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Porquerolles : la nouvelle exposition de la Villa Carmignac va vous donner le vertige

Vue de l'œuvre d’Olafur Eliasson dans l'exposition « Vertigo », Villa Carmignac, 2025.

Vue de l'œuvre d’Olafur Eliasson dans l'exposition « Vertigo », Villa Carmignac, 2025. Photo service de presse. © Thibaut Chapotot – Fondation Carmignac

Sur l’île préservée de Porquerolles, la Villa Carmignac plonge le visiteur dans les tourbillons enivrants de l’art abstrait pour mieux appréhender la notion de paysage. Une « expérience » immanquable.

Nichée entre plantes méditerranéennes, azur immaculé et mer turquoise, la Villa Carmignac propose depuis 2018 des expositions d’art contemporain pensées comme des expériences sensorielles. Ici, on marche pieds nus, pour ressentir de manière intime et organique les impressions que suscitent les œuvres.

Vertige sensoriel et émotionnel

Après « L’Île intérieure » en 2023 et « The Infinite Woman » en 2024, « Vertigo », imaginée par le commissaire invité Matthieu Poirier, prolonge cette approche immersive. « L’exposition a été conçue en écho au vertige sensoriel et émotionnel que peut susciter l’expérience de phénomènes naturels intenses, comme ceux que l’on éprouve sur l’île », explique Charles Carmignac, directeur de la fondation éponyme. Et Matthieu Poirier de préciser : « Je suis parti de l’idée qu’au XXe siècle, le paysage a laissé place à l’abstraction. Nombre d’artistes ont basculé de la représentation vers la perception. »

Ivresses du regard et du corps

Pour explorer ces états de dissolution, d’éblouissement, et d’égarement, ce spécialiste de l’art abstrait réunit peintures, sculptures et installations d’une quarantaine d’artistes, de toutes générations et origines. Sur 1 400 m², l’exposition s’articule en six chapitres évocateurs : « Troubles flottements », « L’horizon des événements », « Turbulences atmosphériques », « Le seuil, le mirage et l’abîme », « Visions telluriques », « Maelströms ». Elle débute en rez-de-jardin avec À la poursuite du rayon vert, œuvre monumentale de Flora Moscovici, bain de brumes colorées, réalisé in situ, dans lequel on s’immerge d’emblée, et s’achève, au rez-de-chaussée, par Ohne Titel, petit dessin de Heinz Mack de 1950. Entre ces deux pièces que l’échelle, le médium, l’époque et le style – la vibration diffuse, l’épure précise – opposent, les œuvres tissent un continuum fluide, libre de toute chronologie, fidèle à cette idée d’« art abstrait perceptuel », où ce qui compte, c’est ce que l’on ressent. De ce fait, le regard vacille, chavire devant les « nappes » liquides de Richter ou Bowling, les pulsations lumineuses d’Otto Piene ou le « soleil » vibrant de Jesús Rafael Soto. L’espace s’ouvre, ondule, se dilate. On pénètre l’invisible avec Prado, Red de Turrell, on ressent la matière cosmique d’Eclipse de Rotraut. L’œil devient un organe tactile.

Otto Piene (1928-2014), Lightroom with Mönchengladbach Wall, 1963-2013. Carton, bois, métal, moteur, lumière, dimensions variables.

Otto Piene (1928-2014), Lightroom with Mönchengladbach Wall, 1963-2013. Carton, bois, métal, moteur, lumière, dimensions variables. Photo service de presse. Courtesy de la galerie Sprüth Magers. © Otto Piene Estate / VG Bild-Kunst, Bonn / ADAGP, Paris, 2025 © Timo Ohler

Image : illusion ou réalité ?

Mais derrière cette ivresse des sens et devant les pulvérulences bleues d’Yves Klein, les verres brisés d’Ann Veronica Janssens, les paillettes de John Armleder, les feuilles d’argent d’Anna-Eva Bergman ou les effets kaléidoscopiques d’Olafur Eliasson, d’autres questions se faufilent : que retenons-nous du paysage, si ce n’est la contemplation qu’on en a eu ? Que voit-on ? Que projette-t-on ? Dans Resonance Painting (Love Song) d’Oliver Beer, discerne-t-on une eau trouble ? Les créations irisées de Raphael Hefti, réalisées en 2025 avec du bismuth, portent-elles inconsciemment le souvenir des visions oniriques d’un Gustave Moreau ? Et le dynamisme flou de Stochastic 1 d’Emily Kraus, du futurisme ou de la chronophotographie ? Mêlant œuvres créées pour l’occasion, pièces de la collection Carmignac et de nombreux prêts, l’exposition « Vertigo » qui porte en elle « quelque chose d’édénique », selon les mots du commissaire, offre une traversée des sens où le paysage cesse d’être motif, pour devenir état mental, sensation, mémoire flottante.

Oliver Beer (né en 1985), Resonance Painting (Lovesong), 2024. Pigment sur toile, 200 x 150 cm.

Oliver Beer (né en 1985), Resonance Painting (Lovesong), 2024. Pigment sur toile, 200 x 150 cm. Photo service de presse. Courtesy de l’artiste. © Oliver Beer © Thaddaeus Ropac gallery

La Fondation Carmignac : une villa, une collection, un prix

Entourée de 15 hectares de jardins ponctués de sculptures, la villa s’inscrit dans un vaste écosystème artistique : celui de la Fondation Carmignac, imaginée en 2000 par Edouard Carmignac, créateur de la société de gestion éponyme. La fondation abrite une collection d’environ 300 œuvres – de Warhol à Lichtenstein, de Basquiat à Richter, en passant par des artistes émergents – qui habitent bureaux et expositions. À cela s’ajoutait, entre 2009 et 2025, le Prix Carmignac du photojournalisme, qui soutenait, par des moyens financiers, humains et logistiques, la production de reportages engagés, souvent présentés en itinérance. Pour Carmignac, l’art se vit, s’engage, circule, interroge et relie.

« Vertigo », jusqu’au 2 novembre 2025 à la Villa Carmignac, île de Porquerolles, piste de la Courtade, 83400 Hyères. Tél. 04 65 65 25 50. www.fondationcarmignac.com

Catalogue, Dilecta, 232 p., 39 €.