L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

La Piscine : ultime étape de l’incontournable rétrospective Maillol

Aristide Maillol (1861-1944), Profil de jeune fille (portrait de Mlle Faraill ?), vers 1890. Huile sur toile, 73,5 x 103 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée d’art Hyacinthe-Rigaud, Perpignan. Photo service de presse. © Musée d’Orsay – P. Schmidt
Aristide Maillol (1861-1944), Profil de jeune fille (portrait de Mlle Faraill ?), vers 1890. Huile sur toile, 73,5 x 103 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt au musée d’art Hyacinthe-Rigaud, Perpignan. Photo service de presse. © Musée d’Orsay – P. Schmidt

L’art d’Aristide Maillol (1861-1944) ne se réduit pas à ses célèbres sculptures du jardin des Tuileries. Après avoir investi l’an passé le musée d’Orsay et le Kunsthaus Zürich, la grande rétrospective organisée par Antoinette Le Normand-Romain, directrice générale honoraire de l’Institut national d’histoire de l’art, et Ophélie Ferlier-Bouat, directrice du musée Bourdelle, se déploie une dernière fois à La Piscine de Roubaix, révélant la richesse et la remarquable diversité de son œuvre : ses débuts dans la peinture, ses créations dans le domaine des arts décoratifs et son passage progressif vers la sculpture, devenue, après la Première Guerre mondiale, son médium de prédilection.

Propos recueillis par Camille Jolin.

Pourquoi avoir décidé de consacrer une exposition à Aristide Maillol ?

Ophélie Ferlier-Bouat : Nous voulions dédier une exposition à un sculpteur majeur de la période couverte par le musée d’Orsay, d’autant que la dernière grande rétrospective qui lui a été consacrée par un musée national remonte à 1961.

Antoinette Le Normand-Romain : Le moment était venu de faire ce travail, car la Fondation Dina Vierny a pu acheter en 2013 un très important ensemble de carnets de dessins qui donnent accès à tout le procédé de création chez Maillol. C’est ce qui nous permet aujourd’hui d’avoir sur lui un regard beaucoup plus informé, plus approfondi. Cette exposition est l’occasion de mettre en lumière un artiste que l’on réduit souvent à ses sculptures présentées dans le jardin du Carrousel.

Aristide Maillol (1861-1944), L’Action enchaînée, monument à Auguste Blanqui, 1907 (modèle), avant 1937 (fonte). Bronze fondu par Alexis Rudier, 215 x 97 x 90 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt dans les jardins du Carrousel. Photo service de presse. © RMN (musée d’Orsay) – H. Lewandowski / T. Le Mage
Aristide Maillol (1861-1944), L’Action enchaînée, monument à Auguste Blanqui, 1907 (modèle), avant 1937 (fonte). Bronze fondu par Alexis Rudier, 215 x 97 x 90 cm. Paris, musée d’Orsay, en dépôt dans les jardins du Carrousel. Photo service de presse. © RMN (musée d’Orsay) – H. Lewandowski / T. Le Mage

Comment avez-vous choisi les œuvres présentées ?

O.F.-B. : Nous nous sommes concentrées sur celles dont nous connaissions l’historique et sur les fontes les plus anciennes possible. En tant que spécialistes de sculpture, nous sommes très attentives à cela. Nous avons parfois préféré, quand il n’était pas possible de montrer une fonte ancienne ou réalisée du vivant de Maillol, présenter des plâtres de fonderie. Nous avons été très sélectives, car c’est cela qui permet d’apprécier pleinement l’artiste.

Parlez-moi du sous-titre de l’exposition, « la quête d’harmonie ».

O.F.-B. : Harmonie est le titre que Maillol a donné en cours de réalisation à sa dernière sculpture. Il la baptiste ainsi sur les conseils du critique John Rewald, pour qui l’art de Maillol «respire le calme et l’harmonie». Il est en effet toujours à la recherche d’une forme qui s’impose par ses qualités plastiques et pense que l’art doit apaiser, rendre heureux.

Maillol est surtout connu pour ses sculptures. Pourtant, il a d’abord été peintre et s’est intéressé aux arts décoratifs.

A.L.N.-R. : Il était pour nous très important de montrer cet aspect de Maillol, souvent mal connu, notamment parce que ces œuvres, en dehors de la Femme à l’ombrelle conservée au musée d’Orsay, sont peu présentes dans les collections publiques françaises. Nous évoquons le début de sa carrière, avec en particulier La Couronne de fleurs, un tableau très important parti au Japon et que l’on n’a pas revu à Paris depuis presque trente ans. On y sent déjà poindre le futur Maillol, le sculpteur tel qu’on le connaît, à travers une volonté de simplification : des couleurs plates, des formes simples et très équilibrées, des personnages relativement immobiles et une sorte d’abstraction du paysage, qui finit par se réduire à de grandes feuilles de figuier très décoratives. Comme nombre de ses contemporains, il s’intéresse ensuite, dans les années 1890, aux objets d’art, céramiques et broderies. Cela le conduit à développer l’aspect décoratif, qui s’affirme dans ses broderies. On y observe en effet un refus total de la troisième dimension, un fond généralement complètement cou- vert d’éléments décoratifs, sur lequel se détachent des figures à la fois animées et relativement immobiles. Maillol se rend toutefois compte qu’il aura du mal à vivre de ce médium, qui demande un temps de réalisation important, et il a par ailleurs un problème de vue qui l’encourage à abandonner cette forme d’expression artistique pour aller vers la sculpture.

Aristide Maillol (1861-1944), Danseuse, 1896. Bas-relief en bois, 22 x 24,5 x 5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
Aristide Maillol (1861-1944), Danseuse, 1896. Bas-relief en bois, 22 x 24,5 x 5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

O.F.-B. : Une autre raison qui pousse sans doute Maillol à se tourner vers la sculpture, c’est la nécessité de sous-traiter la réalisation des tapisseries. Certes, il dicte aux ouvrières ce qu’il faut faire, il surveille leur travail, mais une part lui échappe forcément. Or c’est un travailleur solitaire, qui fait, refait, défait. La sculpture lui offre cette liberté. Je crois qu’il découvre également tout le plaisir qu’il a à modeler. Ses premières statuettes, qui pourtant ne sont pas très ambitieuses, plaisent énormément, notamment à ses amis nabis. Il rencontre ensuite le marchand Ambroise Vollard, qui lui consacre une exposition personnelle en 1902. Il est comme aspiré vers la sculpture, mais n’abandonne jamais totalement la peinture.

A.L.N.-R. : J’ajouterais à tout cela une raison très personnelle, à savoir la vie qu’il partage avec Clotilde. Au début de sa carrière, Maillol est obligé de recourir à des modèles professionnels, qu’il doit payer. Or il n’a pas d’argent et, à Banyuls, les jeunes filles de son entourage sont très prudes. Grâce à l’atelier de broderie, il rencontre Clotilde. Une grande histoire d’amour commence, elle le suit à Paris à l’automne 1895 et il a, à partir de ce moment, à sa disposition un corps féminin épanoui, qu’il peut dessiner à toute heure du jour. Cette découverte d’un corps réel est importante : avant cela, ses personnages sont assez désincarnés, les nus sont complètement plats, il n’y a aucune sensualité. Cette découverte de la sensualité et le plaisir du modelage le poussent vers la sculpture, un art plus matériel, en trois dimensions.

Aristide Maillol (1861-1944), Concert de femmes, dit aussi Concert champêtre ou La Musique, 1895. Broderie à l’aiguille, laine, soie, lin, fils d’argent et quelques fils d’or, 160 x 208 cm. Copenhague, Designmuseum Danmark. Photo service de presse. © Designmuseum Danmark
Aristide Maillol (1861-1944), Concert de femmes, dit aussi Concert champêtre ou La Musique, 1895. Broderie à l’aiguille, laine, soie, lin, fils d’argent et quelques fils d’or, 160 x 208 cm. Copenhague, Designmuseum Danmark. Photo service de presse. © Designmuseum Danmark

Pourriez-vous présenter La Vague, une œuvre décisive dans la carrière de Maillol ?

O.F.-B. : Il en existe de nombreuses versions. Clotilde en est le modèle dès lors que l’on voit le motif de la baigneuse de face, sur la tapisserie de la Fondation Dina Vierny par exemple. Maillol décline ce motif en peinture, en broderie, et enfin dans un relief assez monumental, la première sculpture qu’il présente au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1903 sous le titre de Femme au bain. Désormais, l’arrière-plan devient quasiment inexistant, c’est la densité du corps qui compte. Cette œuvre centrale dans la carrière de Maillol est celle qui le lance dans les salons officiels comme sculpteur et est son premier grand format conservé.

A.L.N.-R. : Ce motif de baigneuse est le point de départ d’une réflexion qui mènera à Méditerranée (1905). Il faut donc à Maillol dix ans, pendant lesquels il a réalisé des essais dont on n’a pas gardé de trace, pour faire aboutir le processus.

Aristide Maillol (1861-1944), Méditerranée, 1905 (modèle en plâtre), 1923-27 (marbre). Marbre, 110,5 x 117,5 x 68,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN (musée d’Orsay) – T. Ollivier
Aristide Maillol (1861-1944), Méditerranée, 1905 (modèle en plâtre), 1923-27 (marbre). Marbre, 110,5 x 117,5 x 68,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse. © RMN (musée d’Orsay) – T. Ollivier

Pourquoi la Méditerranée est-elle une autre œuvre pivot dans la carrière de l’artiste et dans l’exposition ?

O.F.-B. : Le face-à-face des deux Méditerranée constitue le grand moment de l’exposition. La première version en pierre est commandée par le comte Kessler en 1904. Lorsque Maillol en expose le plâtre au Salon d’automne de 1905, il lui donne le titre de Femme. Il pense en effet qu’elle n’a pas besoin de sujet, que l’émotion esthétique se suffit à elle-même. Parallèlement, la simplification des volumes, la synthèse des formes constituent une autre nouveauté, qui est une des voies de la modernité, et précisément celle qu’on reconnaît à Maillol de son vivant. Pour ces deux raisons, l’œuvre est très remarquée par la critique. André Gide écrit à son sujet : «Elle est belle; elle ne signifie rien; c’est une œuvre silencieuse.» Malgré ce succès, l’État français ne lui commande pas de traduction en marbre avant 1923. On va donc pouvoir comparer ces deux œuvres produites à vingt ans d’écart. C’est une rencontre inédite, car la version en pierre du comte Kessler sort de Suisse pour la première fois.

Entretien à retrouver en intégralité dans :
L’Objet d’Art hors-série n° 159
Aristide Maillol. La quête de l’harmonie

64 p., 11 €.
À commander sur : www.lobjet-dart-hors-serie.com


« Aristide Maillol (1861-1944) : la quête de l’harmonie»
Jusqu’au 28 mai 2023 à La Piscine – Musée d’Art et d’Industrie André-Diligent
23 rue de l’Espérance, 59100 Roubaix

Tél. 03 20 69 23 60
wwww.roubaix-lapiscine.com

Catalogue, Gallimard, 352 p., 45 €.

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