
Né à Angers en 1911, Hervé Bazin évoque sa région natale dans plusieurs de ses romans, malgré les souvenirs douloureux qui marquent son enfance passée au château du Patys, propriété familiale située à Marans. Vipère au poing, paru en 1948 chez Grasset, en est emblématique.
« Je me souviens, je me souviendrai toute ma vie, Folcoche… Les platanes, pourquoi portent-ils ces curieuses inscriptions, ces VF quasi rituels, que l’on pourra retrouver sur tous les arbres du parc, chênes, tulipiers, frênes, tous, sauf un taxaudier que j’aime ? VF… VF… VF… C’est-à-dire,
Vipère au poing
vengeance à Folcoche ! »
Les VF gravés dans les troncs existent-ils toujours au château du Patys ? C’est la question qu’il faudrait poser au bibliophile en promenade dans le Haut-Anjou. Quoi qu’il en soit, la propriété semble avoir gardé intacte l’atmosphère surannée, bourgeoise et terriblement pesante subie par Hervé Bazin dans son enfance. Né Jean Pierre Marie Hervé Bazin (1911-1996), le futur auteur passe son enfance dans ce manoir du XIXe siècle situé à Marans près d’Angers. Battu ainsi que ses frères par une mère hautaine et sèche qui terrorise ses enfants, il garde de cette enfance malheureuse un souvenir plein de haine et de rancœur qui l’inspire pour écrire ce qui deviendra son chef-d’œuvre, Vipère au poing, paru en 1948.
« Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais surtout renaissante, je la brandis encore et je la brandirai toujours, quel que soit le nom qu’il te plaise de lui donner : haine, politique du pire, désespoir ou goût du malheur ! Cette vipère, ta vipère, je la brandis, je la secoue, je m’avance dans la vie avec ce trophée, effarouchant mon public, faisant le vide autour de moi. Merci ma mère ! Je suis celui qui marche, une vipère au poing. »
Vipère au poing
Autobiographique, le roman emprunte beaucoup à la réalité : si la propriété s’appelle en fait le château du Patys, le nom de la « Belle Angerie » dont elle est désignée dans le roman est bien un nom réel, celui d’une dépendance. Or ce toponyme prend un sens fortement révélateur dans le roman : il devient le symbole de la bien-pensance étriquée que le narrateur abhorre.

N’oublions pas que la mère de l’écrivain a résidé dans ce château jusqu’à son décès en 1960. Même si plusieurs propriétaires s’y sont succédé depuis, les lieux ont nécessité une importante rénovation avant de pouvoir les ouvrir à la visite en 2020. Le parti a été de conserver l’atmosphère du début du XXe siècle. Mais écoutons ce qu’Hervé Bazin nous en dit :
« Trente-deux pièces, toutes meublées, sans compter la chapelle, sans compter les deux nobles tourelles, où sont dissimulés les cabinets d’aisances, sans compter cette immense serre, stupidement orientée au nord, de telle sorte que les lauriers-roses y crèvent régulièrement chaque hiver […]. »
Vipère au poing
Malgré cette description peu amène, que le bibliophile curieux n’hésite pas à passer la porte du manoir aujourd’hui, en se rappelant qu’Hervé Bazin lui-même ne put jamais se séparer véritablement de sa région natale, puisqu’il y passa ses dernières années et demanda à ce que ses cendres soient répandues dans la Maine. Labellisé « Maisons des illustres », le château du Patys est admirablement meublé « dans son jus », pour d’autant mieux faire revivre la personnalité de la terrible Folcoche, ou encore la célèbre scène du repas de famille. C’est aussi un foyer de rayonnement de l’œuvre de l’écrivain, au cœur de l’Anjou bleu.

Victoire Houdré