Consciente de sa beauté, Jeanne Du Barry (1743-1793) fit de l’art le vecteur de son image…
Il est difficile de se figurer l’ampleur du fantasme qu’elle devait constituer à l’époque, bien au-delà sans doute de ce que fut pour nous Brigitte Bardot. « La faute est aux dieux qui la firent si belle », soupirait Mirabeau à son évocation. Dès l’exposition, au Salon de 1769, de ses deux premiers portraits par Drouais, elle suscite le scandale : l’un la représente en Flore, tandis que le second, la figurant en costume de chasse, joue sur son androgynie, suscitant une abondante littérature licencieuse clandestine. C’est dans ce contexte qu’il faut imaginer l’apparition officielle à la Cour de cette fille de lingère au père mystérieux. En butte à la plus violente campagne de presse qui n’ait jamais existé, Jeanne passera toute sa vie à contrôler et à promouvoir son image.
Comment définiriez-vous son caractère ?
Elle est à la fois secrète et énigmatique. C’est une femme qui n’apparaît que par éclipses, entre deux silences. On la devine cependant très autoritaire, impatiente et exigeante. Cela se traduit notamment dans ses rapports avec Pajou, son sculpteur favori et parfois son souffre-douleur. Elle lui fait refaire à trois reprises son buste en marbre (musée du Louvre), très soucieuse de la manière dont sa beauté est immortalisée. Le renvoi du décor livré par Fragonard à Louveciennes en 1772 (Frick Collection) est aussi caractéristique de son tempérament. Collectionneuse compulsive, incapable de se restreindre, mais comptant parfois au centime près, elle a l’obsession de la possession ; un trait de caractère qui lui vient sans doute de son enfance.
Quelles passions lui connaît-on ?
La musique est assurément l’une des grandes passions de sa vie : elle évolue au cœur de la scène musicale et théâtrale parisienne bien avant d’arriver à Versailles. Danseurs et musiciens : Jeanne connaît absolument tout le monde. Elle a en outre le privilège de pouvoir disposer de sa propre musique au sein de sa maison. Cette dernière est d’ailleurs montée sur un pied princier : quatre-vingts domestiques sont à son service au temps de sa splendeur ! Elle a la main sur le répertoire de la Cour et celui de Paris, via trois grandes scènes : l’Opéra royal, le théâtre français et le théâtre italien. Tout ce qui doit se produire est préalablement lu chez elle. Par ailleurs, contrairement à une légende tenace, Madame Du Barry lit beaucoup. Bibliophile accomplie, elle réunit dans son appartement versaillais 1090 volumes, somptueusement reliés en maroquin rouge et ornés à ses armes, qui sont tout à fait fantaisistes ! Ce n’est rien moins que Laurent de La Beaumelle, protestant et ennemi juré de Voltaire, qui l’aide à composer cet ensemble et en rédige le catalogue : une sorte de bibliothèque idéale de la fin du Siècle des Lumières. 380 de ces ouvrages sont aujourd’hui conservés à la bibliothèque municipale de Versailles.
Vous avancez dans votre ouvrage que le style Louis XVI aurait pu s’appeler « style Du Barry ». Pourquoi ?
Louis XVI s’intéressait assez peu aux arts décoratifs, contrairement à Marie-Antoinette. Cette mutation des formes du style rocaille, contemporain de Madame de Pompadour que les Goncourt avaient sacrée « reine du Rococo », vers ce que l’on appellera le « goût grec », puis le néoclassicisme, est bien sûr antérieure au règne du petit-fils de Louis XV, et même à son mariage avec la Dauphine en 1770. On ne peut attribuer à Jeanne Du Barry l’invention du goût grec qui fleurira dans tous les domaines, des arts décoratifs à l’architecture, mais elle y a fortement contribué par son rôle de mécène. À la différence des autres maîtresses royales, comme la duchesse de Châteauroux ou la marquise de Pompadour, elle ne se fournit pas au Garde-Meuble de la Couronne. Elle affirme ses goûts propres en passant directement commande aux plus grands marchands merciers, à l’image de Poirier et Daguerre, ou directement auprès des ébénistes, des bronziers et des orfèvres. Sous son empire, l’extrême raffinement se conjugue avec l’extrême grâce.
Entretien à retrouver en intégralité dans :
L’Objet d’Art n° 610
1874, la naissance de l’impressionnisme
98 p., 11 €.
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À lire :
Emmanuel de Waresquiel
Jeanne Du Barry. Une ambition au féminin
Tallandier
592 p., 27,90 €.