Ils sont partout. Dragons et griffons, sirènes et licornes, sphinx et phénix, toutes ces créatures antiques, parfois nées sur les parois des grottes ornées du Paléolithique supérieur, ont traversé les millénaires et peuplent encore aujourd’hui notre univers contemporain, du cinéma à la bande dessinée, de la littérature aux jeu vidéo. Réunissant 250 œuvres, dont un quart prêté par le Louvre, l’exposition du Louvre-Lens décrypte au fil des âges l’histoire de ces créatures hybrides qui fascinent autant qu’elles nous terrifient. Florilège en images.
Le démon Pazuzu : 3 000 ans de terreur
« Je suis Pazuzu, fils de Hanbu, le roi des démons Lilû ; j’ai gravi les montagnes les plus puissantes, elles tremblèrent ; les vents contraires allant en direction de l’ouest, je brisai leurs ailes. », proclame l’inscription cunéiforme gravée sur son dos. Puissant démon mésopotamien, Pazuzu arbore sur son visage les traits mêlés du chien et du lion ; son corps ailé couvert d’écailles est doté d’une queue de scorpion et de serres de rapace. Capable d’apporter aux hommes fléaux et maladies, il sait aussi se montrer bénéfique en combattant d’autres démons, à commencer par son épouse cannibale, Lamashtu. Cette ambivalence explique sa grande popularité de l’Assyrie à la Babylonie, qui se traduit par la création de nombreuses statuettes et amulettes à son effigie. Sa popularité rebondit au XXe siècle avec son apparition dans le film L’Exorciste (1973).
Hippogriffe et « orque marine »
Conservé au Louvre, ce chef-d’œuvre de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) est une commande royale : nonobstant ses liens avec l’Empire, le peintre se voit confier en 1817, au retour des Bourbons, l’exécution d’un décor pour la salle du Trône du château de Versailles. Déterminé par Auguste de Forbin, à la tête des Musées royaux, le sujet tire son origine du Roland furieux de l’Arioste, qui connaît en ce XIXe siècle naissant un regain d’intérêt. Ingres choisit de se focaliser sur le chant 10 du poème italien dépeignant le prince sarrasin Roger sauvant Angélique, reine de Cathai aimée du héros Roland, des griffes d’une effroyable créature décrite comme une « orque marine ». S’apprêtant à frapper le monstre de sa lance, le prince est représenté juché sur un hippogriffe, être hybride né de l’imagination du poète mêlant, fidèle à la tradition antique, plusieurs espèces : l’aigle, le lion et le cheval.
Les métamorphoses de la licorne
Résolument phallique, la licorne constitue d’abord un symbole viril, sauvage et violent qui sera progressivement associé au Moyen Âge aux jeunes vierges vers lesquelles l’animal avait la réputation d’être irrésistiblement attiré. Si l’accent est d’abord mis sur sa concupiscence, il finira pourtant par s’imposer comme un attribut de la virginité : on retrouve ainsi dans l’exposition une licorne d’albâtre arborant les armes des Orléans Longueville veillant sur la statue gisante d’une petite fille. Son image va connaître une étonnante évolution à partir des années 1980 avec le lancement par la marque de jouets Hasbro d’un célèbre poney en plastique : adapté en série, il sera décliné en poneys licornes associés à un arc-en-ciel faisant écho au rainbow flag adopté par les cultures LGBTQI+. Dévoilée en 2020 chez Daniel Templon, cette toile de Will Cotton (né en 1965) s’amuse des métamorphoses de la licorne : reprenant l’image archétypale du cow-boy galopant sur sa monture le lasso en main, l’artiste la subvertit en remplaçant le cheval par une licorne rose émergeant de nuages cotonneux. L’association incongrue de cette créature et de son cavalier, incarnation des valeurs traditionnelles de l’Amérique, vient ici questionner les stéréotypes de genre.
Le dragon et le cambrioleur
Veillant jalousement sur les fabuleuses richesses volées aux nains lorsqu’il s’est approprié le royaume d’Erebor, le dragon Smaug somnole au cœur de la Montagne Solitaire quand il est dérangé par un audacieux cambrioleur : il s’agit de Bilbo, jeune hobbit missionné par les propriétaires légitimes du trésor. Terrifié par l’horrible créature qui émerge du tas d’or, il ne peut s’empêcher de faire usage d’un mystérieux anneau récemment acquis qui lui offre la possibilité de se rendre invisible… Cette scène fameuse tirée du livre Le Hobbit publié en 1937 par J. R. R. Tolkien est ici traduite en laine et « couleurs pures » par la manufacture d’Aubusson : il s’agit de la treizième tapisserie sur un total de seize de la tenture « Aubusson tisse Tolkien » initiée en 2017. Afin de sublimer la montagne d’or sur laquelle paresse le dragon et de rendre plus étincelante encore la Pierre Arcane qui la couronne, il a été exceptionnellement décidé de mêler au tissage des fils dorés et argentés.
Olivier Paze-Mazzi
« Animaux fantastiques »
Jusqu’au 22 janvier 2024 au Louvre-Lens
99 rue Paul Bert, 62300 Lens
Tél. 03 21 18 62 62
www.louvrelens.fr
Catalogue, coédition Louvre-Lens / Snoeck, 432 p.,39 €.