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Napoléon III, fondateur de l’archéologie moderne (2/2). Les grandes fouilles du règne

Fortuné Layraud, Ruines du mont Palatin, Vue des fouilles de la maison de Livie. Peinture sur toile, 85 × 133 cm. Paris, École nationale supérieure des beaux‑arts, don de Napoléon III.

Fortuné Layraud, Ruines du mont Palatin, Vue des fouilles de la maison de Livie. Peinture sur toile, 85 × 133 cm. Paris, École nationale supérieure des beaux‑arts, don de Napoléon III. © Beaux‑Arts de Paris, Dist. RMN‑Grand Palais / image Beauxarts de Paris / SP

Lorsqu’en septembre 1870 le gouvernement provisoire pénètre dans le cabinet de l’Empereur aux Tuileries, il fait l’étonnante découverte d’un grand meuble intitulé « Jules César », composé de casiers soigneusement étiquetés « Alésia », « Gergovie », « Uxellodunum », « Alexandrie »… Napoléon III y avait rassemblé les documents nécessaires à la rédaction d’une imposante histoire du conquérant romain devenu imperator, auquel il s’identifiait. Pour documenter cette épopée, il avait engagé un ambitieux programme de fouilles en France, en Italie et tout autour du bassin méditerranéen. Le musée d’Archéologie nationale, créé en 1867 par cet empereur archéologue, se penche sur cette formidable aventure scientifique, à l’origine de la discipline que nous connaissons aujourd’hui. Parmi les grandes opérations de fouilles lancées par l’empereur, trois sites ont particulièrement marqué l’histoire de la discipline en France. Ils concernent tous la guerre des Gaules.

Alésia, mythique défaite

Dès le XVIIe siècle, l’emplacement d’Alésia est une source d’interrogations. Déjà, Alaise (Jura) et Alise-Sainte-Reine (Côte d’Or) se disputent son emplacement. En 1855, la querelle prend une toute autre ampleur en investissant le terrain des revues savantes. Les deux camps ne manquent pas d’arguments. À Alaise, dont la topographie se prête à des batailles en plaine, de l’armement romain et gaulois est trouvé. Alise-Sainte-Reine semble cependant mieux correspondre aux textes, et à partir de 1859, l’analyse des photographies panoramiques du Dépôt de la Guerre remporte progressivement l’adhésion, suivie par la découverte décisive en 1860 d’armement que l’on pense romain et gaulois. Certain de tenir l’emplacement de la bataille, Napoléon III charge alors la Commission de Topographie des Gaules de lancer des fouilles ; leur but est de comprendre le génie de César et non de documenter la résistance gauloise. Après des débuts difficiles, on finit par identifier la contrevallation et la circonvallation du camp romain, ainsi qu’une masse considérable de matériel.

Lexique

La circonvallation et la contrevallation sont des réseaux de fortifications mis en place dans le cadre d’un siège.

Les fouilles n’allant pas assez vite au goût de l’empereur, ce dernier dépêche Eugène Stoffel sur place en septembre 1862. Alors que la CTG avait jusqu’alors conduit le chantier de manière scientifique, tenant scrupuleusement un relevé des découvertes jour après jour, le militaire privilégie l’efficacité. Les fouilles conduites de septembre 1862 à la fin 1865 sont donc peu documentées, ce qui, à la chute du régime, vient jeter l’opprobre scientifique sur l’ensemble de l’aventure archéologique.

 Maquette des travaux de César devant Alésia, réalisée par le générale Auguste Verchère de Reffye pour Napoléon III. Saint‑Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale.

Maquette des travaux de César devant Alésia, réalisée par le générale Auguste Verchère de Reffye pour Napoléon III. Saint‑Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale. © RMN‑Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Jean Schormans

La photographie en renfort de l’archéologie

Cette série de photographies a certainement été prise à l’automne 1861. Se distingue une tranchée ouverte à l’automne 1861, puis abandonnée. L’auteur de ces prises de vues, Jean‑Baptiste Malchaussé, dit Bérubet, est opticien de formation, installé à Clermont‑Ferrand, et converti à la photographie en 1843, comme le font à la même époque de nombreux opticiens, médecins, ingénieurs et pharmaciens grâce à leurs compétences en optique, chimie et physique.

Vue panoramique du plateau de Gergovie depuis la colline de la Roche blanche, 1861‑1862, montage de cinq épreuves sur papier albuminé, collées sur carton; au dos du montage, cachet de Bérubet. H. 30 cm ; l. 133 cm. Saint-Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale, centre des archives, fonds topographique, Puy‑de‑Dôme.

Vue panoramique du plateau de Gergovie depuis la colline de la Roche blanche, 1861‑1862, montage de cinq épreuves sur papier albuminé, collées sur carton; au dos du montage, cachet de Bérubet. H. 30 cm ; l. 133 cm. Saint-Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale, centre des archives, fonds topographique, Puy‑de‑Dôme. © V. Gô ‑ MAN

Uxellodunum, le siège de la défaite

Théâtre de l’ultime siège de César en 51 avant notre ère, le site d’Uxellodunum situé dans le Quercy fascine. Des fouilles sont donc entreprises au Puy d’Issolud dans le Lot pour le retrouver. Qu’en sait-on ? Perchés sur un éperon rocheux, les Gaulois peuvent tenir un long siège grâce aux animaux qu’ils ont rassemblés et à la présence d’une source. Une tour de 10 m de haut, érigée par César afin de prendre d’assaut le promontoire, est accueillie par un déluge de flèches enflammées. Comprenant que l’arrivée d’eau constitue le point faible des assiégés, le Romain va tarir la source en construisant des galeries souterraines, obtenant la reddition des Gaulois. Dès 1861-1862, on identifie les vestiges d’une fontaine et de différentes galeries, ainsi que des traces d’incendie et un armement abondant comparable à celui d’Alésia. Napoléon III valide donc l’identification du lieu, confortée par les fouilles des années 1990. 

La génèse des reconstitutions

Cette statue en plâtre peint, grandeur nature, représentant un légionnaire romain d’après un bas‑relief de la colonne Trajane a été commandée par l’empereur pour le musée de Saint‑Germain consacré à César et à la conquête de la Gaule. Le mannequin a été réalisé par le sculpteur Auguste Bartholdi, une partie des armes et de l’équipement par la maison Leblanc, les vêtements par Hocher, tailleur à Paris. Les sandales en cuir reproduisent très fidèlement la caliga découverte en 1857 à Mayence. Cette reconstitution, bien documentée, a été exposée au musée jusqu’à une époque récente.​​​

​​​​Auguste Bartoldi, Reconstitution de légionnaire romain, 1870. Plâtre, bois, cuir, métal, textile, H. 200 cm. Saint‑Germain‑en-Laye, musée d’Archéologie nationale.

Auguste Bartoldi, Reconstitution de légionnaire romain, 1870. Plâtre, bois, cuir, métal, textile, H. 200 cm. Saint‑Germain‑en-Laye, musée d’Archéologie nationale. © V. Gô ‑ MAN

Gergovie, la place forte gauloise

Ayant conservé au XIXe siècle sa toponymie, le site de Gergovie dans le Puy-de-Dôme ne pose aucun problème d’identification. Lancées par le préfet en 1861, les fouilles s’intéressent particulièrement à l’oppidum, donc aux Gaulois. Cette orientation n’est pas du goût de l’empereur qui dépêche Stoffel en 1862 afin d’orienter plus particulièrement les recherches sur l’emplacement du grand et du petit camp mentionnés par César. Ces derniers sont rapidement identifiés. L’intérêt de Napoléon III pour le site est vraisemblablement moindre que pour les précédents, puisqu’il s’agit là de la défaite de César face aux Arvernes. Dans son tome II, le site n’a d’ailleurs droit qu’à deux notes en bas de page !

Les relevés de Fortuné Layraud

Modeste berger de la Drôme, Joseph-Fortuné-Séraphin Layraud (1833-1913) fait ses études à l’école des Beaux-Arts de Paris et obtient le prix de Rome en 1863 ; il séjourne alors à l’Académie de France à Rome entre 1864 et 1870. En 1869, à la suite de fouilles ordonnées par Napoléon III, la villa Livia est découverte sur le mont Palatin. Layraud y peint les Ruines du mont Palatin. Vue des fouilles de la maison de Livie et fait une copie très exacte de cinq fresques, exposée ensuite à l’école des Beaux-Arts de Paris. Il est le seul peintre attesté à ce jour à avoir documenté la découverte de cette maison. La justesse de ses reproductions, faites en atelier d’après des photographies, force l’admiration de ses contemporains. Le Décor peint de la Domus Tiberiana montre une femme et un enfant, placés dans une architecture fictive rendue par des colonnes et des frises. Layraud reproduit fidèlement la fresque antique, restituant avec précision les dommages et lacunes subis par la couche picturale – et même un carré de nettoyage moderne ouvert sur la robe de l’enfant ! –, s’abstenant de toute invention ou touche personnelle. É. F.

Fortuné Layraud, Décor peint de la Domus Tiberiana, vers 1864-1865. Huile sur toile, 116,5 × 19,65 cm. Saint‑Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale.

Fortuné Layraud, Décor peint de la Domus Tiberiana, vers 1864-1865. Huile sur toile, 116,5 × 19,65 cm. Saint‑Germain‑en‑Laye, musée d’Archéologie nationale. © MAN / Valorie Gô

« D’Alésia à Rome. L’aventure archéologique de Napoléon III (1861-1870) », du 19 septembre 2019 au 3 janvier 2021 au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye, place Charles de Gaulle, 78100 Saint-Germain-en-Laye. Tél. 01 39 10 13 00. www.musee-archeologienationale.fr

Catalogue de l’exposition, RMN, 192 p., 30 €

Sommaire

Napoléon III, fondateur de l’archéologie moderne

2/2. Les grandes fouilles du règne​​​