Exceptionnellement déployé dans son intégralité, le monumental Poème de l’âme quitte le musée des Beaux-Arts de Lyon pour rejoindre les cimaises du musée d’Orsay. En proposant un dialogue entre Janmot et de multiples artistes, l’exposition ambitionne de mettre en lumière un œuvre à la fois pictural et littéraire, considéré comme l’« ensemble le plus remarquable, le plus cohérent et le plus étrange du spiritualisme romantique1. » Entretien avec Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peinture au musée d’Orsay, et Stéphane Paccoud, conservateur en chef chargé des peintures et sculptures du XIXe siècle au musée des Beaux-Arts de Lyon, commissaires de l’exposition.
Propos recueillis par Gabrielle Charaudeau.
L’exposition « Louis Janmot. Le Poème de l’âme » est le fruit d’une collaboration entre le musée d’Orsay et le musée des Beaux-Arts de Lyon. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce projet ?
Servane Dargnies-de Vitry : Bien que célèbre à Lyon, où son œuvre est présentée en permanence, Louis Janmot est assez peu connu du grand public. Notre volonté était donc de le mettre en lumière et d’inviter le visiteur à le découvrir aux côtés d’expositions plus « blockbusters », comme celle consacrée à Vincent van Gogh. Les équipes du musée des Beaux- Arts de Lyon ont répondu avec enthousiasme à notre proposition et ont accepté de prêter l’intégralité du Poème de l’âme.
Stéphane Paccoud : Figure majeure de la scène artistique lyonnaise du XIXe siècle, Janmot est au cœur de la politique d’acquisition du musée des Beaux-Arts depuis plusieurs années. Cette collaboration avec le musée d’Orsay représente une opportunité exceptionnelle de mieux le faire connaître au-delà de sa ville natale.
Quelles œuvres de Janmot avez-vous sélectionnées ?
S. D.-d. V. : Les trente-quatre toiles et fusains du Poème de l’âme sont présentés aux côtés de grands cartons préparatoires et d’autres compositions de Janmot. L’exposition n’est pas une rétrospective : il s’agit véritablement d’explorer son grand œuvre et de le replacer dans son contexte. Nous ne dévoilons donc pas toute sa production, comme les tableaux d’églises, par exemple.
Comment avez-vous construit le parcours de l’exposition ?
S. P. : Les deux cycles du Poème de l’âme, qui servent de colonne vertébrale au parcours, sont entourés de cinq cabinets thématiques. Ceux-ci visent à contextualiser l’œuvre et à la mettre en relation avec d’autres artistes, plus anciens, contemporains ou postérieurs à Janmot. Tout le XIXe siècle est ainsi mis en lumière.
S. D.-d. V. : Par sa formation, ses voyages, notamment en Italie, et ses relations amicales, Janmot embrasse en effet pleinement son siècle. Il s’est beaucoup inspiré de ses prédécesseurs mais a également intéressé d’autres artistes. On retrouve donc des échos à sa peinture dans le romantisme et le symbolisme, notamment dans les œuvres de Delacroix ou de Redon. Quelques compositions de ces peintres sont d’ailleurs présentées au public. Au total, l’exposition comporte 135 œuvres.
Comment abordez-vous la dimension à la fois picturale et littéraire du Poème de l’âme ?
S. D.-d. V. : Initialement, Janmot publie son poème pour que les visiteurs puissent le découvrir avant ou pendant la contemplation des œuvres. Son texte n’est cependant pas une description des tableaux : il mentionne des personnages supplémentaires et met en scène des dialogues qui permettent de mieux comprendre le sens de certaines compositions. Dans l’exposition, nous présentons les deux livres publiés en 1854 et en 1881. Le public peut également découvrir quelques citations sur les cimaises, entendre des extraits lus par l’acteur Alexandre Astier, lyonnais lui aussi, ou encore retrouver le texte dans son intégralité en ligne.
S. P. : Janmot conçoit pendant près de quarante-cinq ans son Poème de l’âme comme une œuvre d’art totale, un concept qui est cher au XIXe siècle. En cela, il s’inscrit dans une scène européenne plus large qui s’intéresse aux liens entre les images et la poésie. C’est la raison pour laquelle nous avons mis l’accent sur des artistes antérieurs, comme William Blake.
Le Poème de l’âme a-t-il été présenté dans son intégralité du vivant de l’artiste ?
S. P. : Non et l’œuvre intégrale reste globalement très peu connue de ses contemporains. Une exposition en présente des parties au Cercle catholique du Luxembourg en 1876 mais elle est plutôt confidentielle. De grandes personnalités comme Théophile Gautier ou Eugène Delacroix cherchent à faire connaître Le Poème de l’âme, mais c’est surtout la publication des photographies de Félix Thiollier en 1881 qui permet sa diffusion. Par la suite, quelques compositions isolées sont ponctuellement présentées dans des expositions. Elles marquent d’ailleurs plusieurs artistes, comme Maurice Denis. Le premier cycle n’est dévoilé au public dans son intégralité qu’en 1950, au musée des Beaux-Arts de Lyon.
D’où proviennent les œuvres et documents que vous avez réunis ?
S. D.-d.-V. : Nous avons fait le choix d’emprunter uniquement en France métropolitaine, et essentiellement à Lyon et à Paris. La plupart des œuvres viennent du musée d’Orsay, du musée des Beaux-Arts de Lyon, de la Tomaselli Collection, de la galerie Michel Descours et de collections particulières.
S. P. : L’exposition permet de présenter plusieurs pièces inédites, récemment entrées dans les collections lyonnaises ou issues de fonds privés. Nous dévoilons aussi quelques trouvailles faites à la Bibliothèque nationale de France.
1 Selon Henri Focillon qui fut directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon de 1913 à 1924. La Peinture au XIXe siècle, Paris, H. Laurens, 1927.
Entretien à retrouver dans :
L’Objet d’Art hors-série n° 171
Louis Janmot. Le Poème de l’âme
48 p., 11 €.
À commander sur : www.lobjet-dart-hors-serie.com
« Louis Janmot. Le Poème de l’âme »
Du 12 septembre au 7 janvier 2024 au musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr
Catalogue, coédition musée d’Orsay / In Fine éditions d’art, 192 p., 35 €.