C’était l’un des événements culturels les plus attendus de cette rentrée : la réouverture, le 17 novembre dernier, après plus de six années de travaux, du musée national de la Marine, dont les collections retracent près de 300 ans d’aventures maritimes et navales. Voici nos premières impressions.
La mise à flots est imminente. « Attention à la peinture fraîche », avertit le directeur du musée,Vincent Campredon, en guidant un groupe de journalistes à travers les salles de son rutilant « paquebot », enfin prêt à être livré. Partout, les équipes scientifiques et techniques s’affairent pour terminer l’installation des vitrines, mettre en place les cartels d’œuvres et accrocher les derniers tableaux – et non des moindres, puisqu’il s’agit des treize toiles de la série des Vues de ports de France de Joseph Vernet (1714-1789) – dans les espaces entièrement réhabilités et repensés du musée de la Marine. Originellement installé au Louvre, puis accueilli à partir de 1942 dans l’aile ouest du Palais de Chaillot, celui-ci n’avait jamais été en chantier avant sa fermeture en mars 2017. L’idée de le rénover de pied en cap couvait depuis 25 ans. Adoubé par le ministère des Armées, dont dépend le musée, l’actuel projet de refonte a porté tant sur l’édifice que sur le parcours de visite.
Des espaces redessinés
Lauréats du concours lancé pour la rénovation, les architectes français de l’agence h2o, associés avec les Suédois de Snøhetta, ont cherché à retrouver les volumes tout en courbes et la luminosité des espaces construits en 1937 par Carlu, Boileau et Azema, et c’est réussi. Mais dans ce musée de la Marine « nouvelle génération », la redéfinition des espaces ne convainc pas toujours. La perspective sur la galerie Davioud, vaisseau amiral du musée, est obturée par la reconstitution d’une gigantesque étrave de paquebot. Fallait-il en outre octroyer autant d’espace au hall d’accueil, qui occupe, en plus du vestibule d’entrée, toute une partie de la galerie Davioud ? Une zone qui sera certainement très conviviale, mais qui se révèle gourmande en mètres carrés, ce qui réduit mécaniquement l’espace dévolu aux collections permanentes. Ainsi, la section consacrée à la « Puissance navale », sorte de « Grande Galerie de l’évolution maritime en France du XVIIe siècle à nos jours », pour reprendre les mots de Vincent Campredon, paraît reléguée en fin de parcours, et à l’étroit dans les salles voûtées de l’entresol, même après les travaux qui ont aidé à récupérer un peu de hauteur sous plafond.
Vent nouveau sur les collections
Au total, sur les 8 000 m2 « à réinventer », 2 500 m2 seulement ont été consacrés au parcours permanent (le reste se répartissant entre un espace d’actualités, un auditorium, des salles de séminaire, une galerie pour les expositions temporaires et des espaces commerciaux – restaurant, librairie-boutique). Une superficie qui ne permet pas de présenter davantage de pièces qu’avant, soit un millier d’objets (maquettes de bateaux, figures de proue, instruments de navigation, tableaux) sur les quelque 35 000 que compte le musée. Le parcours fait cependant souffler un vent de fraîcheur sur les collections. Imaginé comme un voyage en mer, il fait naviguer le visiteur librement, au gré de « traversées » thématiques (les ports de commerce, les naufrages et tempêtes, la puissance navale française) mêlant propos historique et sensibilisation à des enjeux contemporains, le tout ponctué d’« escales » dans les trésors des collections. Des modèles réduits de bateaux aux monumentales figures de proue de 3 mètres de haut, tous ont bénéficié d’une restauration sur-mesure, effectuée dans le nouveau centre de conservation externalisé à Dugny (en Seine-Saint-Denis), l’un des plus vastes et modernes d’Europe.
La déferlante scénographique
« Améliorer l’attractivité du musée grâce à une scénographie spectaculaire et innovante » était l’un des mots d’ordre du chantier. L’agence anglaise Casson Man, scénographe de Lascaux IV ou de la cité du Vin de Bordeaux, a parfaitement rempli ce cahier des charges : visite qui s’ouvre sur la reconstitution stylisée d’une gigantesque étrave de paquebot, dans laquelle on peut visionner un film immersif projeté sur un grand écran hémisphérique, puis, un peu plus loin, projection d’une vague géante qui déferle sur près de 10 mètres de haut et transporte le visiteur au beau milieu des flots, et du Pacifique… Émotions garanties ! Là où le musée de l’histoire de l’immigration – Palais de la Porte Dorée, pour prendre l’exemple d’une autre réouverture récente, avait réussi un mélange pertinent et bien dosé entre des objets classiques et des dispositifs filmiques ou numériques, qui venaient enrichir le propos et nourrir la réflexion, celui de la Marine a fait le choix d’une scénographie beaucoup plus présente et divertissante. Au risque de submerger le visiteur ?
Eva Bensard
Musée national de la Marine
Palais de Chaillot
17 place du Trocadéro et du 11 novembre, 75116 Paris
Tél. 01 53 65 69 69
www.musee-marine.frr