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Troie, entre mythe et réalité au British Museum

Jacques-Louis David, Les Amours de Pâris et d’Hélène, 1788. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre.

Jacques-Louis David, Les Amours de Pâris et d’Hélène, 1788. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier

Grâce à la richesse de ses collections antiques et à de prestigieux prêts internationaux, le British Museum met en lumière l’épopée de la guerre de Troie. Des cratères à figures rouges aux huiles sur toile de Rubens, plus de trois cents œuvres montrent la postérité de ce récit fondateur et le confrontent à la réalité historique qui se cache sous les strates archéologiques.

Comme magistralement démontré l’exposition dédiée à Homère organisée au musée du Louvre-Lens au printemps dernier, les récits de la guerre de Troie ont été écrits par divers auteurs entre le VIIIe et le VIe siècle avant notre ère. De ce grand ensemble épique, appelé Le Cycle, ne subsistent que l’Iliade et l’Odyssée, œuvres d’Homère. L’épisode qui déclencha la guerre, la discorde entre les trois déesses, Athéna, Héra et Aphrodite, se disputant le titre de reine de beauté lors des noces de Thétis et Pelée, puis l’enlèvement d’Hélène, femme du roi de Sparte Ménélas, par le prince troyen Pâris ne sont ainsi pas décrits dans l’Iliade ; le récit homérique met en scène le siège des armées grecques devant les murailles de Troie, l’opposition et les ruses des dieux entre eux pour venir en aide à chacun des deux camps et les hauts faits des héros grecs et troyens, de la colère d’Achille à la mort de Patrocle, suivie de celles d’Hector et du fils de Thétis et de Pelée lui-même, qui clôt l’Iliade.

 Ménélas et Hélène après la conquête de Troie. 350-340 avant notre ère. Cratère à volutes à figures rouges. Allemagne, Berlin, Antikensammlung (SMPK).

Ménélas et Hélène après la conquête de Troie. 350-340 avant notre ère. Cratère à volutes à figures rouges. Allemagne, Berlin, Antikensammlung (SMPK). © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Ingrid Geske-Heiden

 

Légitimer une épopée

Dès l’Antiquité, les récits de la guerre de Troie deviennent des classiques de la littérature. À l’époque ptolémaïque, les petits Grecs d’Égypte font leurs dictées et leurs dissertations sur les personnages d’Homère. Avant eux, Platon érige ce poète en maître de l’école de la Grèce ancienne, régnant dans des domaines aussi variés que la morale, la littérature, les sciences et les arts. La pensée grecque se bâtit sur les épisodes de ce conflit, qui n’est pas seulement considéré comme un mythe mais comme l’un des plus importants piliers d’une civilisation se revendiquant de la lignée généalogique des héros charismatiques et des dieux de l’épopée. Pourtant, très tôt, se pose la question de la véracité du récit.

Peintre de Brygos, Coupe de l’Ilioupersis, coupe à figures rouges, vers 480 avant notre ère. Paris, musée du Louvre. Orsimès achevant un Troyen tombé tandis que Cassandre se sauve à gauche. Andromaque armée d’un pilon protège la fuite de son fils Astyanax.

Peintre de Brygos, Coupe de l’Ilioupersis, coupe à figures rouges, vers 480 avant notre ère. Paris, musée du Louvre. Orsimès achevant un Troyen tombé tandis que Cassandre se sauve à gauche. Andromaque armée d’un pilon protège la fuite de son fils Astyanax. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Dès les périodes classiques, naît une volonté de légitimation par la reconnaissance des lieux hypothétiques des batailles, comme le montre la visite d’Ilion (autre nom du site de Troie) par Alexandre le Grand en 334 avant notre ère. Véritablement « homéromane », Alexandre calque d’ailleurs son comportement sur celui des héros homériques (et en particulier sur celui du valeureux Achille), voyageant, selon Plutarque, en Asie avec son exemplaire de l’Iliade. Au Ve siècle avant notre ère, les Grecs, intéressés par leur origine, cherchent déjà la tombe d’Agamemnon alors qu’à la fin du Ier siècle avant notre ère, quand Strabon décrit la Grèce, il souhaite retrouver les paysages et les monuments cités par Homère… La première partie de l’exposition revient ainsi sur l’immuable présence de cette guerre dès l’Antiquité avec, notamment, une superbe coupe romaine en argent représentant Priam réclamant le corps d’Hector auprès d’Achille, prêté par le musée national du Danemark.

Ulysse et Cassandre, troisième quart du Ier siècle. Peinture murale du IVᵉ style. Pompéi, maison de Ménandre, pièce 4 de l’atrium, détail du mur gauche.

Ulysse et Cassandre, troisième quart du Ier siècle. Peinture murale du IVᵉ style. Pompéi, maison de Ménandre, pièce 4 de l’atrium, détail du mur gauche. © Akg-images / Bildarchiv Steffens

Schliemann, l’archéologue de Troie

Ce sont les découvertes des sites antiques autour de la Méditerranée à partir du XVIIIe siècle qui lancent un attrait nouveau pour l’Antique, favorisant l’essor de l’archéologie. Le nom d’Heinrich Schliemann (1822-1890) restera à jamais lié à l’histoire de Troie et à sa redécouverte à la fin du XIXe siècle, changeant définitivement notre perception de ce récit épique. Homme d’affaires et archéologue autodidacte, Schliemann entreprend, après de nombreux voyages, de découvrir les lieux sur lesquels se sont déroulées ces batailles. À la demande du diplomate anglais Franck Calvert, il mène des fouilles sur la colline d’Hissarlik en Turquie, identifiée comme étant l’hypothétique emplacement de la ville mythique. Le 11 octobre 1871, il lance une première campagne de fouilles qui sera suivie par sept autres entre 1871 et 1890, année de sa mort. Après avoir creusé une importante tranchée de 40 m de large sur 48 m de long, il découvre les ruines d’une citadelle (aujourd’hui « Troie II ») et plusieurs niveaux d’évolution de la ville. Il identifie alors quatre cités distinctes et successives sous la ville révélée en premier ; il pense alors que la Troie d’Homère correspond au deuxième niveau.

Coupe romaine, Priam au pied d’Achille, Ier siècle de notre ère.  Argent. Musée national du Danemark. Cet épisode très émouvant représentant le roi de Troie venant implorer Achille de lui rendre le corps de son fils Hector afin qu’il puisse lui offrir de dignes funérailles.

Coupe romaine, Priam au pied d’Achille, Ier siècle de notre ère. Argent. Musée national du Danemark. Cet épisode très émouvant représentant le roi de Troie venant implorer Achille de lui rendre le corps de son fils Hector afin qu’il puisse lui offrir de dignes funérailles. Photo Roberta Fortuna and Kira Ursem. © National Museet Denmark

Sur la trace de Priam

En 1873, il exhume un ensemble exceptionnel des bijoux on or, en argent et en bronze, qu’il identifie comme le « trésor de Priam », nom du vieux roi de Troie, le père de Pâris, Cassandre et Hector. Parmi ces objets datant du IIImillénaire avant notre ère, de deux cent cinquante sont en or. Certaines pièces de ce trésor comme de la vaisselle en argent, des armes en bronze et des sculptures en pierre, prêtées par le musée de la Préhistoire et de la Protohistoire de Berlin, sont présentées dans l’exposition. Parallèlement à ces recherches, Schliemann met au jour un grand nombre de vases, de pointes de lances et de boucles d’oreille dans les niveaux datés d’environ 2200 avant notre ère, et s’intéresse également à Ithaque, Mycènes et Tirynthe, toujours à la recherche des lieux emblématiques de la guerre de Troie. Si les différentes campagnes de fouilles (dont certaines sont toujours en cours dans le cadre du projet Troia) ont considérablement renouvelé nos connaissances sur le site d’Hissarlik, elles ont également montré qu’aucune des neuf villes superposées de Troie (selon la nomenclature stratigraphique initiée par Wilhem Dörpfeld en 1893-1894) ne correspond vraiment à la cité de Priam et que le site même d’Hissarlik n’était que la citadelle d’une bien plus vaste agglomération particulièrement prospère à l’âge du Bronze.

Sophia Schliemann, l’épouse de Heinrich Schliemann, arborant le soi-disant « trésor de Priam » découvert à Hissalirk.

Sophia Schliemann, l’épouse de Heinrich Schliemann, arborant le soi-disant « trésor de Priam » découvert à Hissalirk. © Akg-images

 

La postérité d’une œuvre

Comme dans la Bible, que l’exposition compare à l’Iliade et à l’Odyssée par sa résonnance multiséculaire dans l’art et la littérature occidentale, les sentiments et les valeurs mis en scène par la guerre de Troie en font un récit intemporel. Au fil du parcours, les œuvres montrent la postérité de ce récit mythique et l’écho dont il résonne encore dans le monde actuel. Sa modernité vient aussi du fait qu’il n’est pas seulement un récit d’hommes en armes, prônant des valeurs masculines de courage, de force et de loyauté ; elles sont aussi, comme le souligne la commissaire de l’exposition Vicky Donnellan, « une histoire où les femmes sont puissantes, incarnant de différentes manière le pouvoir ». Essentielles par leur présence et par leur force, elles rythment la progression narrative, que ce soit Thétis, la mère d’Achille, Hélène, qui se repend d’être la cause du conflit, ou Andromaque, l’un des plus beaux personnages de l’Iliade.

Filippo Albacini, Achille blessé , 1825, marbre.

Filippo Albacini, Achille blessé , 1825, marbre. Chatsworth House Photograph. © The Devonshire Collections, Chatsworth. Reproduced by permission of Chatsworth Settlement Trustees

Un art au féminin

Des œuvres récentes réalisées par des femmes artistes viennent ainsi enrichir l’exposition, comme le Judgement of Paris (after Rubens), réalisé en 2007 par l’artiste américaine Eleanor Antin. « Les œuvres exposées n’avaient jamais été présentées ensemble auparavant et nous espérons avoir créé des confrontations intéressantes, particulièrement entre les œuvres anciennes et modernes », souligne V. Donnellan. Dans ce vaste panorama d’œuvres générées par le fascinant mythe de la guerre de Troie, notons une superbe fresque de Pompéi du musée national d’archéologie de Naples, une impressionnantes huile sur toile de Rubens, qualifié d’« Homère de la peinture » par Delacroix, La colère d’Achille devant Agamemnon (1630-1635) de la Courtauld Gallery ou encore la très émouvante Vengeance of Achilles (1962) de l’américain Cy Twombly de la Kunsthaus de Zurich. Les commissaires de l’exposition ont également donné la parole à deux associations, Crisis et Waterloo Uncovered, la première venant en aide aux femmes affectées par les déplacements en temps de guerre et la seconde soutenant les vétérans en les impliquant dans des fouilles archéologiques.

 Edward Burne-Jones, Les larmes d’Hélène. Dessin tiré de The Flower Book, 1882-1898. Londres, British Museum.

Edward Burne-Jones, Les larmes d’Hélène. Dessin tiré de The Flower Book, 1882-1898. Londres, British Museum. © The Trustees of the British Museum

 

« Troy, myth & reality », du 21 novembre 2019 au 8 mars 2020 au British Museum, Great Russell St, Bloomsbury, Londres. Tél. +44 (0)20 7323 8000. www.britishmuseum.org

Catalogue, Thames & Hudson, 270 p.