Chère lectrice, cher lecteur,
En ces temps difficiles et secoués, un peu d’art thérapie s’impose. Étudiant, Odilon Redon avait pu admirer au Louvre le char d’Apollon, peint par Eugène Delacroix au plafond de la galerie dédiée au dieu des arts et du soleil. Ce thème lui inspira ensuite un pastel et, dans son journal, la réflexion suivante « C’est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C’est la joie du grand jour opposée aux tristesses de la nuit et des ombres et comme la joie d’un sentiment meilleur après l’angoisse »1.
Le fonds de pastels d’Orsay à l’honneur
Nous reproduisons le plafond de Delacroix en ouverture de notre grand entretien avec Pierre Rosenberg, consacré au défi des musées (p. 68) ; et Le char d’Apollon d’Odilon Redon dans cet éditorial. Exécuté autour de 1910, il montre les quatre chevaux cabrés du dieu, tirant un char dont on devine à peine les contours tant le halo lumineux de l’astre est aveuglant. Au bas de la composition, striés d’un vert Granny Smith2, se déploient les méandres du serpent Python, obscure puissance divinatoire, transpercé par les flèches du dieu solaire pour avoir osé persécuter sa mère, Léto. Cette feuille fait partie de la cinquantaine d’œuvres exposées jusqu’en juillet au musée d’Orsay pour mettre en valeur un fonds peu montré du musée, ses pastels, connu le plus souvent seulement à travers quelques illustres exemples (dont les Redon), mais pas dans l’étonnante diversité d’une collection de plus de 500 numéros. Car après l’âge d’or des portraitistes pastellistes au XVIIIe siècle, le médium connaît un renouveau au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion de Jean-François Millet ; il cesse alors d’être considéré comme un moyen d’expression inférieur à la peinture ; son utilisation s’étend à tous les genres, portraits, paysages, scènes de genre…, et la preuve de son succès retrouvé et de sa reconnaissance est la création de la société des peintres pastellistes en 1883 à New York, puis deux ans plus tard, de son alter ego française.
Gourmandise et volupté
La dernière fois qu’Orsay avait mis à l’honneur ses pastels sur ses cimaises remontait à quatorze ans. Cette nouvelle sélection dévoile, entre autres, un étonnant départ pour la pêche de Mondrian, dans les nuances violacées du petit matin, une calanque de Lévy-Dhurmer presque polaire dans son immensité de bleus glaciaires, et bien d’autres trésors encore. À l’opposé de l’art aimable des pastellistes du XVIIIe siècle, on y admire à nouveau les stridences colorées et violentes des danseuses de Degas ou de celles du portait de Madame Helleu par son mari. On s’y engouffre avec gourmandise et volupté, comme sous une couette moelleuse et protectrice, happé par cette « fleur » du pastel, ce velouté ainsi décrit par Diderot dans son Encyclopédie, porteuse de rêves étranges et colorés – bien loin des tohu-bohu extérieurs, des atmosphères délétères et d’un président jupitérien trop aveuglé par son hybris pour tenir les rênes de ses coursiers dans la concorde du bon gouvernement de la Nation.
Chère lectrice, cher lecteur, que votre Objet d’Art vous apporte de belles évasions sur les chemins de l’art – vous y trouverez, en particulier, un passionnant dossier sur Primatice en France et les restaurations de son œuvre !
Jeanne Faton
1 À soi-même, Journal (1867-1915). Notes sur la vie, l’art et les artistes, Paris, H. FLoury, 1922, p.167. cité dans le catalogue de l’exposition « Pastels. De Millet à Redon », actuellement au musée d’Orsay.
2 Précisons néanmoins que dans la palette des artistes, la nuance vert pomme apparaît bien avant la variété de ce même fruit, créée en 1867 en Australie, résultat d’un semis chanceux par une vieille dame, Maria-Ann Smith, surnommée Granny (mamie) Smith en raison de son âge.
L’Objet d’Art n° 599
Avril 2023
98 p., 9,80 €.
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