Le 15 mars dernier s’éteignait le grand antiquaire Alain Moatti (1939-2023). Éminent spécialiste de la sculpture ancienne, cet œil expert qui plaça sa vie sous le signe du marbre et du bronze contribua inlassablement à l’enrichissement des plus prestigieux musées internationaux. Son amie Françoise de La Moureyre, qui participa avec lui à l’aventure du French Bronze Study Group, lui rend hommage.
Je m’en souviens fort bien, c’était en 1965, dans une des salles italiennes du musée Jacquemart-André. Son directeur, le fameux Julien Cain, avait débloqué un poste au CNRS pour le catalogue raisonné des sculptures italiennes dont il m’avait chargée. Sortant des cours d’André Chastel sur Alberti et le plan central en Italie, la tâche me semblait difficile et, regardant pour la première fois avec perplexité ces sculptures, j’aperçus un jeune homme en train de les examiner avec une attention extrême : Alain Moatti. Il travaillait alors dans une galerie d’art. Ce fut le début d’une longue amitié. Lui comme moi nous nous mariâmes chacun de notre côté et créâmes notre propre famille.
Je le revis souvent dans son appartement de la rue des Saints-Pères, accueillie par son épouse Michèle. Là, œuvrant pour son propre compte, il réunissait entre autres de magnifiques sculptures du XVIIe siècle français qu’il souhaitait me montrer.
Nos deux ménages se retrouvèrent aussi dans les années 2000 à Londres, Dresde, Saint-Pétersbourg, New York, Washington, au sein du French Bronze Study Group, créé par Jonathan Marsden. Responsable des collections de la reine d’Angleterre, qui comportent un grand nombre de bronzes français, Jonathan avait créé un groupe international de marchands d’art, historiens d’art, conservateurs de musée et spécialistes du bronze, dont nous faisions partie. Au cours de plusieurs sessions, nous avons étudié un grand nombre de bronzes français et l’avis d’Alain était précieux. Jonathan, apprenant son décès, m’a écrit : « Alain did a great deal to promote the appreciation of French sculpture and bronzes in particular, through his understanding and enthusiasm. He was a pioneer. »
Alain connaissait beaucoup mieux que moi cette technique, ayant examiné minutieusement quantité de bronzes magnifiques. Que de fois je l’ai appelé à l’aide dans ce domaine (« Alain, help ! ») et, avec une immense générosité, il me communiquait son savoir. Il revendait ses propres bronzes à de grands musées. Une Amphitrite en bronze d’après Michel Anguier (1612-1686) fut, par exemple, acquise par le Nationalmuseum de Stockholm, tandis que le J. Paul Getty Museum de Los Angeles s’est offert un splendide Jupiter ; les merveilleux bustes d’Apollon et Amphitrite de Robert Le Lorrain (1666-1743) ont été vendus au Liechtenstein ; en 2016, le Louvre s’offre le charmant Amour de Jacques Saly (1717-1776) grâce au soutien de la Société des Amis du Louvre et au succès de l’opération « Tous Mécènes ! ». Nombre des bronzes, français et italiens, passés entre ses mains, constituent aujourd’hui la collection du grand architecte d’intérieur Peter Marino, qui les exposa en 2010 à la Wallace Collection (voir EOA N° 458, pp. 38-45). Un colloque accompagnait cette présentation. Le grand spécialiste d’origine grecque, Dimitrios Zikos, travaille à en rédiger le catalogue.
Toutes les personnes qui ont eu la chance de faire des stages chez Alain Moatti conservent le souvenir d’un personnage galvanisant, d’une vive culture qu’il aimait partager.
Alain, vous avoir eu comme ami a été un bonheur, un enrichissement. Vous êtes gravé dans mon cœur.
Françoise de La Moureyre