Medardo Rosso à Bâle : un révolutionnaire discret dans l’ombre de Rodin

Medardo Rosso (1858-1928), Enfant au soleil, 1891-1892. Plâtre, 35 x 21 x 19 cm. Barzio, musée Medardo Rosso. Photo service de presse. © Max Ehrengruber
Érigé en modèle par de nombreux artistes, le sculpteur italo-français Medardo Rosso (1858-1928) demeure aujourd’hui fort mal connu. Non content de lui consacrer enfin une belle rétrospective, le Kunstmuseum de Bâle fait le pari de révéler la portée de son influence en le faisant dialoguer avec des artistes aussi divers qu’Edgar Degas, Constantin Brancusi, Marcel Duchamp ou David Weiss.
« Medardo Rosso est sans aucun doute le plus grand sculpteur vivant », affirme Guillaume Apollinaire en 1918 dans la revue L’Europe Nouvelle. Comment expliquer dès lors le relatif oubli dans lequel il est tombé ? Écrasé peut-être par l’insolent succès de son ami et rival Auguste Rodin, le Turinois débarqué à Paris en 1889 n’a pas recherché la gloire.
« Redonner vie » à la sculpture
Préférant l’intimisme au monumental, les modèles anonymes aux célébrités, la fragilité de la cire et du plâtre à la majesté du marbre, cet autodidacte entend avant tout « redonner vie » à la sculpture. Mais surtout, contrôlant attentivement toutes les étapes de création de ses œuvres, Rosso ne s’entoure pas d’une multitude d’assistants et veille jalousement sur la fonte de ses bronzes. Aussi n’a-t-il élaboré qu’une quarantaine de motifs qu’il décline ensuite subtilement au fil des ans, tels que la Rieuse, Enfant malade, L’Homme qui lit ou L’Âge d’or. C’est donc un véritable tour de force d’avoir réuni à Bâle quelque cinquante sculptures auxquelles s’ajoutent 250 dessins et photographies. Ces clichés s’avèrent particulièrement signifiants puisqu’ils font dès 1900 partie intégrante du processus créatif de l’artiste, qui les expose en bonne place en regard de ses sculptures.
« Les artistes aiment Rosso et le considèrent même souvent plus important que Rodin. »
Le parcours débute au rez-de-chaussée par une vaste salle réunissant un éblouissant florilège de figures mouvantes et penchées, de bustes émergeant de la matière et de visages aux expressions fugitives, tous présentés sur leur socle historique et parfois derrière les vitrines originelles qui leur servaient de « cage ». On mesure ici combien Rosso s’est efforcé d’instiller dans ses œuvres une sensation d’évanescence et d’instabilité formelle, ce qui lui a valu d’être rangé aux côtés de ses amis impressionnistes.
Un modèle pour des générations de sculpteurs
« Les artistes aiment Rosso et le considèrent même souvent plus important que Rodin » affirme Elena Filipovic, directrice du musée et co-commissaire de l’exposition. Par la radicalité de ses recherches plastiques en effet, ce révolutionnaire discret que l’on a aujourd’hui si peu l’occasion d’admirer (ces dernières décennies il n’était guère visible hors d’Italie) a marqué des générations de sculpteurs. C’est ce que s’attache à dévoiler la deuxième partie de l’exposition au gré de sept thématiques telles que « Répétition et variation », « Anti-monumentalité », « Processus et performance », « Apparition et disparition »… Faisant écho au principe de la « conversation » qu’affectionnait Rosso, les commissaires de l’exposition ont imaginé dans les salles de l’étage des dialogues aussi fructueux qu’audacieux entre les œuvres de l’Italien et une soixantaine de sculptures, photographies, peintures, dessins ou vidéos réalisés entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui. Le Mumok de Vienne, le Stedelijk Museum d’Amsterdam, la Galleria d’Arte Moderna de Milan et plusieurs institutions prestigieuses ont à cet effet prêté des œuvres de Richard Serra, Andy Warhol, Miriam Cahn, Danh Vô, Ellsworth Kelly… Une manière pour le moins originale d’explorer en profondeur la démarche de Rosso, de prendre de la distance pour finalement mieux l’appréhender.

Medardo Rosso (1858-1928), Ecce Puer dans l’atelier du boulevard des Batignolles, Paris. Photographie, 17,9 x 13 cm. Collection privée. Photo service de presse. © mumok / Markus Wörgötter
« Medardo Rosso. L’invention de la sculpture moderne », jusqu’au 10 août 2025 au Kunstmuseum, 8 Saint Alban-Graben, 4010 Bâle. Tél 00 41 61 206 62 62. kunstmuseumbasel.ch





