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Pompéi : le récit oublié de Pline le Jeune

Jean-Baptiste Genillion, Le Vésuve, XIXᵉ siècle. Huile sur toile. Lille, Palais des Beaux-Arts.

Jean-Baptiste Genillion, Le Vésuve, XIXᵉ siècle. Huile sur toile. Lille, Palais des Beaux-Arts. © Bridgeman Images / Leemage

À travers le récit de Pline le Jeune, le musée de la Romanité à Nîmes raconte la tragique et héroïque expédition qui coûta la vie à Pline l’Ancien : parti pour Pompéi observer l’éruption du Vésuve en l’an 79 et secourir les habitants piégés, il n’en revint jamais. Un récit qui permet aussi d’évoquer la suprématie de la marine romaine en Méditerranée et la douceur de vivre pompéienne au Ier siècle de notre ère.

Dossier préparé par Carole Jarsaillon et la rédaction d’Archéologia

L’éruption se produit en 79, vraisemblablement le 24 octobre. Vers une heure du matin, la sœur de Pline l’Ancien attire son attention sur la fumée noire qui s’élève de la montagne. L’écrivain commence alors à préparer une première expédition pour observer le phénomène de plus près. Pompéi et Herculanum seront entièrement ensevelies sous les coulées et les cendres du volcan. C’est dans une lettre adressée à l’historien Tacite et rédigée peu après le drame que Pline le Jeune (61/62-113/115) raconte comment son oncle, Pline l’Ancien, a péri dans son entreprise de sauvetage pendant l’éruption du Vésuve de l’an 79. Elle sert de fil rouge à la nouvelle exposition du musée de la Romanité, Pompéi, un récit oublié. Le récit, ponctué de nombreuses reconstitutions, prend vie à travers deux cent cinquante objets issus des sites archéologiques d’Herculanum et de Pompéi et de plusieurs musées de Naples et de Palerme. À l’image du nouveau musée qui fête sa première année, la scénographie est moderne, immersive et s’appuie sur des dispositifs multimédias interactifs.

L’amiral lettré

« Heureux les hommes auxquels les dieux ont accordé le privilège de faire des choses dignes d’être écrites, ou d’en écrire qui soient dignes d’être lues. Plus heureux encore ceux auxquels ils ont départi ce double avantage. Mon oncle tient son rang parmi les derniers. » (Lettres VI, 16) Pline le Jeune commence ainsi sa lettre à l’historien Tacite narrant la mort héroïque de son oncle Pline l’Ancien. Ce dernier était en effet un homme de lettres et de sciences : en parallèle de son cursus honorum, carrière traditionnelle pour un noble romain, il s’intéressa aux sciences naturelles.

« Salut, ô Nature, mère de toutes choses : et daigne m’être favorable, à moi qui, seul entre tous les Romains, t’ai complètement célébrée. »

Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, XXX, VII, 205

L’Histoire naturelle, une somme encyclopédique

En 79, avant le drame, il travaillait encore à son Histoire naturelle, œuvre aux ambitions encyclopédiques, traitant aussi bien d’astronomie, de géographie, de zoologie, de botanique, de médecine, de pharmacie, de chimie, des minéraux et métaux, d’arts ou d’architecture. Après de nombreuses missions administratives à travers l’Empire – de la Gaule à la Tunisie – il fut nommé amiral à Misène par l’empereur Vespasien et responsable de la flotte qu’abritait cette base navale romaine située dans la baie de Naples, en face de Stabies et Pompéi. C’est là qu’il vivait, avec sa sœur et son neveu, Pline le Jeune, quand il vit la nuée ardente s’élever du Vésuve.

Mosaïque avec nature morte de poissons et autres animaux. Pompéi, Iᵉʳ siècle avant notre ère.

Mosaïque avec nature morte de poissons et autres animaux. Pompéi, Iᵉʳ siècle avant notre ère. © Ministero per i beni e le Attività Culturali – Museo Archeologico Nazionale di Napoli / SP

Misène, haut lieu de la marine romaine

La base navale de Misène est fondée par Auguste en 27 avant notre ère. À l’époque de Pline, c’est l’une des deux bases navales qui permettent aux Romains de contrôler la Méditerranée, avec Ravenne, sur l’Adriatique, toutefois de moindre importance.

 Lors de la guerre civile de 69, la flotte de Misène s’était rangée aux côtés de l’empereur Vespasien et l’avait aidé à obtenir le pouvoir. En nommant Pline l’Ancien commandant de cette base navale, Vespasien lui manifestait sa grande confiance. Pline l’Ancien y bénéficiait du rang et du salaire les plus élevés. Cette nomination n’était pas un hasard : Pline avait fait son service militaire avec Titus, le fils de Vespasien, bien avant que ce dernier ne devienne empereur, et c’est probablement grâce au soutien de Titus que Pline bénéficia de cette ultime promotion. Son Histoire naturelle est d’ailleurs dédiée à Titus, qui succédera à son père en 79. Outre la base militaire de Misène, la Campanie abrite de nombreux ports commerciaux dont ceux d’Herculanum, de Pompéi et de Stabies. Les plus grands et les importants sont ceux de Pouzzoles et de Naples (Neapolis).

Relief représentant deux navires de guerre romains avec des soldats, IIᵉ-Iᵉʳ siècles avant notre ère. Calcaire, 50 × 144 × 27 cm.

Relief représentant deux navires de guerre romains avec des soldats, IIᵉ-Iᵉʳ siècles avant notre ère. Calcaire, 50 × 144 × 27 cm. © Ministero per i beni e le Attività Culturali – Museo Archeologico Nazionale di Napoli / SP

Pline l’Ancien

L’écrivain naturaliste naît en 23 à Novum Comum (l’actuelle Côme). Il a 56 ans quand il prend la tête de l’expédition de sauvetage qui lui coûte la vie. Malgré son titre d’amiral, il n’a jamais commandé de flotte de bataille et n’a pas d’expérience dans la navigation. 

Pline l'Ancien. Gravure de l’École française, XVIIᵉ siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Pline l'Ancien. Gravure de l’École française, XVIIᵉ siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France. © Bridgeman Images / Leemage

Le golfe de Naples, centre d’une intense activité économique

Misène était alors la base navale la plus importante de l’Empire. L’exposition souligne l’importance de la marine romaine et son emprise, aussi bien militaire que commerciale, sur cette Méditerranée que les Romains considéraient comme la leur et appellaient Mare nostrum. Depuis la bataille d’Actium (31 avant notre ère), cette puissance était à son apogée et résultait d’un long développement entamé à partir des guerres puniques (264-146 avant notre ère) : en s’inspirant des techniques carthaginoises, grecques ou égyptiennes, les Romains se dotèrent progressivement de trirèmes (galères à trois rangs de rames), de quadrirèmes (quatre rangs) qu’utilisa Pline l’Ancien dans son expédition, puis de quinquérèmes (cinq rangs).

« Que de richesses, que de charmes dans la seule côte de la Campanie, chef-d’œuvre où évidemment la nature s’est plu à accumuler ses magnificiences : ajoutez ce climat perpétuellement salubre et favorable à la vie, ces campagnes fécondes […] ces mers, ces ports, cette terre ouvrant partout son sein au commerce, et s’avançant elle-même au milieu des flots, empressée d’aider les mortels. »

Pline l’Ancien, Histoire naturelle, III, 40-41

L’apport de l’archéologie sous-marine

Des objets archéologiques issus d’impressionnantes épaves illustrent cette progression. L’archéologie sous-marine permet aussi d’évoquer les récentes découvertes faites dans le port de Naples, point central de la riche activité commerciale de la région vésuvienne : des biens précieux y arrivaient de tout l’Empire et participaient au développement économique de Pompéi. Cette économie florissante conjuguée à la beauté des paysages attirait les populations aisées et faisait de la ville un lieu prospère, où l’on trouvait luxe et richesses, un aspect que souligne aussi l’exposition à travers de nombreux objets issus des fouilles tels que ce bracelet d’or au motif de serpent aux accents orientalisants. Des objets de la vie quotidienne que l’enfouissement sous les cendres du Vésuve a permis de conserver dans un état exceptionnel sont aussi présentés.

Statuette en bronze représentant un marchand de pain. Pompéi, Maison de l’Éphèbe, Iᵉʳ siècle de notre ère.

Statuette en bronze représentant un marchand de pain. Pompéi, Maison de l’Éphèbe, Iᵉʳ siècle de notre ère. © Ministero per i beni e le Attività Culturali – Museo Archeologico Nazionale di Napoli / SP

Le regard de Pline l’Ancien sur la « mondialisation » romaine

« Longtemps les dons de la générosité de la Terre demeurèrent cachés, et l’on regardait les arbres et les forêts comme le plus beau présent fait à l’homme. Ce sont les arbres qui fournirent les premiers aliments, dont le feuillage rendit la caverne plus moelleuse, dont l’écorce servit de vêtement : encore aujourd’hui des nations vivent ainsi. C’est à s’étonner de plus en plus que de tels commencements l’homme en soit venu à percer les montagnes pour en arracher le marbre, à demander des étoffes au pays des Sères, à chercher la perle dans les profondeurs de la mer Rouge, et l’émeraude dans les entrailles de la terre. » Histoire Naturelle, XII, 1-2.

Pline l’Ancien commente ainsi la puissance et l’étendue de l’empire commercial romain au Ier siècle, auxquelles Rome et les villes du golfe de Naples – dont Pompéi – doivent leur prospérité. Cette suprématie commerciale leur permet d’importer des denrées luxueuses, comme en témoignent les bijoux retrouvés et présentés à l’exposition, et d’exporter leurs produits sans entrave. Le contrôle maritime de Rome permet en effet la libre circulation des marchandises et des personnes dans toute la Méditerranée, dont les pour-tours appartiennent pour la première fois à un État unifié, avec une monnaie unique et une langue officielle commune, ouvrant sur un vaste marché commun. Pline déplore non seulement les excès de cette quête toujours plus grande de denrées nouvelles, mais aussi la recherche de ce luxe effréné dans des pays qui n’appartiennent pas à l’Empire : « Cent millions de sesterces, au calcul le plus bas, sont annuellement enlevés à notre Empire par l’Inde, la Sérique, et cette presqu’île arabique ; tant nous coûtent cher le luxe et les femmes ! » (Histoire naturelle, XII, 84).

Bracelet en or. Pompéi, Iᵉʳ siècle de notre ère.

Bracelet en or. Pompéi, Iᵉʳ siècle de notre ère. © Ministero per i beni e le Attività Culturali – Museo Archeologico Nazionale di Napoli / SP

Une expédition héroïque de sauvetage

Au Ier siècle de notre ère, Pompéi comptait ainsi environ 20 000 habitants : elle n’avait jamais été aussi peuplée. L’éruption du Vésuve avait été annoncée par des secousses sismiques d’intensité variable, devenues le quotidien des Pompéiens qui ne s’en alarmaient plus. Les plus dévastatrices eurent lieu en 63 et 64, soit une quinzaine d’années avant le drame qui survint la nuit du 24 octobre 79. Alors que l’écrivain appareille un navire pour observer l’éruption de plus près, un message de Rectine, la femme de Tascus, lui parvient : elle habite près de la « montagne » (c’est ainsi que Pline l’Ancien appelle le Vésuve) et le supplie de venir à son secours, ne voyant d’autre issue possible à sa survie que la fuite par la mer. « Mon oncle change son plan et ce qu’il avait entrepris par amour de la science, il l’achève par héroïsme », raconte Pline le Jeune (Lettres VI, 16).

« Vous me demandez des détails sur la mort de mon oncle. Afin d’en transmettre plus fidèlement le récit à la posterité. Je vous en remercie : car je ne doute pas qu’une gloire impérissable ne s’attache à ses derniers moments, si vous en retracez l’histoire. »

Pline le Jeune

Pline l’Ancien monte alors une expédition de plusieurs quadrirèmes afin de sauver le plus possible de civils. Tandis que l’équipage fait route vers Pompéi, il est arrêté par la nuée ardente qui s’étend jusqu’à la mer : « Déjà sur ces vaisseaux volait la cendre plus épaisse et plus chaude, à mesure qu’ils approchaient ; déjà tombaient autour d’eux des pierres calcinées et des cailloux tout noirs, tout brûlés, tout pulvérisés par la violence du feu. » Pline est forcé de changer de cap pour se diriger vers Stabies, port voisin où réside son ami Pomponianus, qu’il trouve tout tremblant et prêt à partir dans ses propres vaisseaux.

Pline le Jeune

Né en 61 ou 62 à Novum Comum, il est adopté par son oncle. Il a 17 ans au moment du drame. Il poursuivra une brillante carrière de sénateur, d’avocat et d’écrivain. Ses Lettres constituent un précieux témoignage sur les cercles dirigeants romains au tournant des Ier et IIe siècles. 

Pline le Jeune. Gravure de l’École française, XVIIᵉ siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France.

Pline le Jeune. Gravure de l’École française, XVIIᵉ siècle. Paris, Bibliothèque nationale de France. © Bridgeman Images / Leemage

Une équipée à l’issue incertaine

Une fois débarqué, Pline et son équipage se retrouvent cependant pris au piège : la houle trop violente et le vent contraire les empêchent de reprendre la mer. L’écrivain et son ami s’installent pour la nuit dans la villa de Pomponianus, mais les cendres qui pleuvent sur la maison les contraignent à fuir : « Ils sortirent donc, se couvrirent la tête d’oreillers attachés avec des mouchoirs ; ce fut toute la précaution qu’ils prirent contre ce qui tombait d’en haut. » Quand Pline essaye enfin de reprendre la mer, il meurt asphyxié par les fumées toxiques. Son neveu arrête là son récit, sans préciser si l’expédition de sauvetage organisée par son oncle réussit malgré tout à sauver des habitants, une hypothèse que les commissaires de l’exposition envisagent comme possible au vu du nombre de corps retrouvés à Herculanum et Pompéi par rapport à la population estimée des deux cités. Moule en plâtre d’une victime de Pompéi (femme). À la différence de la coulée brûlante qui touche Herculanum et carbonise tout sur son passage, celle qui atteint Pompéi au matin, d’une température moins élevée, préserve les corps asphyxiés ; d’épaisses couches de cendres se consolident autour d’eux. Dans les années 1860, l’archéologue Giuseppe Fiorelli coule du plâtre à l’intérieur des cavités laissées par les corps décomposés dans la cendre fossilisée. C’est ainsi que sont créés les saisissant moulages des victimes de Pompéi.

Moule en plâtre d’une victime de Pompéi (femme). À la différence de la coulée brûlante qui touche Herculanum et carbonise tout sur son passage, celle qui atteint Pompéi au matin, d’une température moins élevée, préserve les corps asphyxiés ; d’épaisses couches de cendres se consolident autour d’eux. Dans les années 1860, l’archéologue Giuseppe Fiorelli coule du plâtre à l’intérieur des cavités laissées par les corps décomposés dans la cendre fossilisée. C’est ainsi que sont créés les saisissant moulages des victimes de Pompéi. © Ministero per i beni e le Attività Culturali – Museo Archeologico Nazionale di Napoli / SP

« Le jour recommençait ailleurs ; mais dans le lieu où ils étaient continuait une nuit la plus sombre et la plus affreuse de toutes les nuits […] On trouva bon de s’approcher du rivage, et d’examiner de près ce que la mer permettait de tenter […] Là, mon oncle ayant demandé de l’eau et bu deux fois, se coucha sur un drap qu’il fit étendre. »

Pline le Jeune, Lettres, VI

Le Grand Projet Pompéi et la reprise des fouilles

À la suite de l’effondrement d’un bâtiment militaire du site appelé Schola Armaturarum en 2010, l’Unesco a tiré la sonnette d’alarme sur l’état de préoccupant du site archéologique, menacé tant par les conditions climatiques et l’instabilité hydrogéologique que par des fouilles sauvages. Pour assurer la préservation et la conservation du site, le Grand Projet Pompéi est lancé en 2012. Depuis avril 2018, les fouilles ont repris.

Après plusieurs décennies d’arrêt, une nouvelle phase de fouilles a ainsi commencée, dans la cinquième des neufs zones établies au XIXe siècle. Cette nouvelle campagne, menée sur 1 000 m2 encore jamais explorés, a donc été riche en découvertes : en mai 2018, l’équipe mettait au jour le squelette de « l’homme le plus malchanceux de Pompéi », écrasé sous un bloc de pierre de 300 kg. En réalité, ce choc ne fut pas la cause de la mort du malheureux, dont le crâne a été retrouvé intact ; il a sans doute succombé, comme Pline l’Ancien, aux gaz toxiques du volcan. Par ailleurs, de magnifiques fresques se sont récemment ajoutées au corpus pompéien, avec la découverte en novembre dernier de la fresque dite de « Léda et le Cygne », et en février dernier, celle de Narcisse. Plus intéressant encore, en octobre 2018, la découverte d’un graffiti daté du 17 octobre 79 de notre ère est venue s’ajouter à d’autres éléments récents permettant de repousser la date de la catastrophe au 24 octobre 79. La mention des calendes de septembre dans la lettre de Pline le Jeune suggérait la date du 24 août, mais de nombreux indices archéologiques comme les braséros allumés au moment du drame, des fruits d’automne, des amphores contenant du vin fraîchement pressé ou une monnaie frappée en septembre 79 avaient remis cette datation en cause. Ce graffiti confirme qu’il s’agissait des calendes de novembre, et non de septembre : peut-être une erreur de copiste, ou de Pline lui-même ?

Fresque de Léda et le Cygne découverte en novembre 2018 dans la Regio V de Pompéi.

Fresque de Léda et le Cygne découverte en novembre 2018 dans la Regio V de Pompéi. © Reuters / Ciro de Luca – stock.adobe.com

« Pompéi, un récit oublié », du 6 avril au 6 octobre 2019 au musée de la Romanité, 16 boulevard des Arènes, 30000 Nîmes. Tél. : 04 48 21 02 10. www.museedelaromanite.fr