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Une expo, une œuvre : The Woodcarver and The Forest de David Claerbout au château de Gaasbeek

David Claerbout, The Woodcarver and the Forest, 2025. Extrait. Courtesy de l’artiste et des galeries Pedro Cera, Annet Gelink, Sean Kelly, Greta Meert, Esther Schipper, Rüdiger Schöttle.

David Claerbout, The Woodcarver and the Forest, 2025. Extrait. Courtesy de l’artiste et des galeries Pedro Cera, Annet Gelink, Sean Kelly, Greta Meert, Esther Schipper, Rüdiger Schöttle. © Kasteel van Gaasbeek, 2025 / Alex Shlyk, We Document Art © Adagp, Paris, 2025

Le travail du Belge David Claerbout (né en 1969) se situe à l’intersection de la photographie, du film et des nouveaux médias. Accueillie dans le décor néogothique d’un château situé aux portes de Bruxelles, l’exposition « At the Window » offre un panorama couvrant trente ans de carrière, où l’on découvre The Woodcarver and the Forest, la dernière création vidéo de l’artiste.

Présentée au château de Gaasbeek, édifice millénaire relooké en demeure néogothique à la fin du XIXe siècle, The Woodcarver and the Forest ne pouvait trouver lieu plus adéquat : il règne en effet dans l’édifice comme dans cette vidéo une ambiance fantomatique ponctuée, comme le domaine lui-même, d’arbres magnifiques. La dernière œuvre de David Claerbout est l’aboutissement d’un ambitieux travail mené depuis le milieu des années 1990 autour de l’image en mouvement à l’ère numérique. On avait déjà eu au Mamco de Genève en 2015 une vision d’ensemble de ces recherches dont l’arrière-plan conceptuel, très prégnant, parvient presque miraculeusement à faire vibrer la corde sensible en mettant en jeu des images, la représentation d’un temps qui passe à travers elles, l’expérience temporelle du spectateur et son activité complexe de perception, mêlée de mémoire lointaine, de mélancolie, d’introspection.

« Je veux que les gens regardent pendant des heures ou, au moins, s’installent dans cette idée de durée, sachant qu’ils ne pourront jamais tout voir. »

David Claerbout

Paradoxe du sculpteur sur bois

Protagoniste de cette nouvelle œuvre « en boucle », un homme entre deux âges travaille silencieusement le bois face à une immense baie vitrée donnant sur une forêt de pins au milieu de laquelle son habitation contemporaine, que l’on imagine passive, trône. Inlassablement, on le voit couper du bois, raboter, sculpter des cuillères qu’il enduit d’un vernis protecteur avant de les mettre à sécher ; comme souvent chez Claerbout, sorte de peintre du silence animé, la répétition des gestes et des images est source de fascination hypnotique et engendre un plaisir mêlé de sérénité et de réflexion – le travail manuel, du bois singulièrement, refuge face à la digitalisation croissante du monde ? L’artiste a eu recours à l’IA générative pour rendre la durée de cette vidéo, déjà longue en elle-même, presque indéfinie. Les images évoquent une symbiose entre l’écorce, la peau de l’arbre, et celle des mains de celui qui la travaille et la pelle. D’une lenteur toute sylvestre, alternant plans larges de l’atelier, de la forêt qui le « cerne », et plans rapprochés de troncs, de détails du visage, dans ce lent et inexorable développement croît insidieusement l’idée que cette noble activité fait elle-même disparaître la forêt. Entre plaisir et tristesse, beauté et destruction.

La durée comme matière

David Claerbout modèle dans la durée comme s’il s’agissait de l’argile ou de la pierre, « le temps transformant, dit-il, la durée en une matière pierreuse ». Ce qui le passionne, c’est de rendre palpable le temps, d’en faire un volume. Comme dans la peinture flamande où, derrière le portrait, se dévoilait un paysage, une ville ou une tragédie, l’essentiel chez lui se joue parfois dans les détails. Dans des installations plus anciennes où des acteurs interprétaient une histoire, l’important se situait à l’arrière-plan ou dans le passage de la lumière. L’artiste se réclame aussi des primitifs flamands, virtuoses dans l’art de pointer le détail et d’éloigner la tentation du spectaculaire. « Je veux que les gens regardent pendant des heures ou, au moins, s’installent dans cette idée de durée, sachant qu’ils ne pourront jamais tout voir. » Comme d’autres avant elle, cette vidéo, d’une dizaine d’heures, ne pourra en effet être vue intégralement. Contraignant à prendre le temps de voir sans jamais tout voir, elle s’adresse à « ceux qui sont prêts à regarder de façon plus panoramique », dit l’artiste, agglomérant leur temps à la matière comme au sujet de l’œuvre.

Pour voir cette œuvre, rendez-vous à Lennik en Belgique, où l’exposition « David Claerbout : At the Window » se tient jusqu’au 16 novembre au château de Gaasbeek. www.kasteelvangaasbeek.be