
Identifiables au premier coup d’œil, ses affiches lacérées constituèrent le matériau presque unique de son travail. Jacques Villeglé vient de s’éteindre à l’âge de 96 ans. Comme un savoureux clin d’œil du destin, son nom annonçait déjà ce qui fut sa vie durant son terrain de chasse favori : la ville. Arpentant inlassablement pendant des décennies notre jungle urbaine quotidienne saturée d’images, il n’eut de cesse d’en révéler par ses choix la beauté enfouie, immortalisant en les marouflant sur toile de véritables lambeaux de notre mémoire collective, bribes d’un XXe siècle désormais éteint. En 2008-2009, le musée national d’Art moderne, qui conserve dans ses collections douze de ses œuvres, lui avait consacré une importante rétrospective retraçant en une centaine de pièces près de 60 ans de création.

Un infatigable flâneur
Né à Quimper en 1926 et formé à la peinture et au dessin aux Beaux-Arts de Rennes, c’est à sur les plages de Saint-Malo que Jacques Villeglé initie à l’été 1947 sa collecte d’objets trouvés, mêlant alors fils de fer et fragments du mur de l’Atlantique. Lorsqu’il gagne la capitale deux ans plus tard, c’est sur les seules affiches lacérées qu’il jettera son dévolu, séduit par les contrastes de couleurs ainsi créés et les effets de matières générés par la juxtaposition des strates de papier. « Le prélèvement est le parallèle du cadrage du photographe », résumait cet infatigable flâneur qui se considérait modestement comme un collecteur de fragments d’affiches, n’intervenant que très rarement sur ses trouvailles avant d’y apposer sa signature. Partageant avec Pierre Restany cette quête d’un « recyclage poétique du réel », il fait partie en octobre 1960 des signataires de la déclaration commune fondatrice du Nouveau Réalisme. Il se rapprochera plus tard du mouvement lettriste, comme en témoigne en 1969 l’apparition dans son œuvre de son alphabet socio-politique.
Olivier Paze-Mazzi