Envie d’une escapade bucolique qui conjugue l’art, la nature et un brin d’aventure ? Ne manquez pas le festival des hortillonnages d’Amiens ! Progressivement délaissés au XXe siècle, ces îlots maraîchers créés par l’homme il y a sept siècles ont bien failli disparaître dans les années 1970 dans un vaste projet de rocade, mais ils sont aujourd’hui l’un des joyaux du patrimoine amiénois. Depuis treize ans, l’association Art & Jardins | Hauts-de-France contribue à la réhabilitation du site et convie chaque été des paysagistes et des créateurs à investir ces jardins flottants.
Si c’est seulement à la fin du XVe siècle que sont explicitement mentionnés dans les archives les hortillonnages (un terme qui dérive du bas latin hortellus, qui signifie « petit jardin »), nous savons néanmoins que ces îlots cultivés en zone marécageuse se sont développés aux portes d’Amiens durant le Moyen Âge. Selon la légende, la célèbre cathédrale de la ville a d’ailleurs été construite au XIIIe siècle sur un champ d’artichauts cédé par un couple d’hortillons (c’est ainsi que l’on appelle les maraîchers). Mosaïque de parcelles encadrées de rieux (canaux navigables), les hortillonnages couvriront jusqu’à 15 000 hectares et feront vivre jusqu’à un millier de personnes au XIXe siècle. À cet âge d’or succèdera hélas une chute irrésistible… Avec l’apparition des transports frigorifiques et l’explosion des importations de légumes, le XXe siècle voit peu à peu disparaître les hortillons. Progressivement enclavés dans la ville, les jardins flottants sont réduits à 3 000 hectares, un précieux patrimoine naturel préservé grâce à la mobilisation de passionnés. En 1975, c’est pour lutter contre le projet de rocade qu’est créée l’association pour la protection et la sauvegarde des hortillonnages. Toujours active, elle propose notamment des visites guidées.
Façonnés par l’homme
Depuis treize ans, Art & Jardins | Hauts-de-France contribue à faire reculer les friches au profit de jardins luxuriants, tandis que les particuliers continuent à entretenir des jardins d’agrément autour de bucoliques cabanons, les terrains n’étant pas constructibles. Seules quelques parcelles (moins de trente hectares) sont aujourd’hui exploitées par une poignée d’irréductibles hortillons ; mentionnons parmi eux Francis Parmentier, qui apporte son expertise à Art & Jardins, ou encore Thérèse et René Nowak, fondateurs de l’écomusée des hortillonnages inauguré il y a cinq ans. Dans ce musée à taille humaine, les nombreux outils et les barques à cornet et fond plat caractéristiques du site retracent l’histoire d’un paysage patiemment façonné par l’homme, sillonné par des kilomètres de canaux alimentés par la Somme. Il faut du temps et beaucoup de savoir-faire pour entretenir ces parcelles, certes fertiles, mais qui s’érodent jour après jour, des parcelles sur lesquelles la mécanisation est quasi impossible !
Promenade heureuse
« Notre démarche est à la fois artistique, solidaire et durable » résume le pétulant Gilbert Fillinger, ancien directeur de la Maison de la culture d’Amiens, qui tient aujourd’hui les rênes d’Art & Jardins | Hauts-de-France. On ne peut que saluer l’action de l’association qui multiplie les projets éphémères, tout en s’investissant dans des propositions pérennes, telles que les Jardins de la Paix qui essaiment depuis quelques années dans des lieux de mémoire à travers le Grand Est. Conçu selon les mots de Gilbert Fillinger comme une « promenade heureuse » au fil de l’eau, le festival des hortillonnages accueille pour cette 13e édition seize personnes en insertion pérenne et propose de découvrir douze nouvelles créations.
Poésie et écologie
Poétiques souvent, décalées parfois, ces créations architecturales, paysagères et artistiques, placent volontiers au cœur des réflexions l’écologie et les rapports noués entre l’homme et la nature : évoquons la Hutte de chasseur quasi immergée de Delphine Renault, le Banquet cornélien de L’atelier du dehors, qui questionne la dépendance de notre système alimentaire aux énergies fossiles, ou encore Roques d’Atelier Faber, structure en bois de 20 m2 évoquant la quantité de terre arable qui disparaît irrémédiablement chaque seconde de la surface du globe… Ces créations engagées dialoguent avec des œuvres plus délibérément ludiques comme l’arbre à bigoudis de Céline Cléron (Nature permanente) et les Hortillophones en céramique de Raphaëlle Duquesnoy, qui nous invitent à prêter une oreille attentive à l’environnement. À la croisée entre la barque et la navette utilisée pour le tissage, Navette de la Japonaise Keita Mori est quant à elle un hommage croisé aux hortillonnages et à l’industrie textile qui a marqué l’histoire de la ville.
À moins d’1h30 en train de Paris, les hortillonnages offrent un écrin de nature unique au cœur duquel le festival international de jardins tisse un voyage artistique et paysager hors du commun. À pied, en barque ou en vélo, le dépaysement est garanti.
Myriam Escard-Bugat