Paré de briques, de granite et d’ardoises, le château de Carrouges dans l’Orne est l’un des joyaux de la Normandie. Deux années de travaux et 5,9 millions d’euros ont été nécessaires au Centre des monuments nationaux (CMN) pour mener à bien la restauration et le remeublement de son appartement de parade ; ses précieuses boiseries et décors peints de la première moitié du XVII^e siècle sont désormais accessibles pour la première fois au public.

C’est probablement à Jean IV de Carrouges que l’on doit l’édification du donjon, partie la plus ancienne du château, durant la seconde moitié du XIVe siècle. Ce chevalier, qui fit ses armes sous les ordres de Bertrand du Guesclin, est entré dans l’histoire pour son implication dans l’ultime duel judiciaire de France qui eut lieu à Paris, en pleine guerre de Cent Ans, le 29 décembre 1386.

Le premier des Gabriel

Entre 1505 et 1533, c’est Jean Le Veneur, l’un de ses descendants, qui érige à son tour le spectaculaire châtelet d’entrée flanqué de quatre tours, considéré comme le premier monument Renaissance de Normandie. Il faut cependant attendre le dernier quart du XVI^e siècle pour que le château adopte sa physionomie actuelle, grâce à l’architecte François Gabriel, fondateur de la fameuse dynastie qui au XVIII^e siècle allait régner sur Versailles. En 1648, c’est son petit-fils Maurice qui conduit les somptueux aménagements voulus par Jacques Le Veneur, nouveau maître des lieux. Il livre notamment les fastueux décors intérieurs des appartements qui témoignent du goût italien du châtelain ; ami proche de l’Albane (1578-1660), dont l’un des fils était son filleul, il commande au peintre bolonais trois tableaux aujourd’hui conservés à Fontainebleau. La gloire de Carrouges est alors à son apogée.

Dans le giron du CMN

Classé au titre des Monuments historiques en 1927, le château est cédé en 1936 à l’État par les derniers descendants des comtes de Carrouges. Après 700 ans et 14 générations d’une même famille, une page se tourne. Proche de la ruine, le château nécessite d’urgentes restaurations. Situé au second étage du pavillon sud-est, le délicat décor de l’appartement de parade est presque entièrement déposé dans les années 1950 afin de consolider les charpentes. Composés de quatre pièces, ces espaces furent à cette occasion
profondément modifiés et le plafond surélevé. Les tentatives de restauration des décors qui suivirent furent désastreuses, conduisant notamment à un décapage des polychromies. Un nouveau chantier voit le jour en 2022, cette fois sous l’égide du CMN : plusieurs découvertes dans les réserves le font rapidement évoluer vers un projet plus ambitieux de restitution et d’aménagement destiné à accueillir le public. On identifie notamment une importante copie de l’Apollon écorchant Marsyas d’après Guido Reni ; longtemps considérée comme perdue, elle a retrouvé sa place au-dessus de la cheminée de la chambre de parade. Entièrement paré de boiseries et doté d’un opulent plafond à caissons, le petit oratoire peint et doré accueille désormais un nouveau sol fait de carreaux de faïence conservés au château. Des dépôts d’œuvres et de mobilier consentis par différentes institutions et prêteurs privés, ainsi que plusieurs acquisitions récentes, permettent enfin de donner à voir le goût et l’art de vivre raffinés du maître des lieux à l’aube du Grand Siècle.

Olivier Paze-Mazzi

Château de Carrouges
3 route du Château, 61320 Carrouges
Tél. 02 33 27 20 32
www.chateau-carrouges.fr