L’or et la grâce : splendeurs du Trecento siennois à la National Gallery de Londres

Maître du Diptyque de Wilton (anglais ou français), Richard II présenté à la Vierge et l'Enfant par son saint patron Jean-Baptiste et les saints Édouard et Edmond (détail du panneau intérieur droit), vers 1395-1399. Londres, The National Gallery. Photo service de presse. © The National Gallery, Londres
Jamais la pré-Renaissance italienne n’aura autant brillé qu’en 2025. Alors que le musée du Louvre célèbre l’immense Cimabue, qui entre Florence et Pise contribua de manière décisive à l’apparition du naturalisme dans la peinture occidentale, une spectaculaire exposition à la National Gallery de Londres entend poursuivre le fil de l’histoire de l’art à Sienne durant la première moitié du XIVe siècle. Afin de prolonger la célébration de son bicentenaire, l’institution déploie une centaine de panneaux peints, sculptures, pièces d’orfèvrerie, textiles et manuscrits enluminés venus des quatre coins du monde. Parfois démantelés de longue date, nombre de chefs-d’œuvre sur fond d’or se retrouvent réunis pour la première fois depuis des siècles.
Près de dix années de travail. Il n’en fallait pas moins pour retracer l’une des pages les plus fastueuses de l’histoire de l’art européen : le véritable âge d’or qui s’ouvre à Sienne, grande rivale de Florence, à l’aube du Trecento.
Les fastes du « bon gouvernement »
Sous la férule du « bon gouvernement » des Neuf, la cité-État connaît alors une prospérité exceptionnelle, terreau d’une florescence artistique inédite, tout entière vouée à la glorification de la Vierge Marie, sa sainte patronne. C’est dans ce contexte favorable que vont émerger quatre peintres qui, entre rivalités et influences réciproques, repousseront les limites de leur art en développant une manière raffinée et intimiste qui contribuera de façon décisive à l’essor de la peinture européenne : Duccio (actif à partir de 1278, mort en 1319), Simone Martini (1284-1344) et les frères Pietro (actif à partir de 1306, mort en 1348) et Ambrogio (actif à partir de 1319, mort en 1348-1349) Lorenzetti.
Simone Martini (1284-1344), L’Ange Gabriel, vers 1326–1334. Tempera sur panneau de peuplier, 29,7 x 20,5 cm. Anvers, Collection KMSKA – Communauté flamande. Photo service de presse. © Collection KMSKA – Communauté flamande / Hugo Maertens
Le sacré à visage humain
Vierges maternelles, saints courroucés ou Christs enfantins : sous le pinceau de ces quatre évangélistes de la peinture siennoise, les figures les plus sacrées prennent vie sur fond d’or, animées d’une humanité nouvelle, comme en témoigne la touchante Vierge à l’Enfant de Duccio. Prêté par le Metropolitan Museum of Art de New York, qui accueillait la première étape de l’exposition, ce petit panneau de dévotion privé met en scène un remuant bambin, tirant sur le voile de sa mère et touchant son poignet de ses petits pieds. La présentation donne aussi à voir les créations de la myriade d’artistes, sculpteurs et orfèvres qui gravitait autour d’eux, mettant en lumière l’impact décisif de ces maîtres sur leurs contemporains. Une histoire brillante qui s’achève brutalement, hélas, au mitan du siècle : une trentaine d’années après la disparition de Duccio et quatre ans après la mort de Simone Martini en Avignon, la peste noire ravage la cité et décime plus de la moitié de sa population, emportant notamment les frères Lorenzetti.
Duccio (actif à partir de 1278, mort en 1319), Vierge à l'Enfant, vers 1290-1300. Tempera sur panneau de peuplier, 27,9 x 21 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. Photo service de presse. © The Metropolitan Museum of Art, New York
Des chefs-d’œuvre venus du monde entier
Pour retracer cet éphémère âge d’or, Sienne et de multiples musées internationaux ont généreusement accepté de se dépouiller de nombre de leurs chefs-d’oeuvre. Venus de Belgique, de France et d’Allemagne, les six panneaux composant le somptueux polyptyque probablement commandé à Simone Martini par le puissant cardinal Orsini sont ainsi réunis. On admire plus loin celui réalisé vers 1320 par Pietro Lorenzetti pour l’église Santa Maria della Pieve d’Arezzo, où il se trouve toujours. Première oeuvre documentée de l’artiste, qui la signe fièrement, elle renouvelle profondément la représentation des figures sacrées en leur conférant un dynamisme étonnant que souligne une intensité psychologique marquée.
Pietro Lorenzetti (actif à partir de 1306, mort en 1348), polyptyque du maître-autel de l'église Santa Maria della Pieve d'Arezzo, vers 1320. Tempera sur panneau, 312 x 295 x 9 cm. Arezzo, église Santa Maria della Pieve. Photo service de presse. © Gentile concessione dell’Ufficio Beni Culturali della Diocesi di Arezzo-Cortona-Sansepolcro / L.A.D. Photographic di Angelo Latronico
D’une Maestà l’autre
Si, à Paris, la somptueuse restauration de la Maestà de Cimabue attire tous les regards, à Londres, c’est la présentation exceptionnelle de celle de son disciple Duccio qui offre à l’exposition son apothéose. Premier grand retable recto-verso de la peinture occidentale, ce monumental chef-d’oeuvre signé par l’artiste était large de près de cinq mètres de côté et composé d’une multitude de panneaux ; il était destiné au maître-autel de la cathédrale de Sienne, où il trôna jusqu’à l’aube du XVIe siècle. En 1777, il est scié dans son épaisseur afin de rendre ses deux faces autonomes, puis démantelé, ce qui conduisit à la disparition de nombreux éléments. Trente-trois pièces sont aujourd’hui identifiées, dispersées à travers dix collections localisées dans cinq pays différents. C’est à la reconstitution de ce retable façon puzzle que se sont attelés avec succès les commissaires, réunissant les trois peintures conservées par la National Gallery avec de nombreux panneaux venus de Madrid, Fort Worth, New York et Washington.
« Sienne : L’essor de la peinture, 1300-1350 », jusqu’au 22 juin 2025 à la National Gallery, Trafalgar Square, Londres. Tél. 00 44 20 7747 2885. www.nationalgallery.org.uk
Catalogue, National Gallery Global, 312 p., £35.