Plus d’une centaine d’œuvres issues des collections de la Fondation suisse William Cuendet & Atelier de Saint-Prex, de Dürer à la création contemporaine, ont traversé les Alpes pour gagner le temps d’une exposition les cimaises du musée Marmottan Monet.
Védutisme italien, caprices de Goya, expériences nabis et impressionnistes… Du burin à l’héliogravure, didactique sans être verbeux, l’accrochage révèle l’ampleur et la complexité de l’art gravé. Taille douce creusant les sillons à encrer, taille d’épargne révélant les reliefs, lithographie, cliché-verre… De multiples techniques sont ici présentées et expliquées aux amateurs, éclairées par un dialogue fructueux entre œuvres anciennes et contemporaines.
Dürer et Rembrandt, maîtres graveurs
Si l’exposition ne se veut pas chronologique, elle s’ouvre néanmoins sur des chefs-d’œuvre de Dürer (1471-1526) et Rembrandt (1606-1669), comme La Mélancolie ou La Pièce aux cent florins, qui fascinent par la diversité des procédés utilisés et la maîtrise technique dont ils font preuve : burin ou xylogravures (gravures sur bois) révolutionnaires d’une énergique clarté chez Dürer, à l’instar, plus tard, de l’art de Vallotton (1865-1925) ; assemblage de techniques et expérimentation du côté de Rembrandt qui, des siècles plus tard, fascinera Degas (1834-1917), autre grand alchimiste de l’estampe actuellement célébré à la Bibliothèque nationale de France.
Le burin classique
Aux effets multiples de Rembrandt semble s’opposer la clarté du classicisme français au burin incisif. Il faut ici admirer les myriades de boucles gravées par Robert Nanteuil (1623-1678) dans ses portraits royaux — que l’on croit retrouver dans la lithographie abstraite d’Edmond Quinche (né en 1942) — ou encore la spectaculaire spirale tracée par Claude Mellan (1598-1688), que la variation de l’épaisseur de l’incision (taille claire) transforme en « vera icona ».
Eau-forte, vernis mou et cliché-verre
Graver une vue, un paysage, un caprice, des prisons imaginaires… Canaletto (1697-1768) et Piranèse (1720-1778) utilisent l’eau-forte, technique permettant de créer des motifs en faisant mordre l’acide là où la pointe a gratté le vernis protecteur préalablement appliqué sur la plaque. Utilisée depuis le XVIe siècle, cette technique avait déjà séduit en France le peintre Le Lorrain (1600-1682), qui forgea sa gloire avec ses paysages classiques. Nos contemporains manient également l’acide, à l’image de Gérard de Palézieux (1919-2012) qui produit Arbres et treille à San Vincenzo (1979) à l’aide d’un vernis mou, comme Pissarro (1830-1903) avant lui. Corot (1796-1875) innove avec le cliché-verre, livrant des paysages gravés sur le vif, témoins d’une liberté de mouvement accrue et de nouvelles possibilités formelles.
De la gravure à la photographie
Manière noire au XVIIe, aquatinte au XVIIIe, cliché-verre et lithographie au XIXe siècle… La multiplication des techniques permet aux artistes d’élargir leur pratique de la gravure. Dans le sillage de Goya, Manet s’essaie à l’eau-forte pour décliner son saisissant Homme mort, tout en explorant en parallèle l’art de la lithographie. Ce procédé a déjà séduit Géricault, puis Vuillard, Fantin-Latour ou encore Redon, qui en tirent des œuvres variées : scènes privées, portraits, rêves… Quant à l’héliogravure, véritable gravure par la lumière particulièrement prisée pour sa précision et ses grandes qualités esthétiques, elle révèle la porosité entre gravure et photographie.
Gaspard Douin Cavard
« Graver la lumière. L’estampe en 100 chefs-d’œuvre, de Dürer à Picasso »
Jusqu’au 17 septembre 2023 au musée Marmottan Monet
2 rue Louis Boilly, 75016 Paris
Tél. 01 44 96 50 33
www.marmottan.fr
Catalogue, 5 Continents Éditions, 208 p., 35 €.