L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

La collection de céramiques du marchand Jean Nicolier enflamme les enchères

Deruta, vers 1510. Majolique (détail), D. 48 cm. Porte l’inscription DI FIN LA FRA RE REL NI VD I CHA. Estimé : 10 000/15 000 €. Adjugé : 152 400 € (frais inclus)
Deruta, vers 1510. Majolique (détail), D. 48 cm. Porte l’inscription DI FIN LA FRA RE REL NI VD I CHA. Estimé : 10 000/15 000 €. Adjugé : 152 400 € (frais inclus)

Installé quai Voltaire, le marchand Jean Nicolier, expert dans le domaine de la céramique, était également un grand érudit et un amateur. Il avait ainsi réuni une belle collection, reflet de son goût sûr et éclectique. Les pièces vendues par la maison Fraysse & Associés le 6 juillet dernier avaient été conservées par sa famille, après une première vente organisée par la maison Tajan le 28 mars 1995 lorsque l’enseigne avait définitivement fermé. Retour en images sur les plus beaux résultats de la vacation.

Paire de verseuses zoomorphes

L’accession de la dynastie Qing (1644-1911) au pouvoir offre à la Chine une nouvelle ère de prospérité. La céramique bénéficie amplement du mécénat impérial et s’exporte également massivement en Europe. Datée du règne de Kangxi (1662-1722), cette paire de verseuses en forme de daims est réalisée en biscuit émaillé. Au jaune (moucheté de blanc pour l’un) du pelage répondent le brun des sabots et des cornes, ainsi que le vert du branchage fleuri formant l’anse et des volutes végétales faisant office de bec verseur. En Chine, le daim est un emblème de longévité et de grâce. Homophone d’« émolument », il symbolise par conséquent le bonheur et la prospérité et traduit l’espérance d’honneurs et d’avancement officiel. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Occidentaux étaient particulièrement friands de ce type de pièces.

Chine, paire de verseuses, début du XVIIIe siècle. Biscuit émaillé, H. 22,5 cm. Estimé : 3 000/5 000 €. Adjugé : 86 360 € (frais inclus)
Chine, paire de verseuses, début du XVIIIe siècle. Biscuit émaillé, H. 22,5 cm. Estimé : 3 000/5 000 €. Adjugé : 86 360 € (frais inclus)

Un sucrier du service du duc de Richelieu ?

Ce superbe sucrier à fond rose – une couleur particulièrement difficile à obtenir et coûteuse à produire –, a remporté un beau succès lors de la vente. De ravissants bouquets de fleurs se détachent dans des cartouches laissés en réserve, délimités par de délicats motifs dorés de palmes feuillagées, de branchages et de croisillons. Le nom du modèle, « Monsieur le Premier », fait référence au marquis Henri-Camille de Beringhen, premier écuyer du roi, ainsi appelé à la Cour. Marqué des deux L entrelacés et de la lettre-date E (1758), ce sucrier faisait probablement partie du service livré par le marchand mercier Lazare Duvaux au maréchal-duc de Richelieu en 1758-1759. Il comptait en effet deux sucriers de cette forme à fond rose caractéristique, chacun valant 240 livres.

Sèvres, vers 1758. Porcelaine, 11,5 x 23 cm. Estimé : 6 000/8 000 €. Adjugé : 50 800 € (frais inclus)
Sèvres, vers 1758. Porcelaine, 11,5 x 23 cm. Estimé : 6 000/8 000 €. Adjugé : 50 800 € (frais inclus)

Le triomphe d’une rare veilleuse en porcelaine tendre

Les enchères se sont envolées pour ce très rare objet en porcelaine, dont on ne connaît que trois exemplaires. Composé de trois parties – un piédestal de forme balustre, une partie médiane creuse et un couvercle ajouré –, il dispose d’un appareillage mobile interne qui a suscité plusieurs hypothèses concernant sa fonction, encore incertaine à ce jour. On a ainsi voulu y voir une veilleuse, un brûle- parfum, un ustensile pour réchauffer bouillons ou boissons, voire un objet pour cuire un œuf. Cette dernière idée, que semble accréditer la poule couvant ses poussins au sommet du couvercle, a même été testée et validée par Jean Nicolier. Le très beau fond vert est rehaussé de volutes feuillagées bleu lapis, cernées d’or. Des cartouches ceints d’une bordure à fond bleu lapis caillouté renferment de ravissants paysages et d’adorables scènes champêtres enfantines.

Manufacture de Sèvres, 1760. Porcelaine tendre, H. 23,5 cm. Marque LL et lettre date G (1760), marque du peintre Jean-Louis Morin au revers. Estimé : 80 000/120 000 €. Adjugé : 1 016 000 € (frais inclus)
Manufacture de Sèvres, 1760. Porcelaine tendre, H. 23,5 cm. Marque LL et lettre date G (1760), marque du peintre Jean-Louis Morin au revers. Estimé : 80 000/120 000 €. Adjugé : 1 016 000 € (frais inclus)

Une assiette du service particulier de l’Empereur

Le château de Fontainebleau a acquis de gré à gré (pour un montant non dévoilé) l’une des deux assiettes du service particulier de l’Empereur proposées dans cette vente. Commandé par Napoléon à la manufacture de Sèvres en 1807, ce service destiné à son usage personnel, dit aussi « des Quartiers Généraux », comprenait 72 assiettes plates ornées de sujets variés, parmi lesquels 28 furent fournis par l’empereur lui-même. Tous devaient réveiller chez Napoléon « des souvenirs agréables ». Sur cette assiette figure une vue du domaine de Rambouillet représentant le lac avec ses bateaux et le château à l’arrière-plan. Le marli est rehaussé d’un décor rayonnant de glaives à l’antique, d’une guirlande de laurier et d’étoiles en or bruni sur un fond vert de chrome récemment mis au point par la manufacture.

Manufacture de Sèvres, 1807-1808. Porcelaine dure, D. 24,5 cm. Marque LL d’époque Restauration et n° 3 au revers. Estimé : 80 000/120 000 €. Adjugé : 254 000 € (frais inclus)
Manufacture de Sèvres, 1807-1808. Porcelaine dure, D. 24,5 cm. Marque LL d’époque Restauration et n° 3 au revers. Estimé : 80 000/120 000 €. Adjugé : 254 000 € (frais inclus)

Une gourde de pèlerin en faïence de Nevers

À la fin du XVIe siècle, les frères Conrade, des céramistes venus d’Albissola en Italie à l’invitation du duc de Nevers Louis de Gonzague, introduisent l’art de la faïence stannifère à Nevers. Au XVIIe siècle, les ateliers se multiplient et la ville devient le premier centre faïencier du royaume. Si les premières pièces produites s’inspirent nettement du style italien, on observe par la suite l’influence de l’iconographie flamande, persane et chinoise, ainsi que de la littérature française. Cette gourde de pèlerin à piédouche circulaire et col droit est ornée de deux scènes de chasse au cervidé d’après Antonio Tempesta. La panse aplatie est flanquée de têtes de béliers, de chutes de feuillages et de fruits en relief. Les couleurs de grand feu, qui nécessitent une parfaite maîtrise du trait dans la mesure où le repentir n’est pas permis, sont caractéristiques de la faïence nivernaise.

Nevers, gourde de pèlerin, vers 1680. Faïence, 38,5 x 26 cm. Estimé : 800/1 200 €. Adjugé : 53 340 € (frais inclus)

Un plat d’apparat de Deruta

La majolique témoigne de l’intense activité artistique de la Renaissance italienne. Si le terme fait d’abord référence aux céramiques lustrées qui arrivent de l’île de Majorque, il désigne bientôt celles produites en Italie, avant de devenir synonyme de « faïence ». Au XVIe siècle, de nombreux centres potiers se développent à travers tout le pays. Deruta est alors célèbre pour ses grands plats d’apparat à large aile, ornés en leur centre d’un portrait masculin ou féminin (les fameuses Belle Donne) en buste, accompagné d’un phylactère portant une inscription. On retrouve ici cette composition : un portrait d’homme barbu de profil, coiffé d’un couvre-chef rehaussé de plumes. L’aile est quant à elle décorée d’une frise de plumes stylisées. Bien que réduite aux quelques couleurs de grand feu, la palette utilisée n’en est pas moins éclatante.

Deruta, vers 1510. Majolique, D. 48 cm. Porte l’inscription DI FIN LA FRA RE REL NI VD I CHA. Estimé : 10 000/15 000 €. Adjugé : 152 400 € (frais inclus)
Deruta, vers 1510. Majolique, D. 48 cm. Porte l’inscription DI FIN LA FRA RE REL NI VD I CHA. Estimé : 10 000/15 000 €. Adjugé : 152 400 € (frais inclus)

Camille Jolin


www.fraysse.net

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