Toutânkhamon : le trésor du pharaon brille à Paris (1/4). Entretien avec les commissaires de l’exposition

Statue à l’effigie du roi montant la garde, règne de Toutânkhamon (1336-1326 avant notre ère). Bois, gesso, résine noire, feuille d’or, bronze, calcite blanche et obsidienne pour les yeux. H. : 190 cm. Louxor, vallée des Rois, KV62, antichambre. Le Caire, Grand Musée égyptien, GEM 5-4. © Laboratoriorosso, Viterbo / Italy / SP
À l’occasion du centenaire de la découverte de la tombe de Toutânkhamon par Howard Carter en novembre 1922, le ministère des Antiquités égyptiennes et la société américaine IMG ont mis sur pied une exposition internationale itinérante : « Toutânkhamon, le Trésor du Pharaon ». Elle rassemble pour la première fois cent cinquante objets originaux de la tombe du pharaon, pour certains jamais sortis d’Égypte. Cet événement permet d’admirer à Paris les trésors du plus célèbre pharaon égyptien à la lumière des dernières connaissances. Entretien avec Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre, et Dominique Farout, égyptologue et conseiller scientifique de l’exposition.
Propos recueillis par Carole Jarsaillon
Une exposition exceptionnelle
En 1967, se tenait à Paris une première exposition intitulée Toutânkhamon et son temps, organisée par Christiane Desroches-Noblecourt et inaugurée par André Malraux. Ce fut un tel succès que cet événement a été surnommé « l’exposition du siècle ». Cinquante ans plus tard, que nous offre cette nouvelle présentation ?
Dominique Farout : En cinquante ans, l’égyptologie a beaucoup évolué. Nos connaissances concernant Toutânkhamon et son époque se sont précisées. Très peu d’objets de la nouvelle exposition étaient déjà présentés en 1967. Un certain nombre d’entre eux, et non des moindres, n’était encore jamais sorti d’Égypte. Leur nombre, cent cinquante pièces, est beaucoup plus important qu’en 1967. L’espace alloué est particulièrement vaste (2 000 m2) et la présentation actuelle utilise des moyens techniques ignorés en 1967, offrant au public un confort de visite incomparable.
Chronologie
Préhistoire : fin en 3100 avant notre ère.
Époque thinite : 3100-2700 avant notre ère.
Ancien Empire : 2700-2200 avant notre ère.
Première période intérmédiaire : 2200-1950 avant notre ère.
Moyen Empire : 1950-1710 avant notre ère.
Règne de Sésostris III : 1872-1854 avant notre ère.
Deuxième période intérmédiaire : 1710-1540 avant notre ère.
Nouvel Empire : 1540-1070 avant notre ère.
Règne de Toutânkhamon : 1345-1327 avant notre ère.
Règne de Ramsès II : 1304-1213 avant notre ère.
Troisième période intérmédiaire : 1070-664 avant notre ère.
Basse époque : 664-332 avant notre ère.
Époque ptolémaïque : 332-30 avant notre ère.
Règne de Cléopâtre VII : 69-30 avant notre ère.
Quels ont été vos rôles respectifs dans le volet français de cette exposition internationale ?
Vincent Rondot : Les autorités égyptiennes ont souhaité que le musée du Louvre puisse jouer son rôle dans l’accompagnement de l’exposition ainsi que dans sa promotion. Cette exposition a été conçue par le ministère des Antiquités égyptiennes et confiée à une société américaine pour le tour mondial qui est organisé. Nous avons également pu collaborer avec nos collègues égyptiens et les équipes de La Villette sur certains aspects scientifiques et pédagogiques de cette très belle exposition, afin de faire découvrir au public les avancées les plus récentes sur le règne de Toutânkhamon. Enfin, le Louvre prête un des chefs-d’œuvre de ses collections, la statue d’Amon protégeant Toutânkhamon.
« La sélection de cent cinquante objets présentés à Paris, parmi les cinq mille que compte la tombe, a suivi des critères très stricts : chaque artefact devait avoir un doublon ou un équivalent resté en Égypte. »
Comment s’est fait le choix des œuvres ?
D. F. : La sélection de cent cinquante objets présentés à Paris, parmi les cinq mille que compte la tombe, a suivi des critères très stricts : chaque artefact devait avoir un doublon ou un équivalent resté en Égypte ; il devait être en état de voyager et son absence ne devait pas impacter la muséographie du futur Grand musée égyptien. Quant à l’exposition, elle se devait de présenter des œuvres issues de chacune des quatre pièces de la tombe !
Quelle est la spécificité de l’étape française ?
D. F. : En terme de contenu, ce sera exactement le même qu’à Los Angeles, où l’exposition a eu lieu précédemment. Mais si dans la ville américaine, l’exposition était divisée en deux niveaux, à Paris, elle sera présentée sur un seul plateau, ce qui sera sans doute plus agréable. Elle sera également entièrement immersive.
Un trésor usurpé ?
Paré de cent quarante-trois bijoux, Toutânkhamon est inhumé avec un extraordinaire mobilier funéraire, mais il s’agit en grande partie d’un mobilier d’emprunt. Certains des objets les plus fameux du tombeau de Toutânkhamon ont à l’origine été réalisés pour une reine-pharaon, qui régna brièvement entre Akhénaton et Toutânkhamon. Cette reine-pharaon ne serait autre que la princesse Mérytaton, soeur aînée de Toutânkhamon. Pour des raisons qui nous échappent, ces objets furent réutilisés au profit de Toutânkhamon. Par ailleurs, la petite taille et le plan inhabituel de la tombe de Toutânkhamon dans la Vallée des Rois suggèrent qu’elle n’était pas la sienne. On peut supposer qu’une tombe de dimensions royales avait été commencée, mais qu’elle n’était pas achevée lorsqu’il mourut. Il fallut donc se rabattre sur une tombe pouvant être utilisée et décorée rapidement, une fois une partie du mobilier funéraire installée. (voir également « Une malédiction du roi déjà dans l’Égypte antique ? »)
Boîte en calcite peinte et couvercle voûté avec ornement floral, règne de Toutânkhamon (1336-1326 avant notre ère). Calcite et obsidienne. H. : 24 cm. Louxor, vallée des Rois, KV62, antichambre. Le Caire, Grand Musée égyptien, GEM 255. © Laboratoriorosso, Viterbo / Italy / SP
Revenons sur le prêt du musée du Louvre : pourquoi prêtez-vous en particulier la statue d’Amon protégeant Toutânkhamon ?
V. R. : Nous avons souhaité mettre en valeur cette statue exceptionnelle. Cette sculpture, réalisée lors du règne de Toutânkhamon, est antérieure au trésor. Le visage du Dieu Amon est intact, ce qui est, en soi, extraordinaire et permet d’admirer une rare représentation dont Toutânkhamon emprunte habituellement les traits. En effet, pour lutter contre le puissant clergé thébain, Akhénaton, le père de Toutânkhamon, instaura sous son règne le culte unique d’Aton et fonda une nouvelle capitale à Tell el-Amarna. Il tenta de faire disparaître les autres dieux, en particulier Amon, dont toutes les représentations furent éliminées par les émissaires du pharaon envoyés aux quatre coins du royaume. Sur cette statue, c’est le visage de Toutânkhamon qui a été martelé par ses successeurs indirects comme Horemheb, qui rétablirent le culte d’Amon et revinrent à Thèbes. Il fallait alors faire disparaître la mémoire de l’époque amarnienne, quand Toutânkhamon s’appelait Toutânkhaton…
Amon protégeant Toutânkhamon. Diorite. H. : 220 cm. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / SP
Des recherches toujours en cours
Toutânkhamon et son trésor si médiatisé n’occultent-ils pas un peu le reste de l’histoire égyptienne ?
V. R. : Son trésor a encore beaucoup d’informations à livrer aux égyptologues ! Mais notre travail consiste aussi à sortir de l’aveuglement que l’évocation de Toutânkhamon produit. Si les informations livrées par son trésor sur l’histoire égyptienne jouent un rôle incontestable, ce dernier ne constitue, au regard de la compréhension glo-bale de cette civilisation, qu’un document parmi d’autres. Quelle que soit l’ampleur de sa découverte, il faut rappeler la distinction entre une fouille archéologique et une chasse au trésor. La première n’est pas là pour découvrir des objets, mais pour vérifier un questionnement.
« L’annonce faite en mars 2016 de la découverte d’une cavité dans la tombe de Toutankhamon, qui recèlerait une tombe, a été démentie en mai 2018 dans le cadre de la Quatrième conférence internationale de Toutânkhamon. »
Justement, sont régulièrement annoncées des découvertes sur Toutânkhamon et la période amarnienne, des recherches ADN à la cavité dans sa tombe… Dans quelle mesure ces annonces sont-elles fiables ?
D. F. : L’annonce faite en mars 2016 de la découverte d’une cavité dans la tombe de Toutânkhamon, qui recèlerait une tombe, a été démentie en mai 2018 dans le cadre de la quatrième Conférence internationale de Toutânkhamon, qui s’est tenue au Grand musée égyptien. Quant aux recherches ADN menées en 2009 sur les momies attribuées aux membres de la famille de Toutânkhamon, elles sont intéressantes, mais discutables – les précautions prises pour extraire les ADN sont à analyser car il faudrait pouvoir identifier l’ADN de Carter et de tous ceux qui ont été en contact avec la momie du pharaon. Il est néanmoins aujourd’hui avéré que Toutânkhamon, comme les membres de sa famille, étaient touchés par les mêmes maladies génétiques, résultant de mariages endogamiques. Les parents de Toutânkhamon, s’ils n’étaient pas frère et soeur, devaient être cousins germains. On se pose toujours beaucoup de questions sur la période amarnienne alors qu’elle est plus documentée que d’autres époques. Parmi les éléments nouveaux et dignes d’intérêt, a été découvert en 2014, dans les carrières autour d’Amarna, un graffito de l’an 16 mentionnant Néfertiti, repoussant sa mort ou sa disparition d’encore quelques années.
Dans quelle mesure cette exposition préfigure-t-elle la muséographie du trésor au Grand musée égyptien, qui ouvrira à la fin de l’année au Caire ?
D. F. : L’exposition ne préfigure pas ce que sera ce musée ! Certains objets ont quitté le vieux musée du Caire et se trouvent déjà dans la nouvelle institution ; le laboratoire de restauration est également déjà fonctionnel, comme on le voit sur des photographies au début de l’exposition – des œuvres abîmées lors de la Révolution de 2011 y ont été restaurées. Ces travaux m’ont permis de découvrir certaines pièces comme je ne les ai jamais vues !
Éléments de la momie de Toutânkhamon : mains incrustées d’or tenant la crosse et le fléau. Or, verre, cornaline et argent. Chambre funéraire. GEM 759-A. © Laboratoriorosso, Viterbo / Italy / SP
De la Villette au Louvre
En complément de l’exposition, le musée du Louvre propose également un parcours au sein de ses propres collections. Pouvez-vous nous en dire plus ?
V. R. : Oui, la statue d’Amon joue un rôle d’ambassadeur du musée du Louvre dans l’exposition ! Elle invite à venir (re)découvrir le département des Antiquités égyptiennes. Nous avons conçu un parcours thématique « Vallée des Rois » téléchargeable sur le site louvre.fr, car le Louvre possède notamment la cuve du sarcophage de Ramsès III, beaucoup d’oushebtis d’Amenhotep III, grand-père de Toutânkhamon…
Qu’en est-il des projets en cours au département des Antiquités égyptiennes ?
V. R. : Nous sommes engagés dans le programme ambitieux de la refonte muséographique complète du mastaba d’Akhethetep. La chapelle du mastaba a fait l’objet de la 7e campagne d’appel au don Tous mécènes ! opération de mécénat participatif qui a eu un succès considérable. et nous pouvons désormais restituer les découvertes archéologiques les plus récentes sur l’œuvre afin de répondre à l’enthousiasme qu’il a suscité (voir Archéologia 574, p. 16). Les travaux devraient se terminer en 2020, année où l’exposition sur Taharqa, pharaon de la XXVe dynastie sera présentée au public dans le hall Napoléon. Enfin, à l’horizon 2022, nous célébrerons le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion. Les oushebtis sont des statuettes qui forment une partie importante du mobilier funéraire. Ces statuettes désignent les serviteurs qui devaient répondre à l’appel d’Osiris et remplacer le mort dans les travaux des champs de l’au-delà.
Pectoral, chaîne et contrepoids en or incrusté avec un scarabée en lapis flanqué d’uræi . Or, argent, cornaline, turquoise, lapis-lazuli, feldspath vert et verre, H. : 50 cm. Antichambre. GEM 142-1. © Laboratoriorosso, Viterbo / Italy / SP
Sommaire
Toutânkhamon : le trésor du pharaon brille à Paris
1/4. Entretien avec les commissaires de l’exposition
2/4. Qui était Toutânkhamon ?
3/4. Une malédiction du roi déjà dans l’Égypte antique ?
4/4. Les trésors du Trésor