
Peintre officiel de la Marine, Marie Détrée expose ses œuvres cet été dans le Finistère. L’occasion d’en savoir plus sur ce titre honorifique, porté avant elle par des artistes comme Paul Signac ou Mathurin Méheut.
Entretien réalisé pour Le Petit Léonard par Laurence Caillaud
Qu’est-ce qu’un peintre officiel de la Marine ?
Ce sont des peintres nommés par le ministère des Armées. Les artistes qui souhaitent obtenir ce titre doivent passer devant un jury présidé par un militaire et composé de conservateurs de musées, de peintres, de journalistes… J’ai eu la chance d’en bénéficier à seulement 36 ans ! Ce titre permet d’embarquer sur tous les navires de la Marine nationale, d’avoir une équivalence de grade et de porter un uniforme. Nous ne sommes pas payés, mais nous devons donner un tableau à la fin de chaque mission. Le tableau reste à bord : il continue donc de voyager même quand on a débarqué ! Lorsque le bateau est désarmé, les œuvres rejoignent un autre navire ou les bureaux de la Marine, avant éventuellement d’intégrer les collections du musée de la Marine. On reconnaît nos toiles à l’ancre ajoutée après notre signature.
La possibilité d’embarquer a-t-elle été votre principale motivation ?
En effet, c’est ce qui m’intéressait. Je suis née dans une famille de marins : mon père et mon grand-père étaient dans la marine marchande. Cela m’a toujours fait rêver de les voir partir, même si je ne voulais pas être marin, car j’ai toujours désiré être artiste. En devenant peintre officiel de la Marine, j’ai renoué avec l’histoire familiale. La Marine nous propose des embarquements, mais nous pouvons aussi en solliciter pour des missions particulières.
Peindre constitue donc une passion de jeunesse ?
Ma famille et moi habitions à Paris, mais nous allions souvent en Bretagne d’où je suis originaire. Lorsque je vivais dans la capitale, la mer me faisait rêver, mais je dessinais peu (à part dans les marges de mes cahiers, mais chut !). C’est à Saint-Malo que je dessinais, goûtant le plaisir de retrouver la mer, les bateaux… Plus tard, j’ai suivi des cours et copié des œuvres dans les musées, puis je suis entrée à l’École des Beaux-Arts de Paris. Peignant et dessinant surtout des sujets liés à la mer ou aux ports, j’ai finalement participé au Salon de la Marine. À Saint-Malo, en face de la vieille ville, j’adorais me promener sur le port, dessiner les grues, les cargos à quai, plein de choses très industrielles et très colorées. J’aime toujours beaucoup ce genre de motif ! À l’époque, j’étais à quai et je regardais vers le large. Maintenant, en étant à bord des bateaux, je découvre les villes et les ports par la mer, j’ai le temps de les voir se déployer devant moi.

Comment se passe l’intégration à un équipage ?
Lorsque j’ai été nommée, il y avait encore peu de femmes, et en plus j’étais peintre ! La meilleure façon de s’intégrer, c’est de travailler. Pour apprivoiser l’équipage, je m’installe dans un coin et je peins l’intérieur du bateau. Moi qui aime les sujets industriels, je suis servie : les bâtiments militaires sont pleins de tuyaux ! Quand je peins ainsi, les gens viennent me voir et sont amusés, curieux de découvrir comment je peux appréhender leur lieu de travail, qu’eux ne regardent plus. Ils se rendent compte que cela peut devenir un sujet de peinture, une œuvre d’art. C’est là que la discussion s’amorce ; on me montre des lieux qui seraient intéressants à peindre et on finit par me demander des portraits. Plus on reste longtemps à bord, plus on fait partie de l’équipage.
La vie à bord vous plaît-elle ?
Plus j’embarque, plus j’aime ça ! Cela multiplie à l’infini les sujets à traiter. Quand on voyage en bateau, on prend son temps. C’est ce que raconte le livre L’invention des dimanches que j’ai récemment illustré (éditions Le Rouergue). Le temps nous appartient de nouveau, on n’est pas pressé, on se coupe des réseaux sociaux. Cela apprend à se détacher de toutes les choses du quotidien. Les escales rythment la vie à bord. Ce sont des parenthèses très courtes, où l’on débarque dans un pays que l’on ne connaît pas et qui constituent de riches opportunités.
Quelles techniques utilisez-vous ?
Impossible de peindre à l’huile : je ne pouvais pas planter mon chevalet au milieu du bateau ou d’un port ! Je suis donc revenue aux techniques que j’employais petite, la gouache et le feutre, que j’adore. On ne peut pas revenir en arrière, les couleurs sont vives et les effets de superposition intéressants. Je travaille sur du papier en m’installant dans un coin ; c’est parfaitement adapté à l’embarquement. Je travaille en trames, comme si je tissais avec des fils colorés, puis l’œil du spectateur mélange les couleurs. J’ai des dizaines de feutres différents. C’est comme si j’avais découvert une nouvelle aire de liberté. Je peux inventer des techniques en utilisant des matériaux très simples. Quand on embarque, il faut oublier la complexité et se concentrer sur la rapidité, la mobilité. Il faut cependant toujours expliquer ce choix, car quand on utilise un matériel qui rappelle l’enfance ou la scolarité, les gens ont l’impression que nos possibilités sont limitées, alors qu’avec un peu de technique, on peut faire beaucoup de choses.

À bord de quels bateaux avez-vous peint ?
Sur des bateaux très différents. Dans la Marine, il y a les porte-avions, les frégates, les sous-marins… et un patrouilleur polaire, L’Astrolabe. 120 jours par an, il est au service de l’Institut polaire et des Terres australes antarctiques françaises. Il s’occupe de la protection de l’environnement et de l’acheminement des scientifiques et techniciens qui vont en Terre Adélie, la portion de l’Antarctique sous souveraineté française. J’ai eu la chance d’embarquer sur L’Astrolabe en janvier 2022 et de rester treize jours sur la base Dumont d’Urville. Une magnifique expérience !
Comment l’Antarctique vous a-t-il inspirée ?
J’ai été fascinée par les icebergs. Pour aller là-bas, le bateau navigue d’abord sur des mers très difficiles, où on est très secoués, puis on arrive sur une mer beaucoup plus calme, et on voit apparaître au loin ces montagnes de glace, c’est fabuleux ! On les voit arriver très lentement, qui dérivent. Plus on avance, plus on passe juste à côté de ces colosses, c’est très impressionnant. Ensuite, on découvre la vie, car la base Dumont d’Urville est sur une manchotière, il y a donc des oiseaux partout. J’en ai rapporté beaucoup de gouaches et de dessins au feutre.

Quelles autres missions avez-vous suivies ?
J’ai embarqué trois fois dans l’univers très technique des sous-marins et ai assisté aux entraînements intensifs qui précèdent les missions en mer : les marins partent ensuite 70 jours sans remonter à la surface. J’ai ainsi reçu mon certificat de plongée, délivré lorsque l’on plonge au-delà d’une certaine profondeur. Les embarquements varient de quelques jours à plusieurs mois. Ils s’adaptent aux missions de la Marine, qui est présente dans beaucoup d’endroits dans le monde pour faire de la surveillance des pêches, de la lutte anti-piraterie, protéger l’environnement… Je travaille aussi à terre, dans les sémaphores, où la Marine assure la surveillance des côtes, ou sur les bases comme l’arsenal de Toulon. Je dois bientôt partir sur un porte-avion. Je suis très curieuse, j’aime donc découvrir tous ces aspects !
« Marie Détrée-Hourrière »
Jusqu’au 31 août 2022 dans la salle d’exposition Anne de Bretagne
Square Anne de Bretagne 29410 Pleyber-Christ
Tél. 02 98 78 53 15
www.expositions-pleyberchrist.fr
www.mariedetree.com