Parole d’artiste ! Rencontre avec Guillaume Bresson sous les ors du château de Versailles
Portrait de Guillaume Bresson. Photo service de presse. © château de Versailles – T. Garnier © Adagp, Paris, 2025
Peintre des bagarres de rue, des tablées caravagesques, des chutes baroques, Guillaume Bresson, né en 1982 à Toulouse, a débuté sa carrière à l’orée des années 2000 en choisissant audacieusement la peinture figurative, alors dépréciée en France. Représentant des figures anonymes dans des lieux en marge, ses toiles, sans titre, sont patiemment composées et minutieusement réalisées pendant plusieurs mois ou années. Ce printemps, le château de Versailles lui consacre sa première rétrospective française dans les salles d’Afrique : un accrochage d’une trentaine d’œuvres, qui questionne puissamment les immenses toiles d’Horace Vernet exaltant la conquête de l’Algérie. L’occasion de revenir avec l’artiste sur son parcours et ses méthodes de travail.
Propos recueillis par Enzo Menuge
Comment êtes-vous venu à l’art ?
Vers l’âge de 13 ans, j’ai d’abord découvert le graff dans la banlieue de Toulouse, à Rangueil. À cette période, le mouvement du Street Art n’existait pas encore, ni aucun débouché professionnel pour cette pratique. J’ai alors pris des cours de dessin d’après le modèle vivant, puis je me suis mis à peindre à l’huile de manière un peu naïve. J’ai commencé à travailler plus sérieusement après mon baccalauréat, lors de mes six mois de fac d’arts plastiques à Toulouse, avant d’intégrer l’école des Beaux-Arts de Paris. C’est vraiment à ce moment que j’ai atterri dans le monde de l’art ; venant du graffiti, je ne connaissais ni l’art classique ni l’art contemporain. En arrivant dans la capitale, je n’avais pas de bagage culturel ; j’ai découvert en même temps le Louvre et le palais de Tokyo.
« Lorsque j’ai découvert comment on peut raconter une histoire en peinture, par le mouvement des corps et la mise en scène dans un espace, j’ai trouvé cela fascinant. »
Vous entrez à l’école des Beaux-Arts de Paris en 2001 et vous en sortez diplômé en 2007 sans avoir été dans un atelier…
En première année, j’étais dans l’atelier du peintre Abraham Hadad qui a pris sa retraite l’année suivante, et je n’ai pas trouvé de place auprès d’un autre professeur. Pendant cinq ans, j’ai donc travaillé chez moi et François Boisrond a eu la gentillesse d’accepter de me déclarer comme son élève pour que j’échappe au renvoi. Il m’a également présenté au diplôme. À mon arrivée, je m’intéressais surtout à la technique, fréquentant les cours de dessin, de modelage d’après modèle et de morphologie le matin, et l’après-midi je peignais chez moi. Au départ, j’avais une pratique à la fois figurative et abstraite. Lorsque j’ai découvert comment on peut raconter une histoire en peinture, par le mouvement des corps et la mise en scène dans un espace, j’ai trouvé cela fascinant. C’est à ce moment que je me suis engagé pleinement dans la peinture figurative. Je me suis mis à lire les ouvrages théoriques sur la peinture d’Alberti et Léonard de Vinci, mais aussi la correspondance de Poussin pour découvrir leur méthode de travail et ainsi nourrir la mienne. Je suis également allé copier les schémas de composition des tableaux des maîtres anciens au Louvre.
Guillaume Bresson, Sans titre, 2023. Huile sur bois, D. 96,2 cm. Collection particulière. Photo service de presse. Photo courtesy Guillaume Bresson et galerie Nathalie Obadia Paris/ Bruxelles – S. Cherry. © Adagp, Paris, 2025
Quelle méthode suivez-vous pour élaborer vos tableaux ?
Depuis mon diplôme, j’ai évolué techniquement, mais mon objectif reste essentiellement le même : représenter des corps en mouvement dans un espace. Pour développer ce travail de mise en scène, au début, je prenais les modèles que j’avais sous la main, ma famille et mes amis d’adolescence de Toulouse. Ce n’était pas un choix, j’ai tout simplement représenté mon environnement proche. Dix ans après, j’ai découvert grâce à des amis Pierre Bourdieu, et j’ai pris conscience que, dans mon choix d’intégrer mes proches dans une représentation picturale assez classique habituellement vouée aux puissants, il y avait une forme de logique sociologique. Cela reflétait mon parcours lié à un certain environnement social. Cette lecture m’a beaucoup marqué. Finalement mes tableaux sont des situations sociales : je dépeins des individus en action dans leur milieu social. Après avoir travaillé avec mes amis, j’ai été invité à travailler en résidence dans différentes structures. J’ai, par exemple, fait poser des lycéens de la Porte de Vanves ou encore des jeunes d’une association de Los Angeles que j’ai pris en photo pour les peindre ensuite. On m’a également régulièrement invité à travailler avec des chorégraphes et des compagnies de danse. Étudiant, je n’avais pas d’appareil photo personnel, ni même d’ordinateur ; je dessinais d’après des photos que je mettais au carreau de manière très classique. Par la suite, j’ai commencé à travailler sur Photoshop, effectuant ce même travail de composition de manière numérique. Je redécoupais mes photographies de figures, je les incrustais dans différents décors. J’obtenais un photomontage un peu grossier qui me servait de base pour une peinture. Depuis je travaille plus ou moins toujours ainsi, avec des petites variations parfois. Dans ma série des parkings, par exemple, j’ai utilisé des photomontages déjà très élaborés en étudiant la lumière en amont par ordinateur pour lui donner une certaine unité d’ensemble. J’ai abandonné cela à présent pour laisser plus de marge à la peinture pendant qu’elle se fait. Il y a des choses que je recherche encore ; chaque année j’essaie une nouvelle solution, c’est infini ! Une partie de ces documents de travail sont visibles à la fin de l’exposition au château de Versailles.
Sans titre, 2020-2022. Huile sur toile, 148 x 410 cm. Paris, collection particulière. Photo service de presse. Photo courtesy Guillaume Bresson et galerie Nathalie Obadia Paris/ Bruxelles – S. Pellion di Persano. © Adagp, Paris, 2025
À Versailles, justement, comment a été conçu l’accrochage face aux toiles d’Horace Vernet ?
C’est Christophe Leribault qui, en arrivant à la présidence du château de Versailles, m’a invité à exposer. C’était la première fois que je visitais le château. Alors que je pensais davantage présenter mes œuvres en écho aux grands décors du XVIIe siècle, il m’a suggéré de les accrocher dans les salles d’Afrique. J’ai d’abord pris peur parce que les toiles d’Horace Vernet présentent des scènes extrêmement violentes empreintes de racisme. Elles glorifient avec une esthétique orientaliste les crimes de la colonisation française en Algérie. J’ai décidé de montrer uniquement les peintures de ma première série, portant la violence dans la périphérie des villes contemporaines. Les jeunes représentés sur ces toiles étaient pour beaucoup issus de l’immigration qui a découlé de la colonisation du Maghreb. Confronter mes œuvres aux toiles dramatiques de Vernet, c’était les inscrire dans une généalogie de la violence, dans une relation de cause à effet. La violence représentée au XIXe siècle n’a pas cessé, dans une certaine mesure : elle en a produit de nouvelles formes de nos jours. Pour créer une opposition formelle avec les grands cadres dorés de la monarchie de Juillet, le scénographe Antoine Fontaine a conçu des cimaises en faux béton qui inscrivent mes toiles dans un contexte contemporain.
Guillaume Bresson, Sans titre, 2013-2017. Huile sur toile, 170,5 x 300 cm. Toulouse, Les Abattoirs. L’œuvre est ici photographiée au sein de l’exposition du château de Versailles, devant l’une des grandes toiles d’Horace Vernet. Photo service de presse. © château de Versailles – D. Saulnier © Adagp, Paris, 2025
Pourquoi ne pas avoir donné de titre à votre rétrospective ?
Mes peintures n’ont jamais de titre parce qu’elles représentent seulement des situations sociales, des corps dans des espaces. La façon dont je conçois une toile est presque à rebours de la peinture d’histoire dans laquelle le sujet préexiste au tableau et où la forme s’adapte à la narration. Mes tableaux sont le fruit d’un travail avec des anonymes ; à partir de leurs mouvements, je commence à construire des mises en scène qui, dans un second temps, peuvent plus ou moins conduire à un récit. Mais c’est souvent le spectateur qui imagine lui-même ce qui se passe dans le tableau. Un titre viendrait freiner cette dynamique d’interprétation, fermerait le sens. Ne pas donner de titre à l’exposition, ne laisser que mon nom et le lieu correspond bien à ce que je tente de saisir dans mon travail, le rapport entre un lieu et les actions qui s’y produisent.
Vous présentez plusieurs dessins. Quel est votre rapport à ce médium ?
J’ai d’abord utilisé le dessin comme travail préparatoire à mes tableaux, mais depuis que je passe directement par des photomontages, il s’est autonomisé. Mes dessins au graphite ou mes gouaches, je les réalise à présent pour eux-mêmes. J’aime le côté fantomatique de la gouache sur papier préparé, qui est assez éloigné du rendu plus réaliste de la peinture à l’huile. Toutefois il m’arrive de tirer des tableaux de certains dessins. J’ai par exemple réalisé des toiles d’après une série de gouaches figurant des joggers en imperméable.
Guillaume Bresson, Sans titre, 2021. Crayon sur papier, 41 x 34 cm. Photo service de presse. Photo courtesy Guillaume Bresson et galerie Nathalie Obadia Paris/ Bruxelles – B. Huet. © Adagp, Paris, 2025
Vous pratiquez également la fresque.
C’est une technique que j’aime beaucoup, mais qui est difficile à mettre en œuvre. Je l’ai utilisée pour deux projets, l’un dans les caves de Pommery à Reims en 2018 et l’autre à la chapelle des Cordeliers de Toulouse en 2019. J’ai prochainement un projet en collaboration avec les Beaux-Arts de Paris : la réalisation d’une grande fresque pour la future station Stade de France de la ligne 15. Elle devrait synthétiser l’histoire de la ville de Saint-Denis, du graffiti au breakdance en passant par la vie associative et les clubs de foot.
Vous allez également réaliser un tableau pour l’église parisienne Saint-Eustache.
Oui, on m’a commandé une œuvre ayant pour sujet l’apothéose de saint Eustache, en pendant au martyre du saint par Simon Vouet. La toile fera écho au tableau du même artiste, saisi à la Révolution, qui se trouve aujourd’hui dans les collections du musée des Beaux-Arts de Nantes. C’est un projet assez vertigineux qui va m’occuper pendant les prochains mois !
Guillaume Bresson, Sans titre, 2024. Peinture à l’huile sur papier marouflé sur toile, 75,3 × 56,5 cm. Photo service de presse. Photo courtesy Guillaume Bresson et galerie Nathalie Obadia Paris/ Bruxelles – B. Huet. © Adagp, Paris, 2025
« Guillaume Bresson. Versailles », jusqu’au 25 mai 2025 au château de Versailles. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 9h à 17h30. www.chateauversailles.fr