Alors que l’on célèbrera en décembre 2023 les 40 ans de la disparition de Joan Miró, le musée Guggenheim de Bilbao organise une exposition sur ses années parisiennes (1920-1945). Au détour de près d’une centaine d’œuvres, Enrique Juncosa, commissaire de l’exposition, revient sur la trajectoire du maître espagnol qui, au contact des avant-gardes, va progressivement se détacher du réalisme de ses débuts pour atteindre une « réalité absolue ».
Des œuvres de jeunesse marquées par les leçons du fauvisme et du cubisme cézannien, Enrique Juncosa a choisi de ne retenir qu’une poignée et ce dans une perspective purement didactique. Un choix judicieux puisqu’il permet d’illustrer la rupture radicale qui s’opère dans l’art de Miró à compter de son installation à Paris. En côtoyant des poètes tels qu’André Masson, Paul Éluard ou Robert Desnos, proches du groupe des surréalistes, « il s’intéresse aux innovations formelles de tous ces artistes, qui rejettent la logique, les lieux communs et la tradition, et s’intéressent à l’automatisme, l’esthétique de la fragmentation, l’union arbitraire d’images inattendues ». Il va dès lors se libérer de la réalité extérieure qui ne l’inspire plus. De cet affranchissement naîtront ses fameuses « peintures oniriques », à l’instar de La Sauterelle (1926) qui, à mi-chemin entre la représentation du monde et l’autoportrait énigmatique, marque le début d’une nouvelle voie pour l’artiste.
Nouvelles explorations formelles
Débarrassé de toutes conventions narratives et picturales traditionnelles, Miró (1893-1983) se lance, à partir des années 1930, dans de nouvelles explorations formelles. Sûrement ému par les troubles politiques qui ébranlent l’Europe et plus particulièrement par la guerre civile espagnole, il entreprend, en 1936, la réalisation d’une série de peintures très expressives. Ces dernières, exécutées sur panneaux d’isorel, figurent des formes étranges évoluant au milieu de grands aplats de couleurs. En y ajoutant des matériaux nouveaux très texturés, tels que le goudron appliqué de manière spontanée, l’acte de peindre change de finalité et semble prendre la forme d’une catharsis pour cet artiste spirituel et épris de poésie mystique espagnole. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Joan Miró part se réfugier avec sa famille à Varengeville-sur-Mer. Depuis ce village normand, il exécute un ensemble de peintures intitulées Constellations. Lorsque son ami Roland Penrose l’interroge sur son processus artistique, il répond : « après avoir peint, je trempais mes pinceaux dans de la térébenthine et les séchais sur des feuilles de papier blanc, sans idées préconçues. La surface tachée me stimulait et me poussait à créer des formes ». Tout comme pour sa série sur panneaux d’isorel, le processus devient le sujet même de l’œuvre. Ne pourrait-on pas voir dans cette préfiguration de l’action-painting de Jackson Pollock, les préludes de l’expressionnisme abstrait qui apparaîtra aux États-Unis quelques années plus tard ?
Simon Poirier
« Joan Miró. La réalité absolue. Paris 1920-1945 »
Jusqu’au 28 mai 2023 au Guggenheim Bilbao
Abandoibarra Etorb., 2, Bilbao
Tél. 00 34 944 35 90 80
www.guggenheim-bilbao.eus
Catalogue, Guggenheim Bilbao, bilingue espagnol/basque, 192 p., 37 €.