Paris-Athènes (1675-1919) : la naissance de la Grèce moderne retracée au Louvre

Aquarelle du sanctuaire d’Apollon à Delphes par l’architecte Albert Tournaire en 1894. Restauration du Temenos d’Apollon d’après les ruines et les textes anciens. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA). © Beaux-Arts de Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-Arts de Paris
Dans l’histoire de la Grèce, l’Antiquité occupe largement le devant de la scène, ne laissant qu’une maigre place aux périodes qui l’ont suivie. Profitant du bicentenaire d’une part du début de la guerre de Libération de la Grèce (le 25 mars 1821), d’autre part de l’entrée de la Vénus de Milo au Louvre (le 1er mars 1821), cette exposition dirige les projecteurs vers la Grèce moderne : sa naissance au XIXe siècle est étroitement liée à l’essor de l’archéologie scientifique française.
Une redécouverte de la Grèce
En 1675 (date choisie comme première borne chronologique du parcours de l’exposition), le marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV à Constantinople, visite Athènes et traverse la Grèce. Il y découvre une province alors appelée la « Roumélie », dominée par les Ottomans depuis 1456, mais encore fortement marquée par un riche passé antique (époques classique et hellénistique) et médiéval (période byzantine). Pendant son voyage, Nointel fait relever les décors sculptés du Parthénon (qui est bombardé en 1684) et acquiert des marbres et des stèles aujourd’hui conservés au musée du Louvre. D’autres ambassadeurs, diplomates et marchands le suivront sur cette voie et contribueront ainsi à enrichir les collections françaises de sculptures issues du monde grec antique. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’archéologie en tant que discipline à part entière n’existe pas encore, mais l’attrait pour les « antiquités » est croissant : les acquisitions de pièces antiques se multiplient, et la production de nombreux relevés et dessins (de monuments, d’inscriptions et d’objets de la période classique) donne lieu à des encyclopédies illustrées de plus en plus documentées. Dans les années 1780, le comte de Choiseul-Gouffier (ambassadeur de Louis XVI) s’inspire d’un séjour à Athènes et alentour pour écrire son Voyage pittoresque de la Grèce, précieux témoin de l’état de la province à cette époque.
« Les nations européennes se mobilisent pour soutenir les Grecs dans un mouvement collectif de solidarité appelé le philhellénisme. »

Pyxis avec couvercle. Géométrique moyen (quatrième quart du IXᵉ siècle avant notre ère). Céramique. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) Stéphane Maréchalle / SP
La guerre d’indépendance et la construction d’un nouvel État
Alors que certains Européens s’indignaient déjà au siècle précédent de la domination de l’Empire ottoman sur une province si chère à leurs yeux (dans son ouvrage cité plus haut, Choiseul-Gouffier déplore la perte de l’identité grecque au profit des traditions ottomanes), Germanos, métropolite de Patras, appelle les Grecs à se soulever contre les Turcs le 25 mars 1821 (qui restera la date de la fête nationale de la Grèce). Après la libération d’Athènes, du Péloponnèse, de Missolonghi et de Thèbes, l’indépendance est proclamée le 12 janvier 1822, mais l’Empire ottoman ne tarde pas à riposter en se lançant dans une guerre sans merci contre la province grecque. Les revendications des Grecs prennent alors une dimension internationale : touchées par les attaques turques, les nations européennes se mobilisent pour soutenir les Grecs dans un mouvement collectif de solidarité appelé le philhellénisme (mot qui désigne de manière générale l’amour de la Grèce, et plus particulièrement ce mouvement politique).
« Les sites et les vestiges archéologiques contribuent à définir le sentiment d’appartenance à une nation commune. »
La mouvance philhellène se manifeste par l’engagement de nombreux volontaires européens qui partent se battre aux côtés des Grecs insurgés, et par la mobilisation d’idéologues, d’artistes ou de simples particuliers qui, tout en restant dans leur pays, œuvrent activement en faveur de la cause grecque (collecte de fonds, ouvrages, chansons, poèmes, tableaux, organisation à Paris d’une exposition « au profit des Grecs »…). Pour ne citer qu’un exemple de cet engagement européen en Grèce, la France décide d’envoyer, après la prise de Missolonghi par les Turcs (1826), une expédition militaire destinée à libérer le Péloponnèse. En plus des 15 000 hommes que compte le corps expéditionnaire, 19 savants profitent du voyage pour mener une mission scientifique d’envergure qui aboutira à la publication de trois volumes consacrés à l’architecture, à la sculpture et aux inscriptions de cette région de la Grèce. À l’issue d’une guerre qui aura duré plus de 10 ans, le traité de Constantinople, signé en 1832 par l’Empire ottoman d’un côté et les grandes puissances européennes de l’autre, pose les bases d’un État grec indépendant. Accompagné par de nombreux savants et artistes, Othon Ier, prince d’origine bavaroise installé sur le trône grec, cherche à construire une nouvelle identité pour cette Grèce moderne désormais héritière d’un triple patrimoine antique, byzantin et ottoman.
La naissance de l’archéologie scientifique
Au même titre que la langue, les traditions, la littérature ou encore le costume, les sites et les vestiges archéologiques contribuent à définir le sentiment d’appartenance à une nation commune. C’est principalement dans cet objectif que la Grèce se dote, dès 1837, d’une Société archéologique destinée à explorer et à promouvoir son patrimoine antique, les premières fouilles se déroulant à Athènes, devenue capitale depuis 1834. Parallèlement, les autorités grecques inaugurent des mesures protectrices qui interdisent les exportations d’antiquités. Mais les sites à étudier sont tellement nombreux que l’État grec décide de proposer des concessions de fouilles à des instituts étrangers, qui se répartissent ainsi les grands sites archéologiques de la Grèce antique. Les archéologues de l’École française d’Athènes se voient par exemple confier les fouilles de Delphes à partir de 1861-1862, tandis que le site d’Olympie est fouillé par l’École allemande dès 1875. C’est à ce moment-là, au milieu du XIXe siècle, que naît une véritable discipline archéologique, caractérisée par une approche plus scientifique de la fouille ; souhaitant dépasser un « antiquarianisme » considéré comme désuet, l’archéologie se présente désormais comme une science qui se fonde sur l’accumulation des données et leur critique systématique. Grâce à la photographie, à la technique du moulage, aux relevés stratigraphiques, à la constitution d’une documentation précise et à la publication de corpus, une méthodologie se construit et les découvertes sont mieux valorisées. Si les connaissances de l’archéologie en Grèce étaient très limitées avant les grandes fouilles de la fin du XIXe siècle, elles sont maintenant accessibles au public, qui pose un regard nouveau sur ce passé antique : lors de l’Exposition universelle de 1900, où sont présentés de nombreux moulages et photographies parmi lesquels figurent notamment les résultats de la grande fouille de Delphes (1892-1903), les visiteurs découvrent alors une autre Grèce…
L’exposition est placée sous le commissariat de Marina Lambraki Plaka, directrice de la Pinacothèque nationalemusée Alexandre Soutsos (Athènes), Anastasia Lazaridou, directrice des musées archéologiques, des expositions et des programmes éducatifs au ministère de la Culture et des Sports (Athènes) et Jean-Luc Martinez, président-directeur honoraire du musée du Louvre, assisté de Débora Guillon.
Pour aller plus loin
Si cet article se focalise sur le rôle de l’archéologie dans la naissance de la Grèce moderne, l’exposition comporte également un volet consacré aux artistes grecs des XIXe et XXe siècles. Pour en savoir plus sur cette question : Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne 1675-1919 (catalogue de l’exposition), sous la direction de Jean-Luc Martinez, assisté de Débora Guillon, coédition Louvre éditions / Hazan.
« Paris-Athènes 1675-1919. Naissance de la Grèce moderne », du 30 septembre 2021 au 7 février 2022 au musée du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris. Tél. 01 40 20 50 50. www.louvre.fr









