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Quand les Olmèques fascinaient la Mésoamérique au musée du quai Branly

Offrande 4 du site de La Venta. Ensemble de seize figurines et de six haches-stèles miniatures, 800-600 avant notre ère, site de La Venta, Mexique. Jade, serpentine et granit.

Offrande 4 du site de La Venta. Ensemble de seize figurines et de six haches-stèles miniatures, 800-600 avant notre ère, site de La Venta, Mexique. Jade, serpentine et granit. © Mexico, Musée national d’anthropologie

Le musée du quai Branly – Jacques Chirac renoue avec ses grandes expositions archéologiques en explorant cet automne un sujet encore inédit en Europe : le lointain monde olmèque et son influence déterminante sur les cultures du golfe du Mexique, qui perdurera jusqu’à la conquête espagnole. Conçue en collaboration avec le musée national d’anthropologie de Mexico, l’exposition réunit plus de 300 pièces qui pour la plupart n’ont jamais quitté leur pays d’origine. Entretien avec l’archéologue Steve Bourget, responsable des collections Amériques au musée du quai Branly – Jacques Chirac et commissaire associé.

Propos recueillis par Olivier Paze-Mazzi

Quel est l’enjeu de cette exposition ?

Il existe peu d’endroits dans le monde où ont à la fois été inventées l’écriture et l’agriculture. Identifier l’un de ces sites constitue un moment-clé dans l’histoire du monde. La Mésoamérique en fait partie. Nous allons ici nous intéresser tout particulièrement à la plaine côtière s’épanouissant au sud des États actuels de Veracruz et de Tabasco et incluant la partie septentrionale de l’isthme de Tehuantepec, une région du golfe du Mexique que je qualifierais d’Europe de la Mésoamérique car elle fut le creuset de sociétés fascinantes que nous souhaitons faire découvrir au public. Bénéficiant de conditions écologiques exceptionnelles propices au développement de l’agriculture, la région du golfe va en effet accueillir des groupes culturels relativement proches les uns des autres, qui vont se sédentariser et permettre les débuts de la complexité sociale. C’est autour de 1600 avant notre ère que l’un d’eux se détache, mettant en place un véritable système idéologique en se dotant d’outils architecturaux importants pour assurer et pérenniser son pouvoir : les Olmèques. Ils cristallisent dès lors l’intérêt des groupes voisins et imaginent des dispositifs qui auront des répercussions bien après leur disparition, inspirant toute la Mésoamérique jusqu’au contact espagnol. C’est avec eux qu’apparaissent notamment la sculpture monumentale, les stèles dressées, véritables « panneaux publicitaires », ou encore la première forme pyramidale. Les Aztèques et les Mayas récupéreront ces innovations afin de faire la démonstration de l’ancienneté de leur pouvoir.

Femme assise sur ses talons. 900-1521, Tuxpan, état du Veracruz, Mexique. Grès.

Femme assise sur ses talons. 900-1521, Tuxpan, état du Veracruz, Mexique. Grès. © Mexico, Musée national d’anthropologie

Le « Seigneur de Las Limas »

Pour Steve Bourget, il s’agit de la Joconde des Olmèques. Datée entre 900 et 400 avant notre ère, cette époustouflante sculpture en serpentine haute de 55 cm, découverte sur le site de Las Limas (Veracruz), a probablement nécessité des milliers d’heures de travail. Fait rare dans l’art olmèque, nous sommes ici en présence de deux personnages, l’un assis en tailleur et l’autre reposant entre ses bras. Il pourrait s’agir d’un prêtre soutenant le dieu le plus important de la culture olmèque qui, signe de son ancienneté, ne possède pas d’os. Sur les épaules et les genoux de la sculpture principale sont gravées des têtes qu’il est possible de relier afin d’obtenir un point central. Ces cinq positions forment une structure symbolique que l’on appelle un quinconce et que l’on retrouve sur le poitrail du dieu. Omniprésent dans l’art olmèque, ce motif sera notamment repris par les Mayas et les Aztèques.

Le Seigneur de Las Limas, 900-400 avant notre ère. Veracruz, Mexique. Jadéite, H. 55 cm.

Le Seigneur de Las Limas, 900-400 avant notre ère. Veracruz, Mexique. Jadéite, H. 55 cm. © DEA / Leemage

Quelle importance revêt chez eux cette dimension spectaculaire ?

Il s’agit d’un mode d’affirmation du pouvoir particulièrement efficace pour convaincre un groupe d’adhérer à un projet politique, idéologique et religieux. La région où se développent les Olmèques étant largement marécageuse et argileuse, la pierre y est rare et doit donc être extraite d’un massif volcanique situé à près de 100 km de distance. Des blocs allant parfois jusqu’à 30 tonnes sont alors déplacés afin d’être sculptés. Un visiteur découvrant à l’époque le site de La Venta ou de San Lorenzo était ainsi ébloui par la démonstration de force que constituait la présentation de ces éléments sculptés. Il s’agit également pour la population d’un vecteur de fierté culturelle.

Figure masculine avec coiffe conique, 900-1521. Site d’El Naranjo, État du Veracruz, Mexique. Grès.

Figure masculine avec coiffe conique, 900-1521. Site d’El Naranjo, État du Veracruz, Mexique. Grès. © Mexico, Musée national d’anthropologie

Spectaculaires connaissances

Quelle est l’origine du mot « olmèque » ?

Ce sont les écrits des chercheurs Hermann Beyer et Marshall Saville qui en pérennisent l’usage, le mot étant repris du terme náhuatl Olmeca qu’employèrent tardivement les Mexicas pour parler des différents peuples de la « région où il y a du caoutchouc ». Mais quel nom les Olmèques se donnaient-ils ? Nous l’ignorons. Contrairement à la culture maya, il s’agit d’une culture archéologique, donc aujourd’hui éteinte. Pour percer ce mystère, il faudrait pouvoir traduire les glyphes épi-olmèques. Les avancées des dernières années dans la connaissance de cette culture étant spectaculaires, je ne perds pas espoir qu’un jour on puisse les appeler de leur véritable nom.

« Adolescent huastèque ». Figure masculine avec personnage porté dans le dos, 900-1521. Site de Tamohi, Mexique. Grès.

« Adolescent huastèque ». Figure masculine avec personnage porté dans le dos, 900-1521. Site de Tamohi, Mexique. Grès.

Pourriez-vous esquisser une historiographie de la question olmèque ?

Ils sont en quelque sorte les derniers venus de l’archéologie mésoaméricaine, bien après les Aztèques et les Mayas. Bien qu’ayant une grande importance, la côte du golfe du Mexique avait, jusqu’aux années 1960, été globalement sous-étudiée. Cela s’explique notamment en raison du développement du nationalisme mexicain autour d’une fierté culturelle dont la quintessence est la culture aztèque, ce qui valut à la région de Mexico d’être privilégiée dans la recherche. Il faut par ailleurs préciser que les réalisations architecturales en terre battue des Olmèques et leurs sculptures monumentales enfouies ont considérablement retardé leur apparition dans le paysage archéologique. Il a fallu attendre 1862 pour qu’un propriétaire terrien fasse la découverte, sur le site de Tres Zapotes, de la première tête colossale enterrée, dans une région où l’on ne connaît alors pas de vestiges majeurs. Elle fascine immédiatement. Ses traits furent même à l’origine d’une publication de l’érudit mexicain José Melgar qui, lui trouvant des caractéristiques éthiopiennes, formula l’hypothèse aujourd’hui démentie de l’existence de populations noires en Mésoamérique à l’époque précolombienne. Ses traits sont en réalité mongoloïdes, une caractéristique que partagent tous les Indiens d’Amérique. Grâce à cette découverte, les regards se détournent quelque peu des hauts plateaux mexicains et de la zone maya pour regarder vers le golfe. Les premières véritables explorations archéologiques auront lieu dans les années 1930. Parmi les équipes qui officient, celle de Matthew W. Stirling et de son épouse Marion aura une importance décisive : à partir de la fin des années 1930, le couple conduit de nombreuses expéditions financées par la Smithsonian Institution de Washington et la National Geographic Society. C’est à cette époque que se multiplient les découvertes de têtes monumentales sur les trois grands sites olmèques de San Lorenzo, La Venta et Tres Zapotes. On s’accorde aujourd’hui à dire que les dix-sept têtes exhumées figurent des dirigeants. 

Tête colossale olmèque. Villahermosa, Parque-Museo La Venta.

Tête colossale olmèque. Villahermosa, Parque-Museo La Venta. © DeAgostini / Leemage

Chefs-d’œuvre de l’acropole d’El Azuzul

Découvertes en 1990 sur un site du début du Préclassique ancien (1200-900 avant notre ère) situé près de San Lorenzo, ces quatre sculptures incarnent un sommet de l’art statuaire olmèque. Il s’agit de deux individus en position accroupie, tenant un bâton dans leurs mains et faisant face à deux jaguars retaillés dans de plus anciennes sculptures. Ils sont assimilés à des jumeaux, humains créateurs du monde chez les Mayas – ce qui implique que ces derniers ont repris une idée olmèque. Ils s’apprêtent à ériger le bâton qu’ils tiennent en main, une référence probable à l’axe qui unifiait dans la mythologique mésoaméricaine les différents niveaux du monde. Il s’agirait donc d’une représentation de la Création qui accueillait le visiteur arrivant par voie d’eau, affirmant le pouvoir et les principes religieux des Olmèques.

Vue de l'exposition. Ensemble d’El Azuzul. Ensemble de deux figures humaines. 1200-900 avant notre ère. Site de Loma del Zapote, El Azuzul, État du Veracruz, Mexique. Basalte.

Vue de l'exposition. Ensemble d’El Azuzul. Ensemble de deux figures humaines. 1200-900 avant notre ère. Site de Loma del Zapote, El Azuzul, État du Veracruz, Mexique. Basalte. © OPM / Actu-culture.com

Mythes et écriture

Quelles sont les pièces maîtresses à découvrir dans l’exposition ?

La visite débutera par la tête colossale trouvée par Stirling et son épouse sur le site de La Venta en 1946. Œuvre majeure de la culture olmèque, le « Lutteur », que nous aurons la chance d’exposer plus loin, se singularise par sa beauté sortant des canons olmèques habituels plutôt statiques. Cette sculpture représente probablement un jaguar transformé en humain dont la peau se fend dans le dos, comme celle d’un batracien. Associée au changement de saison, à la fertilité, ainsi qu’à une certaine idée de l’immortalité – chère au pouvoir – en raison de sa mue, la figure du batracien se retrouve à de nombreuses reprises dans la sculpture. Nous présenterons également une importante stèle du Postclassique ancien (1000-1200) mettant en scène l’autosacrifice d’un dirigeant se perçant la langue à l’aide d’un bâton ; il s’agissait de s’inscrire dans la lignée des dieux qui se sacrifièrent pour créer le monde, en offrant, en public, une performance rituelle. L’un des temps forts de la visite sera par ailleurs la découverte d’une grande figure baptisée l’« Adolescent huastèque ». Il s’agit d’un porte-étendard dont le corps est en partie tatoué. Le petit être qu’il porte dans son dos permettrait de le relier au mythe du dieu du maïs, parti rechercher son père dans l’inframonde.

Vue de l'exposition. Le « Lutteur ». Santa Maria, Mexique. Mexico, musée national d’anthropologie.

Vue de l'exposition. Le « Lutteur ». Santa Maria, Mexique. Mexico, musée national d’anthropologie. © OPM / Actu-culture.com

Mortels jeux de balle

En 1987, des fermiers désireux de creuser un vivier mettent au jour sur le site d’El Manatí (Veracruz) trois couches importantes d’offrandes s’échelonnant sur près de 800 ans et dont les plus anciennes datent de 1500-1400 avant notre ère. Coup de semonce dans l’archéologie mésoaméricaine : on découvre une quarantaine de sculptures en bois de type olmèque ainsi que des balles en caoutchouc qui permettent d’avancer de 1000 ans la date des jeux de balle les plus anciens documentés en Mésoamérique ! Les Olmèques avaient donc probablement déjà trouvé le moyen de rendre le latex caoutchouteux en le vulcanisant à l’aide de mélanges de plantes. En Mésoamérique, le jeu de balle revêt une importance religieuse de premier ordre. Particulièrement physique en raison du poids de la balle, il permettait de s’en remettre au pouvoir des dieux qui accordaient la victoire ou la défaite, et décidaient donc de ceux qui allaient être sacrifiés. Les qualités du caoutchouc faisaient en effet considérer la balle rebondissante comme une matière vivante, susceptible d’être manipulée par les dieux.

Une section révèle le rôle fondateur des Olmèques dans le développement des premières formes d’écriture. D’où vient cette découverte ?

On considérait jusqu’à très récemment qu’en Mésoamérique le langage et l’écriture provenaient des Mayas. C’est une stèle datant de la fin de la période olmèque découverte par Stirling sur le site de Tres Zapotes, la stèle C, qui a bouleversé notre vision des choses. On y voit d’un côté la tête d’un dirigeant ornée d’un chapeau à plumes et d’une magnifique boucle en jade – attribut du pouvoir car exotique et particulièrement difficile à travailler. Il est assis sur la tête d’un dieu, un type de représentation repris par la suite chez les Mayas. De l’autre côté, se trouvait une date que Marion Stirling Pugh fut la première à identifier comme faisant partie du système du compte long utilisé par les Mayas et débutant en 3114 avant notre ère. Conçue en l’an 32 avant notre ère, cette stèle a permis d’affirmer que ce calendrier avait d’abord été initié et développé par les Olmèques à la fin de leur processus civilisationnel, avant d’être repris par les Mayas.

Sculpture dite « La Femme scarifiée ». Vers 200 de notre ère. Site de Tamtoc, État de San Luis Potosi, Mexique. Grès.

Sculpture dite « La Femme scarifiée ». Vers 200 de notre ère. Site de Tamtoc, État de San Luis Potosi, Mexique. Grès. © Zona Arqueológica de Tamtoc, Tamuin, État de San Luis Potosi, Mexique

« Les Olmèques et les cultures du golfe du Mexique », du 9 octobre 2020 au 25 juillet 2021 au musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37 quai Branly, 75007 Paris. Tél. 01 56 61 70 00. www.quaibranly.fr

Catalogue, coédition musée du quai Branly – Jacques Chirac / Skira, 258 pages, 45 €.