
Cinq ans après avoir exposé son fonds Rembrandt, le musée Condé renoue avec l’estampe néerlandaise du Siècle d’or pour dévoiler les autres graveurs de cette époque que le duc d’Aumale collectionna avidement.
Développée au XVIIe siècle par ses contemporains mêmes, la notion de « Siècle d’or » néerlandais est aujourd’hui profondément redéfinie et l’exposition présente ses estampes sous une lumière nouvelle. Longtemps perçues comme des représentations d’une réalité quotidienne à prendre au pied de la lettre, les images laissées par cette époque sont désormais plutôt abordées dans leurs dimensions militante et performative.
Sublimer le réel
Les œuvres d’art participent activement de la construction d’une culture visuelle renouvelée qui diffuse les piliers de cette utopie collective qualifiée de « Siècle d’or ». Dans cette optique, l’estampe diffuse à large échelle des images fantasmées qui subliment le réel plutôt que de le représenter tel qu’il est. L’idéal d’une vie pastorale et idyllique ou les représentations de paysans flirtant dans les champs tandis que leurs troupeaux prennent des bains de soleil maquillent, par exemple, la réalité de la captivité, de l’élevage et de l’industrie laitière dans un siècle en proie à de nombreuses transformations agricoles et économiques. En parallèle, l’estampe revêt également un rôle politique majeur – dans une veine quasi journalistique. Les gravures d’Hendrick Goltzius témoignent notamment de la nécessité de faire advenir une identité politique propre dans une nation nouvellement créée, d’où l’hommage que ses burins rendent aux soldats qui se battent pour conserver l’indépendance arrachée à l’Espagne par les Provinces-Unies. Les vues d’Amsterdam de Reinier Nooms, dit Zeeman, soulignent l’extraordinaire croissance de ce nouveau centre économique qui devient la première place financière du Nord de l’Europe. Récurrentes dans les gravures du Siècle d’or, les marines insistent sur le fait que la puissance des Provinces-Unies découle de comptoirs commerciaux établis grâce à des routes maritimes qui font affluer des marchandises du monde entier à Amsterdam. Par le biais d’artistes tels Nicolaes Berchem, Paulus Potter, Karel Du Jardin, Ruisdael ou Ferdinand Bol, l’estampe magnifie chaque aspect de la vie quotidienne pour convaincre ses citoyens de l’avènement d’un âge florissant et optimiste.

Naissance d’une nation
Outre la portée politique de ces œuvres, l’exposition invite également à renouveler notre regard en appréciant les jeux tonals qui naissent des infinies nuances de noir et blanc dont usent les graveurs. Au fil des salles, notre regard abandonne la couleur comme norme visuelle et saisit toute la subtilité d’une bichromie qui repose entièrement sur les contrastes de l’encre et de l’éclat du papier. Les morsures à l’acide et tailles de burin s’animent et témoignent de toute l’extraordinaire virtuosité d’artistes injustement méconnus. Regarder les estampes du Siècle d’or néerlandais pour ce qu’elles sont vraiment revient en bref à observer la naissance et la consolidation d’une nation dont la culture visuelle dit tout de ses ambitions politiques ou économiques.

Flavie Van Schoor

À lire :
Catalogue sous la direction de Baptiste Roelly
Par-delà Rembrandt – Estampes néerlandaises du Siècle d’or
128 p., 22 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.fr
« Par-delà Rembrandt – Estampes néerlandaises du Siècle d’or »
Jusqu’au 24 février 2024 au cabinet d’arts graphiques du musée Condé
Château de Chantilly, 60500 Chantilly
Tél. 03 44 27 31 80
www.chateaudechantilly.fr