mosaïques géométriques de plaques de rhodoïd, encolure composéede motifs d’ailes de scarabée et vermicelles de paillettes en écaille). Collection Dior Héritage, Paris. Photo service de presse. © Dior, Photo © Laziz Hamani

Les vêtements qui en résultent témoignent d’un goût indéniable du faste. Dans de nombreuses cultures du Maghreb à l’Extrême-Orient, l’or est d’abord réservé aux familles régnantes et à des cérémonies bien particulières, avant de se diffuser progressivement au sein de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, ainsi que dans le monde du théâtre.

Dans l’exposition, aux tenues historiques répondent les créations de Guo Pei, qui associe techniques traditionnelles et innovations pour donner naissance à des pièces exceptionnelles.

L’« or de Chypre »

Cette expression désigne un type de fil bien particulier, composé d’une âme de lin autour de laquelle sont enroulées des lamelles organiques (dites baudruches) recouvertes d’or. Son utilisation se diffuse au Moyen-Orient et tout autour du bassin méditerranéen à partir du Xe siècle. Cette chasuble réalisée dans un samit, un tissu précieux en soie, a été décorée grâce à cette technique, vraisemblablement par un atelier hispano-mauresque (Andalousie) ou sicilien, d’un motif de griffons ailés affrontés de part et d’autre d’un arbre de vie stylisé.

Chasuble de saint Yves, Andalousie, XIe-XIIe siècles. Soie, lamelle organique (baudruche) enroulée autour d’une âme en lin. Église paroissiale de Louannec (Côtes d’Armor).

Chasuble de saint Yves, Andalousie, XIe-XIIe siècles. Soie, lamelle organique (baudruche) enroulée autour d’une âme en lin. Église paroissiale de Louannec (Côtes d’Armor). Photo service de presse. © Guy Artur, Norbert Lambart. Service de l’Inventaire du ­ Patrimoine Culturel © Région Bretagne

Entre Orient et Occident

La présence de l’impératrice Eugénie lors de l’inauguration du canal de Suez (1869) donne naissance chez les femmes égyptiennes à un véritable engouement pour la mode occidentale. Cela se traduit par l’adoption de formes européennes, tandis que le travail de broderie fait toujours honneur aux savoir-faire égyptiens. Ce costume de mariage est ainsi décoré selon la technique du dival, proche de l’art pratiqué par les selliers. Les motifs sont réalisés en créant un rembourrage en carton collé sur le textile et recouvert de fils d’or juxtaposés.

Costume de mariage, Le Caire, Égypte, 1880. Satin, cannetilles, fils métalliques dorés (?). Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Costume de mariage, Le Caire, Égypte, 1880. Satin, cannetilles, fils métalliques dorés (?). Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo service de presse. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon

Le costume iranien

L’expansion musulmane en Orient à partir du VIIe siècle va de pair avec le développement d’un certain goût du luxe, qui se traduit par l’utilisation fréquente de riches étoffes, souvent rehaussées de décors à fils d’or. Cet usage perdure au fil des siècles. Ainsi au XIXe siècle, les femmes du harem du Shah de Perse portent-elles des jupes et des vestes confectionnées dans des soieries brochées d’or ou rehaussées de broderies appelées « naqdah douzi ».

Veste, Iran, XIXe siècle-début du XXe siècle. Soie, broché de filés métalliques dorés. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Veste, Iran, XIXe siècle-début du XXe siècle. Soie, broché de filés métalliques dorés. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo service de presse. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon

À la mode d’Espagne

Pièce emblématique du costume oriental tel qu’il est représenté par les peintres orientalistes, le caftan a conquis au fil du temps de nombreuses populations. Prisé à la cour de Bagdad dès le IXe siècle, il se retrouve ensuite dans ­l’Espagne musulmane. Du XIVe au XVIIe siècle, les rois catholiques expulsent ­d’Espagne des milliers de juifs et de musulmans, qui s’installent alors au Maghreb. Parmi eux, des brodeurs d’or contribuent à y renouveler l’artisanat du luxe. C’est ainsi que les femmes marocaines, inspirées par celles de Grenade, adoptent ce vêtement d’apparat à larges manches dès le XVIe siècle.

Caftan d’apparat, Rabat, Maroc, fin du XIXe-début du XXe siècle. Filés métalliques, broché de soie, galons dorés. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Caftan d’apparat, Rabat, Maroc, fin du XIXe-début du XXe siècle. Filés métalliques, broché de soie, galons dorés. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo service de presse. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

De précieux costumes de théâtre

En Chine, le rang des dignitaires est indiqué par les motifs qui ornent leurs vêtements. Il en va de même dans le théâtre de Pékin, où chaque typologie de costume est associée à un décor spécifique. On reconnaît ainsi ce costume de guerrière de la garde impériale aux dragons à cinq griffes brodés sur la ceinture. Le décor est notamment réalisé avec des filés dorés et argentés en point de couchure, c’est-à-dire des fils de soie autour desquels sont enroulées de fines lames de métal précieux, qui sont ensuite maintenues sur le tissu par des points de broderie très ­discrets.

Armure guerrière nükao, Chine, début du XXe siècle. Satin de soie brodé, coton, filés organiques dorés et argentés, fils de soie, miroirs, pampilles en cuivre. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac.

Armure guerrière nükao, Chine, début du XXe siècle. Satin de soie brodé, coton, filés organiques dorés et argentés, fils de soie, miroirs, pampilles en cuivre. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. Photo service de presse. © musée du quai Branly – Jacques Chirac

Somptueuse tenue de mariage

Au Japon, les artisans utilisent de nombreuses techniques pour rehausser les textiles d’or, créant ainsi des vêtements d’un grand raffinement. Les uchikake ou manteaux de mariage, des sur-kimonos qui se portent sans ceinture, font l’objet d’un soin tout particulier. Sur celui-ci, le décor mêle broderies, peinture sur soie et application de feuilles d’or sur un fond de taffetas damassé. Des motifs de pins côtoient des médaillons composés de fleurs de prunier et de feuilles de bambou, synonymes de force et de prospérité, traditionnellement associées au mariage.

Manteau de mariée uchikake, Japon, début du XXe siècle. Taffetas damassé, broderies, peinture, applications de feuilles d’or, filés organiques dorés et argentés. Don Kokusai Bunka Shinkokai.

Manteau de mariée uchikake, Japon, début du XXe siècle. Taffetas damassé, broderies, peinture, applications de feuilles d’or, filés organiques dorés et argentés. Don Kokusai Bunka Shinkokai. Paris, musée du quai Branly – Jacques Chirac. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Pauline Guyon

De la broderie traditionnelle à la haute couture

Cette robe de mariée traditionnelle dessinée par la créatrice de mode Guo Pei est un chef-d’œuvre de broderie qui révèle toute la sophistication de la culture chinoise. Elle est ornée d’une trentaine de points de broderie empruntés au monde entier. Ceux-ci donnent vie à des motifs complexes qui sont autant de vœux à l’égard de la future mariée : nuages de bon augure, synonymes d’harmonie et de bonheur conjugal ; courges, symbole de richesse et de bonne fortune ; pivoines, signes de chance et de prospérité ; dragon et phénix, reflets d’une alliance matrimoniale idéale. Cousue à la main avec des fils d’or, cette robe a nécessité cinq ans de travail.

Guo Pei (née en 1967), robe de mariée traditionnelle chinoise en or. Broderies de fils d’or pur, cuir, soie.

Guo Pei (née en 1967), robe de mariée traditionnelle chinoise en or. Broderies de fils d’or pur, cuir, soie. Photo service de presse. © Guo Pei, Chine. Photo Minghua LI, Chine

« Au fil de l’or. L’art de se vêtir de l’Orient au Soleil-Levant », du 11 février au 6 juillet 2025 au musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37 quai Branly, 75007 Paris. Tél. 01 56 61 70 00. www.quaibranly.fr

Catalogue, coédition Skira / musée du quai Branly – Jacques Chirac, 256 p., 47 €.