Le 12 décembre dernier à Drouot, la maison Pescheteau-Badin offrait au feu des enchères une délicate table à écrire livrée au Petit Trianon en 1771 par Jean-Henri Riesener. Elle n’y resta que quelques années avant d’être remaniée par Guillaume Benneman en 1788, à la demande du Garde-Meuble de la Couronne, afin de gagner à Paris, place Louis XV, les appartements de Madame Thierry de Ville-d’Avray, épouse de l’Intendant. Une judicieuse préemption du Centre des monuments nationaux pour la très raisonnable somme de 195 000 € (frais inclus) devrait bientôt lui permettre de retrouver sa place dans les salons de l’hôtel de la Marine après une indispensable restauration.
Avant d’être érigé en symbole de la quête d’intimité de Marie-Antoinette, le Petit Trianon accueillit, à partir de la fin des années 1760, les amours du Bien-Aimé – qui en ce temps ne l’était déjà plus – et de son ultime favorite, la ravissante mais scandaleuse Jeanne du Barry. Élevé entre 1762 et 1768 par Ange-Jacques Gabriel, ce refuge éloigné de la vie de cour accueillait à l’étage noble une « pièce du café ». Situé à l’angle nord-est du château, ce cabinet de retraite était pour le monarque un lieu particulièrement intime en raison de sa taille modeste et de l’escalier en arc de cercle dissimulé derrière le lambris conduisant à la chambre de sa dame de cœur nichée à l’attique. C’est dans ce cabinet qu’avait été installée en 1771 notre table à écrire, encastrée dans le lambris et dont le plateau était à l’époque formé par une tablette de marbre placée dans une niche à hauteur d’appui. Éclairé sur sa gauche par une unique fenêtre ouvrant sur le jardin à la française de Trianon, ce véritable meuble du quotidien royal permettait à Louis XV de dissimuler aisément sa correspondance grâce à un mécanisme aujourd’hui disparu qui d’un tour de clé et d’une pression libérait le tiroir et révélait trois compartiments.
Une restauration (doublement) estampillée Benneman
Les travaux suscités à Trianon par l’avènement de Marie-Antoinette viendront largement remanier la « pièce du café », transformée en 1776 en cabinet des Glaces mouvantes. L’escalier est alors supprimé et le lambris qui le dissimulait est déposé, ce qui conduit au retour de la table à écrire dans les réserves du Garde-Meuble de la Couronne. Elle y sera oubliée une dizaine d’années avant que son nouvel intendant, le fastueux Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray, ne décide de lui offrir une nouvelle vie. Il fait pour cela appel à Guillaume Benneman, qui en 1786 succède à Riesener – devenu trop cher – comme ébéniste de la Couronne, afin de la restaurer, sacrifiant à la pratique économique du remploi très en vogue au XVIIIe siècle. Comme l’indique la facture de l’ébéniste, l’intervention est importante : « Fait la restauration d’une ancienne table du fond de Paris et y avoir fourni à neuf les pieds et le dessus et l’avoir replaqué entièrement à neuf en bois gris satine et filets verts et blanc, fourni aussi la balustrade, l’astragale, 8 bouts de brétés, les sabots et anneaux, le tout en cuivre doré d’or moulu… 376 livres. » Manifestement satisfait de son œuvre, l’ébéniste y appose à deux reprises son estampille.
Du Garde-Meuble au Palais-Royal
Le 2 septembre 1788, la table à écrire gagne, pour la seconde fois de son existence, le premier étage d’un édifice insigne de Gabriel : les appartements de l’épouse de l’Intendant situés en l’hôtel du Garde-Meuble de la Couronne et ouvrant sur la place Louis XV. Réalisée à la veille de l’année 1789, cette deuxième affectation sera brève : le meuble quitta vraisemblablement son emplacement à l’occasion des ventes révolutionnaires de 1793. Il ne resurgira sur le marché de l’art qu’au XXe siècle, d’abord chez un antiquaire du quai Voltaire, puis à Drouot en 1974, date à laquelle il intègre la collection du haut fonctionnaire et collectionneur Maurice Aicardi qui l’installe dans son appartement donnant sur les jardins du Palais-Royal.
Olivier Paze-Mazzi