La première rétrospective consacrée à Jean-Baptiste Mallet qui réunit, au musée Jean-Honoré Fragonard, à Grasse, quatre-vingts de ses œuvres, est un hommage rendu au peintre mais aussi une promesse…
Oublié et surtout mal compris, Mallet est demeuré pendant près d’un siècle et demi intimement associé dans l’imaginaire collectif au règne de Louis XVI. Les Goncourt qui possédaient quelques-unes de ses gouaches voyaient d’ailleurs en lui le dernier représentant de cet art « tout XVIIIe », et qui ne survécut pas à la monarchie. Un paradoxe ! Grâce à nos travaux aux archives départementales des Alpes-Maritimes, dans les archives de l’École des beaux-arts et aux Archives nationales, nous montrons que, sous Louis XVI, Jean-Baptiste Mallet, élève de Dandré-Bardon et de Simon Julien chez lequel il vivait en compagnie de son frère François et de l’Arlésien Jacques Réattu, se consacra principalement à sa formation de peintre d’histoire en suivant les leçons de l’école d’après le modèle à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Comme son ami Prud’hon, il prit la poudre d’escampette après avoir décroché en 1783 une deuxième médaille de quartier pour une académie inédite présentée à Grasse. « Le voyage d’Italie si favorable aux progrès de la plupart de ses devanciers, étant devenu pour lui un désir insurmontable, expliqua un de ses proches juste après sa disparition en 1835, il passa quelque temps à Rome, où son goût déjà noble et gracieux s’épura encore à l’aspect des chefs-d’œuvre qu’il fut à même d’étudier. » Avançant avec prudence, Mallet ne devint véritablement artiste qu’après 1789 lorsqu’il fut à même de sonder les aspirations, les inquiétudes et les désirs d’une société choisie pour laquelle il peignit à la gouache nombre d’images qui fixaient le monde qu’ils venaient de perdre – les fameux sujets considérés jusqu’à présent comme des œuvres des années 1780 mais réalisés en réalité en pleine Terreur – ou celui de l’exil auquel ils tentaient d’échapper en demeurant encore un peu à Paris, malgré les bouleversements et les risques encourus. Plusieurs de ses clients périrent d’ailleurs sur l’échafaud après avoir continué à dépenser sans compter en œuvres d’art. Avec audace, il se tailla la réputation d’un intrépide qui semblait sourd à toutes les injonctions invitant les artistes à n’utiliser leurs pinceaux que pour des causes utiles à la Nation. Il joua à quelques reprises le jeu mais les préoccupations des « invisibles » de la sphère publique – les prêtres réfractaires dont son cousin à Grasse faisait partie, les émigrés ou les femmes étaient des sujets bien plus stimulants. L’exposition de Grasse montre combien cet enfant du pays, élevé par une mère seule tandis que son père disparut du jour au lendemain et ne donna plus jamais signe de vie, n’eut de cesse de choyer la femme. Qu’elle fût une amoureuse passionnée ou une mère dévouée, celle-ci devint sous son pinceau tantôt l’égale des statues antiques qu’il avait découvertes en Italie, tantôt une réincarnation de la Vierge Marie.
Caméléon et impossible à discerner
Ce faux naïf, à l’écoute jusque sous la monarchie de Juillet des moindres soubresauts de l’actualité sociale, passa maître dans l’art de la transposition pour mieux défendre son sujet. Avec la chape de plomb qui s’abattit sur la Française à partir du début des années 1790, il était bien conscient des risques à « situer » ses sujets sur les prémices de l’amour, les expectatives de l’amoureuse, les appréhensions de la fiancée la veille de ses noces dans le Paris de son temps. Dans des intérieurs inspirés du Siècle d’or hollandais, des palais antiques en ruines, des chapelles mi-romanes mi-gothiques transformées en espaces de vie intimiste ou encore des édifices dont les terrasses surmontées de treilles devaient beaucoup aux images retrouvées de Pompéi, Mallet inventa un univers bien à lui mais qui lui avait souvent échappé depuis la fin du XIXe siècle. Ainsi, en rendant hommage aux paysages de Fragonard et aux figures de Prud’hon, il perdit longtemps la paternité de cette éblouissante Toilette de Vénus, considérée jusqu’à récemment comme une toile de Constance Mayer. Nombre de ses œuvres sont demeurées cachées sous les noms de Prud’hon et de Mayer, même lorsqu’elles avaient été gravées.
De nouvelles découvertes à venir ?
Des pans entiers de son corpus peint manquent à l’appel, peut-être parce que dans l’esprit de beaucoup, il reste plus un dessinateur à la gouache qu’un peintre – encore une phrase des Goncourt qui cause bien des torts à un artiste du XVIIIe siècle ! Mallet fut le peintre de genre le plus gravé de son temps et il est sans doute aujourd’hui celui dont le plus grand nombre de toiles restent à découvrir. Parmi la centaine qui fut gravée, nous avons certes reconstitué son œuvre la plus spectaculaire, autour de la Vénus de Médicis, mais malgré nos années de travail sur les catalogues de ventes anciens et dans les photothèques, tant publiques que privées, et nos innombrables prises de contacts avec les experts, nous ne connaissons par exemple que deux des huit tableaux de son cycle sur l’Histoire de l’amour : La Fidélité le ramène et La Pudeur les couvre de son voile, achetés récemment par le musée Jean-Honoré Fragonard et le musée Fabre. Nous avons également perdu la trace, depuis les années 1860, de quatre des six toiles de la série gravée par Prud’hon fils pour l’éditeur Basset. Le Lit d’amour, Le Bain d’amour, La Toilette d’amour et Le Repas d’amour sont certainement tout près de nous. Nous exposons L’Après-Midi à la campagne, une scène de famille bucolique où la mère accompagnée d’un paon apparaît en Junon des temps modernes, mais aucune des six compositions dans le même esprit, toutes gravées, n’est connue. Le plus étonnant sans doute est la disparition de ses scènes peintes destinées à illustrer des ouvrages littéraires ou des chansonnettes en vogue, Atala, Le Beau Dunois, Le Jeune Troubadour… Mallet fit preuve d’un tel éclectisme que cela lui fut préjudiciable pour la postérité. Une rétrospective crée une émulation et un cercle vertueux. Si tout se passe bien, dans les semaines et les mois à venir de nombreuses œuvres referont surface. Des visiteurs devraient laisser des petits mots invitant à les contacter et des courriers arriveront en nombre au musée au fur et à mesure que le catalogue sera diffusé. Les œuvres ne seront pas toutes de la main du peintre certes mais il y a de fortes probabilités que Les Caresses des Zéphirs et de l’Amour, Comment l’esprit vient aux garçons, Qui trop embrasse mal étreint, fassent partie du lot. Nous l’espérons beaucoup.
Carole Blumenfeld, commissaire de l’exposition
« Jean-Baptiste Mallet. La route du bonheur »
Jusqu’au 2 octobre 2022 au musée Jean-Honoré Fragonard
23 boulevard Fragonard, 06130 Grasse
Tél. 04 97 05 50 49
www.museesdegrasse.com
Catalogue, Gourcuff Gradenigo, 192 p., 29 €.