Une grande mécène en son musée « secret » : l’Académie des beaux-arts rend hommage à la comtesse de Caen

Jean-Antoine Injalbert (1845-1933), grand prix de Rome de 1874, L’Amour domptant la force (détail), 1880. Plâtre teinté, 100 x 200 x 150 cm. Paris, Académie des beaux-arts, collection musée de Caen. Photo service de presse. © Académie des beaux-arts
À l’ombre de la prestigieuse coupole de l’Institut, le pavillon dédié aux expositions temporaires porte le nom d’une mécène de l’Académie des beaux-arts aussi généreuse que méconnue : Anne-Sophie Marchoux (1809-1870), comtesse de Caen. C’est à cette personnalité hors norme que l’institution rend aujourd’hui hommage, au sein même du pavillon qui a abrité, entre 1879 et 1970, le musée né de son legs.
« Nous avons réussi à réunir une cinquantaine de peintures, sculptures et dessins d’architecture, parmi les 200 que devait posséder le musée », confie la commissaire de l’exposition France Lechleiter, chargée des collections de la Bibliothèque et de la Villa Marmottan. Certes, « d’importantes zones d’ombres demeurent », mais son patient travail permet enfin de lever largement le voile sur la mystérieuse comtesse de Caen, femme libre et cultivée qui fut tout à la fois artiste (elle a exposé au Salon), collectionneuse et figure de la mécène moderne.
« Elle aimait les lettres, les sciences et les arts […]. À une grande sûreté de vues, elle joignait une appréciation saine et une vérité de remarque tout à fait supérieure. »
Alphonse de Jestières, homme de plume et de théâtre, exécuteur testamentaire de la comtesse de Caen, Le Journal des Artistes, 12 octobre 1882, n° 13, 2e série.
Une femme libre
Fille d’un notaire parisien, Anne-Sophie Marchoux épouse, en 1836, Camille Maximilien Eugène Léonidas, comte de Caen, dont elle n’aura pas d’enfant. L’union est malheureuse mais c’est avec une étonnante liberté pour l’époque que la comtesse gère l’héritage paternel, comprenant l’administration de la galerie Vivienne, luxueux passage couvert situé à quelques pas du Palais-Royal.
La nouvelle vie de la galerie Vivienne
Depuis le legs de la comtesse de Caen en 1870, l’Académie des beaux-arts est copropriétaire de la galerie Vivienne qui vient d’être magistralement restaurée. Le 17 octobre dernier, elle a inauguré, au cœur de ce passage couvert, un nouvel espace d’exposition associé à une librairie-boutique, où elle présente actuellement l’exposition de restitution des artistes en résidence à la Villa Dufraine (Val d’Oise), « Un soleil à peine voilé ».

Galerie de l’Académie des beaux-arts, 4 rue des Petits-Champs, 75002 Paris. Entrée gratuite. Photo service de presse. © Patrick Rimod / Académie des beaux-arts
Une pionnière du mécénat
Soucieuse de ne rien laisser ou presque à cet époux haï et à sa famille éloignée, la visionnaire comtesse choisit de léguer l’essentiel de sa fortune à l’Académie des beaux-arts. Son souhait ? Soutenir les talents émergents, dirait-on aujourd’hui, apporter une aide financière aux lauréats du grand prix de Rome, à leur retour de la Ville Éternelle. Durant trois ans, les peintres, sculpteurs et architectes comptant parmi les élèves les plus prometteurs de l’Académie, reçoivent un soutien financier en échange duquel ils sont « obligés de faire un ouvrage pour [s]on musée, si mieux ils n’aiment décorer une partie du musée », précise le testament de la comtesse en 1857. Quelques années sont toutefois nécessaires pour faire de ce rêve une réalité.
Adolphe Yvon (1817-1893), Portrait de la comtesse de Caen, 1875. Huile sur toile, 189 x 137 cm. Paris, Académie des beaux-arts, collection musée de Caen. Photo service de presse. © Académie des Beaux-Arts / Studio SLB Christian Baraja
Musée secret, musée dispersé
Ouvert en 1879, le musée restera « secret », car fermé au grand public. Il faut attendre 1914 pour que l’organiste et compositeur Charles-Marie Widor, alors secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, ne s’attèle à faire vivre les lieux au rythme de concerts et de réceptions dont les journaux de l’époque se font parfois l’écho. Mais en 1941 déjà, une grande partie des collections est détruite dans l’incendie du grenier du manège des Grandes Écuries de Chantilly. Dans les années 1960, alors que l’Institut fait l’objet de grands travaux et qu’André Malraux supprime le prix de Rome (1968), les œuvres restantes sont dispersées dans divers dépôts, sonnant définitivement le glas du musée de la comtesse de Caen…

Aimé Morot (1850-1913), grand prix de Rome de 1874, Salomé (détail), 1880. Huile sur toile, 220 x 195 cm. Paris, Académie des beaux-arts, collection musée de Caen. Photo service de presse. © Studio SLB – Christian Baraja
Un autre XIXe siècle
La présente exposition fait renaître enfin cet audacieux musée, né après le décès de sa généreuse fondatrice, qui nous accueille dès l’entrée, à travers son portrait signé Adolphe Yvon (1817-1893). Elle apparaît également au plafond de la première salle, couronnée par une allégorie de la Villa Médicis peinte par François Schommer (1850-1935). À côté de quelques grands noms comme Albert Besnard (1849-1934), André Devambez (1877-1944), dont on admire une étonnante Danaé alanguie, l’architecte Charles Girault (1851-1932) ou le sculpteur Laurent-Honoré Marqueste (1848-1920), il faut bien avouer que rares sont les jeunes lauréats de l’Académie à être passés à la postérité. C’est pourtant une fascinante plongée dans un certain XIXe siècle que propose ce parcours intimiste au fil duquel se succèdent dessins d’architectes, nus plus ou moins lascifs et portraits ; entre tradition et exigences du temps.

Théobald Chartran (1849-1907), grand prix de Rome de 1877, La Peinture française à la Villa Médicis, 1884. Huile sur toile marouflée, 310 x 235 cm. Paris, Académie des beaux-arts, collections musée de Caen, palais de l’Institut de France, Pavillon comtesse de Caen. Photo service de presse. © Patrick Rimod / Académie des beaux-arts
« Le musée secret de la comtesse de Caen (1879-1968) », jusqu’au 30 novembre 2025 au Pavillon Comtesse de Caen, Palais de l’Institut de France, 23 quai de Conti, 75006 Paris. www.academiebeauxarts.fr
Entrée gratuite
Catalogue, Le Passage, 253 p., 35 €.





