L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

La symbolique baroque décryptée à Sceaux

Nicolas Loir (1624-1679), Apollon présentant le portrait de Colbert aux différents genres de peinture, vers 1675. Huile sur toile, 175 x 251 cm. Southport, Atkinson Art Gallery (en dépôt au musée du Domaine départemental de Sceaux). Photo service de presse. © CD92 / Vincent Lefebvre
Nicolas Loir (1624-1679), Apollon présentant le portrait de Colbert aux différents genres de peinture, vers 1675. Huile sur toile, 175 x 251 cm. Southport, Atkinson Art Gallery (en dépôt au musée du Domaine départemental de Sceaux). Photo service de presse. © CD92 / Vincent Lefebvre

Le Domaine départemental de Sceaux poursuit la célébration du centenaire de son entrée dans le giron du Conseil général de la Seine en consacrant une exposition d’une trentaine de tableaux au genre allégorique qui connut son apogée sous les ors du Grand Siècle.

Les 160 convives soigneusement triés sur le volet qui le 20 septembre dernier eurent l’insigne privilège de célébrer à Versailles la visite d’État du roi Charles III auraient sans doute été bien inspirés de visiter en amont l’exposition scéenne. Avant que de déguster les mets exquis servis au sein du fameux service Duplessis aux oiseaux, ils auraient ainsi pu bénéficier des clés leur permettant de décrypter l’extraordinaire dissertation visuelle aux centaines d’allégories s’étalant sur la voute de la galerie des Glaces.

Le triomphe de l’emblématique

Ce chef-d’œuvre de la symbolique baroque doit, comme tant d’autres, beaucoup à la publication et à la réédition au cours du XVIe siècle d’un certain nombre d’ouvrages érudits, à l’image du Hieroglyphica du philosophe alexandrin Horapollon (le terme de « hiéroglyphe » était alors utilisé par les amateurs pour parler d’une allégorie) ou des écrits emblématiques des humanistes André Alciat et Pierio Valeriano. Particulièrement foisonnantes, ces publications nécessitent bientôt une synthèse : c’est chose faite en 1593 avec la parution de l’Iconologia de Cesare Ripa (1555-1622), qui rationnalise enfin cette grammaire symbolique en la destinant très explicitement aux « poètes, peintres et sculpteurs pour représenter les vertus, les vices et les passions humaines ». Réédité à plusieurs reprises, l’ouvrage s’impose au siècle suivant comme une véritable bible aux sources de laquelle puiseront bientôt les artistes les plus illustres, ce que donne à voir un deuxième temps de l’exposition au visiteur désormais initié.

Simon Renard de Saint-André (1614-1677), Vanité, vers 1660. Huile sur toile, 50,5 x 60,4 cm. Collection Guy et Héléna Motais de Narbonne. Photo service de presse. © DR
Simon Renard de Saint-André (1614-1677), Vanité, vers 1660. Huile sur toile, 50,5 x 60,4 cm. Collection Guy et Héléna Motais de Narbonne. Photo service de presse. © DR

Du livre à la toile

La mise à disposition d’un tel arsenal symbolique va considérablement enrichir la peinture, parfois au détriment de la créativité de l’artiste. Les multiples combinaisons allégoriques de Ripa seront donc diversement appréhendées : Laurent de La Hyre (1606-1656) se montre ainsi partisan d’un respect absolu du code édicté par l’érudit italien, tangible dans son allégorie de l’Astronomie issue d’une série sur les arts libéraux ; Charles Le Brun (1619-1690) opte de son côté pour une limitation du nombre d’attributs associés à chaque allégorie, au risque de l’ambigüité ; quant à Jean-Baptiste Jouvenet (1644-1717), il n’hésite pas à imaginer ses propres symboles, comme en témoigne son intervention sur le chantier du parlement de Bretagne.

Laurent de La Hyre (1606-1656), L’Astronomie, vers 1650. Huile sur toile, 104 x 218,5 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts d’Orléans. Photo service de presse. © Orléans, Musée des Beaux-Arts / François Lauginie
Laurent de La Hyre (1606-1656), L’Astronomie, vers 1650. Huile sur toile, 104 x 218,5 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts d’Orléans. Photo service de presse. © Orléans, Musée des Beaux-Arts / François Lauginie

Allégories éducatives

Ce langage visuel codifié est notamment utilisé dans la formation des élites du royaume. Aux Tuileries, le décor des appartements du Grand Dauphin, exécuté entre 1666 et 1670, atteste de cet usage pédagogique de l’allégorie : Jean-Baptiste de Champaigne (1631-1681) livre ainsi pour la chambre à coucher deux putti symbolisant la Paix et la Justice entourés d’ouvrages édifiants. Plus loin dans l’exposition, une grande toile du même artiste, récemment acquise par le musée du Grand Siècle, livre un tout autre enseignement : elle vient illustrer la citation antique devenue proverbe Sine Cerere et Baccho friget Venus, selon laquelle les plaisirs de la table et du vin sont indispensables au fleurissement de l’amour.

Olivier Paze-Mazzi


« Allegoria, les clés de la symbolique baroque »
Jusqu’au 14 janvier 2024 dans les anciennes écuries du Domaine départemental de Sceaux
8 avenue Claude Perrault, 92330 Sceaux
Tél. 01 41 87 29 71
https://domaine-de-sceaux.hauts-de-seine.fr

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