L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Il y a un siècle disparaissait Marcel Proust

Jacques-Émile Blanche (1861-1942), Portrait de Marcel Proust (détail), 1892. Huile sur toile, 73,5 x 60,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Jacques-Émile Blanche (1861-1942), Portrait de Marcel Proust (détail), 1892. Huile sur toile, 73,5 x 60,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Samedi 18 novembre 1922, 16 heures. Proust s’éteint, épuisé, à l’âge de 51 ans dans son appartement de la rue de l’Amiral Hamelin. Afin de commémorer le centenaire de sa disparition, la Bibliothèque nationale de France se penche sur la construction de la Recherche. Tandis que son éditeur historique Gallimard publie un florilège d’ouvrages, Hazan explore de son côté les innombrables allusions aux arts que recèle le plus célèbre roman de la littérature française.

À la Bnf, Marcel Proust à l’œuvre

« Épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirais mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe. » La démarche créatrice de Marcel Proust (1871-1922) est au cœur même de l’exposition que la Bibliothèque nationale de France lui consacre pour clore en beauté les célébrations du centenaire de sa mort. L’année 2022 a vu se succéder de nombreux événements et expositions en son honneur, comme « Marcel Proust, un roman parisien » au musée Carnavalet (cf. EOA n° 586, p. 8) et « Marcel Proust. Du côté de la mère » au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (cf. EOA n° 590, p. 10). Ce nouvel hommage rendu à l’écrivain prend la forme d’une exploration d’À la recherche du temps perdu. Il met en scène toutes les phases de la composition de ce chef-d’œuvre littéraire à travers plus de 350 documents. L’institution possède en effet l’ensemble des archives restées en la possession de la famille de Proust et donc la quasi-totalité de ses manuscrits. L’exposition présente des feuilles spectaculaires, enrichies des fameuses « paperoles », ces ajouts rédigés sur des papiers collés qui peuvent mesurer jusqu’à deux mètres de long ; mais aussi des tableaux d’Hubert Robert, Turner, Monet, Renoir, Vuillard, et même Kupka, qui entrent en résonance avec les personnages ou les thèmes proustiens, ou encore des objets cités par l’écrivain et emblématiques de son rapport à l’imaginaire, à la mémoire et au temps : un kinétoscope, une lanterne magique, un kaléidoscope et même les célèbres robes de Fortuny.

Paperoles du fonds Proust. Paris, BnF, département des Manuscrits. Photo service de presse. © BnF
Paperoles du fonds Proust. Paris, BnF, département des Manuscrits. Photo service de presse. © BnF

Mathilde Dillmann


« Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre »
Jusqu’au 22 janvier 2023 à la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand
Quai François Mauriac, 75013 Paris
Tél. 01 53 79 59 59
www.bnf.fr

Marcel Proust et Gallimard

Éditeur historique de Marcel Proust depuis À l’ombre des jeunes filles en fleurs (tome 2 d’À la recherche du temps perdu), la maison Gallimard célèbre avec faste les 100 ans de la mort de l’écrivain à travers plusieurs ouvrages. Elle coédite ainsi avec la Bibliothèque nationale de France le catalogue de l’exposition « Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre » présentée jusqu’au 22 janvier 2023 quai François Mauriac. Prenant la forme d’un abécédaire, ce livre publié sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer (arrière-petite-nièce de Marcel Proust) suit la création de l’œuvre du célèbre incipit jusqu’à la phrase finale, au fil d’une iconographie très riche.

Sous la direction d’Antoine Compagnon, Guillaume Fau et Nathalie Mauriac Dyer
Catalogue de l’exposition « Marcel Proust, la fabrique de l’œuvre »
coédition Gallimard / BnF éditions, 2022
240 p., 39 €.

La collection de Pedro Corrêa do Lago, ancien président de la Bibliothèque nationale du Brésil et passionné par Marcel Proust, est à l’honneur dans un livre qui reproduit quelque 300 photos et lettres faisant revivre l’univers de l’écrivain. Ces documents que l’on découvre souvent pour la première fois mettent en lumière les modèles qui ont inspiré les personnages les plus emblématiques du roman. Prêteur de l’exposition de la BnF, Pedro Corrêa do Lago a ainsi rassemblé l’ensemble le plus important au monde de lettres et de manuscrits autographes ; celui-ci a été exposé à la Morgan Library (New York) en 2018.

Pedro Corrêa do Lago
Marcel Proust, une vie de lettres et d’images
Gallimard, 2022
288 p., 35 €.

Enfin, la Bibliothèque de la Pléiade édite, en tirage limité, le texte intégral de la Recherche sans notes ni aucun appareil critique dans un coffret en deux volumes de 1 500 pages chacun, sous la direction de Jean-Yves Tadié.

Marcel Proust
À la recherche du temps perdu
Deux volumes, relié pleine peau sous coffret illustré
Gallimard, 2022, Bibliothèque de la Pléiade
1 488 p. et 1 520 p., 125 €.

Nathalie d’Alincourt

Proust et les arts chez Hazan

Essayiste, critique littéraire et romancier, Thierry Laget est également un fin connaisseur de l’œuvre de Marcel Proust. Il a participé à l’édition d’À la recherche du temps perdu dans la Pléiade sous la direction de Jean-Yves Tadié et a publié plusieurs ouvrages sur l’écrivain. Dans ce très beau volume sous coffret, illustré de nombreuses reproductions de tableaux, il se propose de mettre en lumière les références à la peinture (et aux Beaux-Arts en général) dans À la recherche du temps perdu. De manière heureuse, il ne s’agit pas de faire œuvre d’identification de tel ou tel personnage de Proust avec des artistes célèbres, comme le peintre Elstir par exemple, souvent rapproché de la figure de Monet ou de celle d’Helleu. Il s’agit au contraire de montrer que les notations artistiques infusent tout le texte de Proust au point de créer une trame sous-jacente à la narration, que l’on peut décrypter et lire à part. Pour autant, cela n’empêche pas Thierry Laget d’avoir fait un travail très conséquent de recension des références de la Recherche à des artistes et à des œuvres, références qu’il croise avec certains événements avérés de la vie de Proust : visite de musées et d’ateliers, lecture d’ouvrages d’histoire de l’art, rencontre avec des peintres lors de ses pérégrinations et pendant ses villégiatures en Normandie. La fréquentation du salon de Madeleine Lemaire a été également déterminante pour Proust et lui a permis de connaître la société artistique du Tout-Paris. Le résultat final est très riche. Si l’on savait l’intérêt de Proust pour Ruskin, Vermeer ou les impressionnistes, on découvre ses allusions sibyllines à Meissonier ou à Jean Béraud. Le rôle des paysagistes anglais et français du XIXe siècle dans son inspiration littéraire est un autre versant très stimulant du livre, de même que le chapitre qui traite de son rapport à l’art de la Renaissance. On peut ajouter des éléments inédits : une étude des liens du romancier avec certains marchands comme René Gimpel ou bien des collectionneurs, comme Rodolphe Kann ; ou encore la découverte du peintre américain Thomas Alexander Harrison. Le XVIIIe siècle en général et Watteau en particulier tiennent aussi une place importante dans ce texte : la nostalgie pour l’art de l’Ancien Régime se double d’analyses de la fête galante, source des sentiments de ses personnages. Quant au manuscrit de Thierry Laget, il est lui-même littéraire, dans le sens où l’écriture est à la fois fluide et très prenante. On imagine mal cadeau plus « proustien », qui plaira autant aux passionnés de l’auteur qu’aux amateurs d’art.

Thierry Laget
D’étoiles en étoiles. Proust et les arts
Hazan, 2022
280 p., 120 €.

Christine Gouzi

Partager :

Share on facebook
Facebook
Share on twitter
Twitter
Share on email
Email