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Jacques-Émile Ruhlmann : dans l’atelier du décor au MAD

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société française des papiers peints, échantillon de papier peint à motif répétitif, 1928-30. Papier, impression au cylindre.

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société française des papiers peints, échantillon de papier peint à motif répétitif, 1928-30. Papier, impression au cylindre. Photo service de presse. © Les Arts Décoratifs

Dès sa fondation en 1864, le futur musée des Arts décoratifs de Paris avait pour ambition de fournir des modèles et des sources d’inspiration aux ouvriers, aux artisans et aux artistes, dans tous les domaines de la création. C’est pour présenter ces très riches collections que le MAD inaugure ce printemps son Cabinet des dessins, papiers peints et photographies. Sa toute première exposition est consacrée à un pan méconnu de la carrière de Jacques-Émile Ruhlmann : la création de revêtements muraux et de tissus.

Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933) est incontestablement une figure de proue de l’Art déco et participe pleinement au renouveau des arts décoratifs dans les années 1920-1930. Avant tout célèbre pour ses meubles luxueux, dont le musée des Arts décoratifs conserve de très beaux exemples comme le cabinet à décor de marqueterie de fleurs créé pour l’industriel roubaisien Édouard Rasson, il est moins connu pour son travail sur les motifs décoratifs destinés à des revêtements muraux ou à des textiles d’ameublement. Pourtant, à une époque où l’on prône un art total et où la frontière entre beaux-arts et arts décoratifs tend à s’estomper, les papiers peints et les textiles participent de l’harmonie d’ensemble qui se dégage des intérieurs conçus par le créateur.

Jacques-Émile Ruhlmann, croquis d’ornements et de meubles, 1918. Papier, encre noire.

Jacques-Émile Ruhlmann, croquis d’ornements et de meubles, 1918. Papier, encre noire. Photo service de presse. © Les Arts Décoratifs

Ruhlmann et le papier peint

Formé auprès de son père, Ruhlmann hérite en 1907 de l’entreprise de peinture, de papiers peints et de miroiterie de ce dernier. Il fait dès lors imprimer ses idées dans sa manufacture, mais aussi dans d’autres entreprises avec lesquelles il collabore, et expose ses premières créations dans ce domaine au Salon d’automne de 1910. Il travaille notamment avec la Société des anciens établissements Desfossé & Karth pour la fabrication de papiers peints et de textiles d’ameublement, souvent coordonnés. Installée rue du Faubourg-Saint-Antoine, cette manufacture active depuis les années 1820 pratique à la fois l’impression traditionnelle à la planche de bois et l’impression avec une machine à cylindre, plus rapide et moins coûteuse. C’est grâce à cette dernière qu’a été réalisé le papier peint à motifs de pissenlits présenté dans l’exposition. Sur un fond d’un bleu intense se déploient des amas et des lignes de points formant des graines et des tiges de pissenlits. On y retrouve tout ce qui fait le talent de Ruhlmann : un vocabulaire inspiré de la nature, mais très travaillé, stylisé, des couleurs vives rehaussées de touches métallisées pour créer un jeu de profondeur et de contraste avec le fond mat. 

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société anonyme des anciens établissements Desfossé & Karth, papier peint à motif répétitif de pissenlits, 1917. Papier, impression au cylindre.

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société anonyme des anciens établissements Desfossé & Karth, papier peint à motif répétitif de pissenlits, 1917. Papier, impression au cylindre. Photo service de presse. © Les Arts Décoratifs

Vingt ans de production

Le musée des Arts décoratifs conserve trente-huit modèles de Ruhlmann, sortis de la manufacture Desfossé & Karth entre 1912 et 1932, ainsi que des échantillons produits par la Société française des papiers peints (ESSEF). Les pochons – projets dessinés et gouachés acceptés par la manufacture avant leur mise en production – et les échantillons présentent des motifs très variés (fleurs, formes cellulaires, danseuses…), dans des coloris audacieux, qui témoignent de l’influence du fauvisme et des Ballets russes et qui n’ont pas toujours été retenus pour l’impression.

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société anonyme des anciens établissements Desfossé & Karth, projet de papier peint Monnaie du pape, 1914-17. Papier, gouache.

Jacques-Émile Ruhlmann pour la Société anonyme des anciens établissements Desfossé & Karth, projet de papier peint Monnaie du pape, 1914-17. Papier, gouache. Photo service de presse. © Les Arts Décoratifs

La consécration

Fait rare, Ruhlmann conserve le monopole sur la vente de tous ses dessins, qui sont alors largement diffusés, tant auprès d’une riche clientèle que dans les publications contemporaines ou dans les salons d’arts décoratifs. C’est ainsi qu’il triomphe lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Tel un chef d’orchestre, il montre tout son talent d’ensemblier en coordonnant le travail de cinquante artistes pour l’aménagement et la décoration du pavillon du Collectionneur, bientôt surnommé « pavillon Ruhlmann ». Des photographies de ce pavillon aux carnets de croquis légués par la veuve de Ruhlmann en 1959, en passant par les fragments de papier peint provenant de la Maison des provinces de France de la Cité internationale universitaire, l’exposition nous fait ainsi entrer dans le processus créatif du chantre des arts décoratifs modernes.

Le Grand Salon du pavillon du Collectionneur à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris de 1925. Tirage gélatino-argentique.

Le Grand Salon du pavillon du Collectionneur à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris de 1925. Tirage gélatino-argentique. Photo service de presse. © Les Arts Décoratifs

« Ruhlmann décorateur », jusqu’au 1er juin 2025 au musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris. www.madparis.fr