
Dès la préhistoire, l’ambre a été recherché pour sa beauté, mais aussi pour ses origines mystérieuses, voire mythologiques. De nombreux récits à travers le monde en font ainsi les larmes d’une divinité. De manière plus pragmatique mais tout aussi fantaisiste, on y a également vu du sperme de baleine, de l’urine de lynx solidifiée, de la cire de fourmi ou encore du miel minéralisé. Entrevue par Pline l’Ancien, sa nature végétale ne sera définitivement confirmée qu’au XVIIIe siècle par Buffon, Linné et Lomonossov. Vieux de 40 millions d’années, l’ambre de la Baltique est le plus utilisé en Europe. D’abord étroitement contrôlé par les chevaliers teutoniques, son commerce fait la fortune de la Prusse à partir du XVIe siècle. Königsberg (actuelle Kaliningrad), la capitale du duché, et Dantzig (aujourd’hui Gdansk en Pologne), deviennent rapidement les deux centres majeurs de production. Le prestige associé à ce matériau en fait un cadeau diplomatique de premier choix et des objets en ambre d’une grande richesse décorative rejoignent les cabinets de curiosités de tous les princes d’Europe. Première manifestation dédiée à ce matériau en France, l’exposition organisée par la galerie Kugel présente une cinquantaine de pièces, exécutées entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
Une résine aux mille nuances
D’abord sculpté dans la masse pour créer des figurines, des objets décoratifs ou des bijoux, l’ambre est ensuite essentiellement travaillé en plaquettes à partir de 1600. L’artiste a ici su jouer de toutes ces possibilités techniques, ainsi que des nombreuses nuances du matériau, allant du rouge sombre translucide au blanc opaque, pour créer une œuvre digne d’un cabinet de curiosités. Certaines cases du plateau de l’échiquier, d’une extrême finesse, sont sculptées de délicats motifs floraux.

De la gravure à la sculpture
Cette chope est attribuée à Georg Schreiber, l’un des premiers maîtres de la guilde de Königsberg fondée en 1641. Actif dans la première moitié du XVIIe siècle, il était à la tête d’un très vaste atelier. Cette œuvre offre une alternance de panneaux composés de délicats rinceaux sculptés en léger relief évoquant des grotesques, que l’on retrouve également sur le couvercle, et de bandes ornées de godrons encadrés d’un petit motif de feuille. Ce type d’ornements était souvent inspiré de recueils d’ornements gravés, qui servaient aussi bien aux sculpteurs en ambre qu’aux ivoiriers et aux orfèvres.

Ambre profane, ambre sacré
Si les iconographies profanes sont légion sur les objets en ambre, les sujets bibliques sont plus rares. Sur le couvercle de cette petite boîte, on reconnaît ainsi Adam et Ève, ainsi que Dieu émergeant d’un nuage. Sur le fond foisonnant qui évoque du verre en fusion tant par la couleur que par l’aspect lisse et brillant de la matière, on distingue également une licorne et un bélier. Sur la boîte elle-même, des rinceaux alternent avec des bustes de chérubins.

Quand l’ambre passe à table
La conversion du duché de Prusse au protestantisme en 1525 entraîne un recul de la production de rosaires et le développement de nouvelles typologies d’objets. Sortent désormais des ateliers des sculpteurs en ambre des chopes, des coupes, des boîtes de jeux ou encore des manches de couverts, utilisés essentiellement lors de cérémonies ou comme présents de mariage.

Transcrire les formes
Au XVIIe siècle, les objets en ambre imitent volontiers les formes mises en œuvre par les sculpteurs sur ivoire, les lapidaires ou les orfèvres, comme en témoigne cette coupe. Tous les éléments, soulignés par une délicate monture émaillée ajoutée par la suite, sont taillés dans la masse. La base est sculptée d’opulents rinceaux, tandis que le pied est composé de deux torses féminins adossés. De la coupe en forme de coquille émerge une figure de femme tenant des fleurs à la main.

Camille Jolin
« Ambre. Trésors de la mer Baltique »
Jusqu’au 16 décembre 2023 à la galerie Kugel
25 quai Anatole France, 75007 Paris
Tél. 01 42 60 86 23
www.galeriekugel.com