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Les portraits saisissants de Francis Bacon à la Fondation Pierre Gianadda

Francis Bacon, Study for Portrait of Lucian Freud (détail), 1964. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. The Lewis Collection.

Francis Bacon, Study for Portrait of Lucian Freud (détail), 1964. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. The Lewis Collection. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025. Photo Christie’s Images / Bridgeman Images

Peintre des papes hurlants, des amants défigurés et des artistes errants, Francis Bacon a fait du portrait le terrain de toutes ses expérimentations, cherchant à saisir, au-delà des apparences, la présence fugace de ses modèles. La Fondation Pierre Gianadda de Martigny, en partenariat avec la National Portrait Gallery de Londres, consacre à cet aspect de l’œuvre du peintre britannique une remarquable exposition, réunissant une trentaine d’œuvres majeures issues de nombreuses collections privées et publiques d’Europe et d’outre-mer.

L’exposition s’ouvre sur ses portraits anonymes réalisés au tournant des années 1950, et se clôt avec son dernier autoportrait, retrouvé inachevé sur son chevalet à sa mort en 1992. Les premiers portraits de Bacon témoignent d’une vision sombre, profondément marquée par le contexte de l’après-guerre. Ses personnages expriment une souffrance sourde, comme en témoignent Head VI, déformation hurlante du Portrait du Pape Innocent X de Velázquez, ou encore Study of the Human Head. Ces œuvres, bien que respectant encore les conventions du portrait en buste, dégagent une atmosphère oppressante : les figures, enfermées dans des cages transparentes ou traversées de stries verticales – véritables rideaux de lumière – laissent apparaître de manière troublante leurs dents, dans un rictus figé.

Francis Bacon, Head VI, 1949. Huile sur toile, 93,2 x 76,5 cm. Londres, Arts Council Collection, Southbank Centre.

Francis Bacon, Head VI, 1949. Huile sur toile, 93,2 x 76,5 cm. Londres, Arts Council Collection, Southbank Centre. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025

De la photographie au portrait peint

Sa première commande de portrait montre Robert Sainsbury en costume élégant, émergeant de l’ombre tel un spectre vulnérable. Son épouse Lisa pose également pour Bacon entre 1955 et 1957. Pourtant, la présence réelle du modèle compte moins pour l’artiste que les photographies hiératiques du buste de Néfertiti, qui lui permettent d’achever la toile. Dès lors, pour représenter les membres de son cercle de Soho, Bacon ne travaille plus qu’à partir de photographies, de préférence celles prises par son ami John Deakin. Le peintre avoue que la présence des modèles dans son atelier l’intimide. Il n’hésite pas à déchirer ou froisser ces clichés pour nourrir ses propres distorsions et fragmentations.

Francis Bacon, Study of Portrait of John Edwards, 1989. Huile sur toile, 35,9 x 30,8 cm. Arora Collection.

Francis Bacon, Study of Portrait of John Edwards, 1989. Huile sur toile, 35,9 x 30,8 cm. Arora Collection. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025

Peindre la psychologie du sujet

Dans les années 1960, Bacon se concentre sur la représentation de ses proches – amis et amants – parmi lesquels Peter Lacy, Henrietta Moraes, Muriel Belcher, Lucian Freud ou encore Isabel Rawsthorne. À travers ces portraits, il explore non seulement la ressemblance physique, mais également la psychologie de ses sujets. L’artiste considère que chaque peinture est, d’une certaine manière, un autoportrait.

Francis Bacon, Study for Portrait of Lucian Freud, 1964. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. The Lewis Collection.

Francis Bacon, Study for Portrait of Lucian Freud, 1964. Huile sur toile, 198 x 147,5 cm. The Lewis Collection. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025. Photo Christie’s Images / Bridgeman Images

Bacon et l’autoportrait

Bacon déforme également son propre visage avec une intensité saisissante, comme le montre Étude pour un autoportrait de 1963. Cet impressionnant corpus d’autoportraits, qu’il réalisa tout au long de sa carrière, ne trouve qu’un seul véritable précédent dans l’histoire de l’art : Rembrandt. Bacon admire tout particulièrement l’Autoportrait au béret du maître hollandais, prêté exceptionnellement par le musée Granet. L’exposition réunit également des œuvres majeures, parmi lesquelles le bouleversant Triptyque de 1973, consacré à la mémoire de son amant George Dyer, qui dialogue avec l’Étude pour un portrait (avec deux hiboux), issue des collections du Museum of Modern Art de San Francisco.

Francis Bacon, Self-Portrait, 1972. Huile sur toile, 35,5 x 30,5 cm. The Lewis Collection.

Francis Bacon, Self-Portrait, 1972. Huile sur toile, 35,5 x 30,5 cm. The Lewis Collection. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025

Dialogue entre photographie et peinture

Enfin, des photographies réalisées par Cecil Beaton, Arnold Newman et Bill Brandt viennent compléter ce parcours, capturant l’image de Bacon à différentes étapes de sa vie. Ces documents offrent un regard inédit sur l’artiste et permettent un dialogue fécond entre peinture et photographie. Cette mise en lumière d’un des plus grands peintres du XXe siècle révèle toute la puissance expressive et la singularité de son travail, marqué par une tension permanente entre figuration et déformation, entre l’incarnation picturale et la présence humaine. 

Francis Bacon, Study for Portrait (with Two Owls), 1963. Huile sur toile, 197,5 x 144,8 cm. San Francisco Museum of Modern Art.

Francis Bacon, Study for Portrait (with Two Owls), 1963. Huile sur toile, 197,5 x 144,8 cm. San Francisco Museum of Modern Art. Photo service de presse. © The Estate of Francis Bacon, All rights reserved / Adagp, Paris, 2025

« Francis Bacon. Présence humaine », jusqu’au 8 juin 2025 à la Fondation Pierre Gianadda, rue du Forum 59, 1920 Martigny. Tél. 00 41 27 722 39 78. www.gianadda.ch

Catalogue, éditions Fondation Pierre Gianadda, 228 p., 35 CHF.